Les femmes et les stades à Belo Horizonte/Brésil : de supportrices à joueuses (1904-1940)

  • Women and stadiums in Belo Horizonte/Brazil: from supporters to players (1904-1940)

DOI : 10.58335/football-s.886

p. 15-24

Résumés

La ville de Belo Horizonte a été la première cité planifiée du Brésil à la fin du xixe siècle. Ses parcs ont accueilli les sports pratiqués par ses élites et les premiers équipements sportifs. Très vite le football s’est imposé et a attiré un public nombreux, en particulier féminin. Les femmes de la bonne société ont joué un rôle important dans les stades et au sein des grands clubs comme l’Atlético Mineiro et l’América. Par la passion sportive et le supportérisme, elles ont conquis le droit d’apparaître et de s’exprimer dans l’espace public. Les femmes des classes populaires de la région de Rio ont commencé à jouer dans les années 1920 et 1930 en pratiquant un football de grande qualité dont elles font la démonstration dans la capitale du Minas Gerais en juin 1940.

Belo Horizonte was Brazil’s first planned city at the end of the 19th century. Its parks welcome the first sports facilities and the sports practised by its elite. Football quickly established itself and attracted a large public, particularly women. The women of good society played an important role in the stadiums and in the big clubs such as Atlético Mineiro and América. Through their passion for clubs and their support for them, they won the right to appear and express themselves in the public arena. Working-class women in the Rio region began playing in the 1920s and 1930s, demonstrating the high quality of their football in the capital of Minas Gerais in June 1940.

Plan

Texte

Première ville planifiée de la période républicaine brésilienne, Belo Horizonte est aménagée pour devenir la nouvelle capitale de l’État de Minas Gerais. Inaugurée en 1897, elle a pris la place administrative et politique d’Ouro Preto, symbolisant une rupture avec les périodes coloniale et impériale. La modernité et les préceptes hygiénistes en vogue à l’époque ont guidé la construction de la nouvelle capitale sur le modèle des villes européennes. La vie publique, caractéristique importante de la modernité, a pris forme grâce à la planification et à la construction d’espaces de socialisation et de divertissement, tels que des places et des salles de concert. Le Parc Municipal inauguré en 1897, et le Prado Mineiro inauguré en 1906, ont été spécialement construits pour les sports. Dans le premier, avaient été aménagées des pistes pour le cyclisme, tandis que le second était destiné aux courses de chevaux. Il ne s’agissait donc pas seulement d’un projet visant à doter une ville moderne d’un équipement sportif mais d’un programme destiné à former un citoyen moderne, républicain, civilisé, qui devrait se déplacer, s’amuser et s’ébattre dans les espaces urbains. Le corps, les comportements et les sensibilités ont été au cœur de ce nouveau paradigme1.

Bien que le cyclisme et l’hippisme aient été à l’avant-garde du sport, c’est avec le football que l’espace sportif a pris forme à Belo Horizonte, presque en même temps que le développement de la capitale elle-même. L’année 1904 marque le début de cette culture sportive, avec la fondation de cinq clubs dédiés au ballon rond, tous exclusivement masculins, l’organisation d’une ligue de clubs et d’un championnat2. La pratique s’est répandue et consolidée à une telle vitesse qu’elle est devenue l’une des manifestations culturelles les plus caractéristiques de Belo Horizonte3. Cependant, la ville ne comptait ni terrain de football, ni stade, ce qui conduisait les joueurs à installer un terrain improvisé dans le parc municipal, qui avait certes déjà une vocation sportive, et est devenu le premier lieu de la pratique footballistique. Quelques années plus tard, d’autres terrains ont vu le jour. Et c’est au Prado Mineiro, où un terrain et des tribunes ont été aménagés, qu’à partir de 1914, la présence des femmes est la plus marquée.

La popularisation croissante du jeu, avec l’augmentation conséquente du nombre de spectateurs, a exigé des stades plus grands et plus confortables pour les spectateurs, en particulier les femmes. Leur présence a nécessité un meilleur aménagement de l’espace, comme l’élagage de la végétation et la construction de places assises qui leur seraient réservées. C’est toutefois dans le premier véritable stade de la ville, le stade Otacílio Negrão de Lima inauguré en 1923 et propriété du club de football América, qu’est disputé le premier match de football féminin jamais joué à Belo Horizonte. Six ans plus tard, le club de football Athletico Mineiro inaugure le stade Antônio Carlos, en présence et avec la participation active des femmes.

Considéré comme un élément moderne, civilisateur et distinctif, le football est également perçu comme élégant, ce qui lui permet d’attirer, dès les premiers matchs, un public féminin, qui prend peu à peu d’autres places dans le paysage footballistique de la ville. Leur présence a entraîné des changements dans les tenues des joueurs, car il n’était pas décent qu’ils soient vêtus de vêtements courts, ainsi que dans la construction et l’entretien des stades, afin de les rendre plus confortables. De simples spectatrices à supportrices membres du club, les femmes sont reines et marraines du sport, et deviennent joueuses en 1940. Cet article vise à étudier quelles sont, tout au long de cette évolution, les représentations construites par la presse autour des différents rapports établis par les femmes avec le football, et qui sont ces femmes.

Sur le torcer4 et l’appartenance « clubistique » féminins

Le développement de l’espace et de la vie publique dans la nouvelle ville en cours de création a permis aux femmes des élites de franchir les limites de l’espace privé et d’élargir leurs possibilités de participation et d’interaction sociales. Alors que les femmes des classes populaires construisaient leur sociabilité dans le monde du travail et des divertissements publics, les femmes des élites voyaient leurs expériences limitées à la maison et à l’église5. Le football a offert à ces dernières l’opportunité de participer à des événements publics dès le début, en 1904. Toutefois, leur présence dans les stades n’est pas toujours mentionnée par la presse bourgeoise traditionnelle, qui n’évoque que la présence des familles aux côtés des hommes6, voire est relevée par des mentions liées à la beauté, à l’élégance et à la civilité desdites femmes7. Cette situation n’a pas duré longtemps car, en 1909, elles jouaient déjà un rôle de premier plan parmi les supporters et l’organisation d’une des principales équipes de la ville. Les premières réunions, la fabrication de la tenue et du premier drapeau du club de football Athlético Mineiro ont en effet bénéficié de la participation active d’une femme, Alice Neves, qui était la mère de l’un des fondateurs du club. C’est dans sa maison qu’a été créé le premier club de supporters en uniforme du Brésil, qui comprenait des femmes qui ont également contribué à la vie du club8.

Les journalistes notent non seulement la présence des femmes dans les stades, mais aussi leur importance dans le soutien aux équipes et les changements dans leur façon d’apprécier le spectacle. Le périodique O Football, qui paraît dans la ville en 1917, consacre une rubrique aux supportrices, dans laquelle on peut lire : « Heureusement, Belo Horizonte compte déjà un nombre considérable de “supportrices” qui comprennent le football et qui, dans les moments d’inquiétude, laissent échapper une interjection qui exprime l’affliction, la souffrance de voir l’“objet” de leur sympathie en péril9. ». Les femmes ont ainsi progressivement élargi leurs manières d’être et de s’exprimer dans les stades.

Quelques années plus tard, le chroniqueur sportif de la revue Risos e Sorrisos, dont nous ne connaissons pas le nom, se souvient qu’à l’époque du Prado Mineiro, qui a accueilli les championnats de football de la ville dans les années 1910, « il y avait peu de filles et de garçons qui ne connaissaient pas les tableaux de classement de la Liga [Mineira de Sports Athleticos] et la position de chaque club, et les discussions tournaient autour des rencontres10 ». Le journaliste met ainsi en parallèle le degré d’implication des filles et des garçons dans le football de la capitale du Minas Gerais. Il n’y avait pas de différence, les hommes et les femmes étaient également engagés sur la scène footballistique de la ville. Et lorsque notre source déplore le manque de spectateurs lors des matchs en 1925, elle l’impute à « l’absence systématique de nos gentilles concitoyennes sur les terrains de football ». Le chroniqueur dit être arrivé à cette conclusion après avoir assisté à « plusieurs matches du sport populaire à Rio et, dernièrement, à Bahia : dans tous ces matches, l’élément féminin s’est distingué et a animé les débats11 ». En d’autres termes, la présence et le soutien des femmes aux joueurs étaient plus importants et stimulants que la présence et le soutien des hommes. En fait, les femmes étaient devenues une attraction dans les spectacles sportifs.

Cependant, si la présence et le soutien des femmes sont un ingrédient important du spectacle, leur comportement doit répondre aux désirs et prescriptions des hommes :

Nous ne voulons pas que les belles Belorizontines s’agitent et se giflent, qu’elles s’évanouissent ou qu’elles froissent leurs robes et leurs chapeaux dans la chaleur de la « torcida ». Nous désirons seulement la grâce de leur présence et quelques cris effrayés et encourageants qui expriment l'intérêt et la passion12.

Il existe donc des limites à la participation des femmes dans les stades qui seraient fixées par un code de conduite destiné à contrôler leur façon de se tenir, de se comporter et d’agir. Cependant, il est possible d’observer une nouvelle forme d’être au monde et à la société, car si au xixe siècle, le rôle des femmes était d’embellir le spectacle par leurs vêtements élégants et leurs parures13, en 1925, en plus d’embellir, elles étaient autorisées à s’exprimer, même si cela se limitait à l’émission de cris effrayés.

En 1927, le journal Correio Mineiro organise un concours pour élire la « reine des sports » à Belo Horizonte. Malgré le titre du concours, les participantes n’étaient que des représentantes des supportrices des équipes de football de la ville. Les fans d’autres sports n’ont pas participé au concours, bien que le journal n’ait imposé aucune limite, ce qui montre que le football était le sport de la ville à l’époque. La gagnante est Nenen Aluotto, une supportrice et représentante du club de football Athlético Mineiro, qui fréquente assidûment les stades. Elle a obtenu 34 471 voix, tandis que les deuxième et troisième places ont reçu respectivement 17 801 et 4 785 voix. Le concours a rassemblé 86 000 votants, ce qui équivaut à plus de 70 % de la population de la ville qui, trois ans plus tard, comptait 116 981 habitants, soulignant ainsi la force du football dans la ville, l’importance des encouragements et le rôle des femmes dans la population.

Figure n° 1. Nenen Aluotto, la « reine des sports » de Belo Horizonte, entourée des joueurs de l’Athlético Mineiro pendant la saison 1926-1927.

Figure n° 1. Nenen Aluotto, la « reine des sports » de Belo Horizonte, entourée des joueurs de l’Athlético Mineiro pendant la saison 1926-1927.

Crédit : Droits réservés.

La participation active des supportrices s’est à nouveau manifestée au sein du Club Atlético Mineiro, ainsi nommé aujourd’hui, lors de l’inauguration de son premier stade en 1929 au cours de laquelle des supportrices en uniforme blanc ont été mises à l’honneur (fig. 2).

Figure n° 2. Inauguration du stade Presidente Antônio Carlos le 30 mai 1929 à Belo Horizonte.

Figure n° 2. Inauguration du stade Presidente Antônio Carlos le 30 mai 1929 à Belo Horizonte.

Les supportrices de l’Athlético Mineiro participent en uniforme blanc à l’inauguration du terrain.

Crédit : Droits réservés.

En présence de 30 000 personnes14, le stade est baptisé par une femme, Luizita Andrada, fille du président du Minas Gerais de l’époque, en l’honneur duquel le stade a été appelé Estádio Presidente Antônio Carlos15. Nous n’avons aucune preuve de l’implication de Luizita Andrada au sein des supporters de l’Atlético, de sa présence dans les stades ou même dans la vie sportive de la ville. Des raisons politiques, les mêmes qui ont motivé l’hommage rendu à son père, semblent avoir déterminé le choix de sa personne pour servir de marraine au stade.

Toujours en 1929, l’inauguration du deuxième stade du club de football América a lieu en présence d’un « grand nombre de dames et de femmes de notre société, qui ont rempli toutes les tribunes, faisant de la fête d’hier l’un des rassemblements les plus brillants de l’année16 ». L’une d’entre elles va plus loin dans la revendication de sa foi sportive en manifestant publiquement son mécontentement à l’égard de la présence de deux rédacteurs du journal Minas Geraes qui appartenaient au club Athletico Mineiro. Dans un article intitulé « Un incident dans les tribunes », l’un des deux journalistes de Minas Geraes livre sa version de l’histoire :

À la mi-temps du match, une supportrice, peut-être la plus belle, mais pas la plus délicate que nous connaissons, a commencé à s’opposer à notre présence, contestant bruyamment l’accueil qui nous était réservé hier.
En rappelant les moments de déception que cette jeune fille nous a réservés lors de la splendide fête d’hier, sous prétexte de notre appartenance au Club Athletico Mineiro, nous renouvelons au commandant Oscar Paschoal et aux membres de l’América l’hommage de notre admiration.17

Un épisode similaire s’était-il déjà produit ? Serait-ce la première fois que les journalistes, supporters connus du principal rival de l’équipe locale, sont confrontés à leur présence lors d’un match de l’América ? Il est possible que non. Mais le fait que, cette fois, l’opposition ait été manifestée par une femme pourrait expliquer que le journal s’en soit publiquement plaint. Comme il était d’usage à l’époque, l’apparence et le comportement de la supportrice ont été jugés par les rédacteurs masculins du journal : bien qu’elle ait été considérée comme jolie, elle n’était pas jugée délicate, ce qui a déçu et consterné ces hommes. Pour eux, la présence des femmes dans les stades doit rester décorative, et toute personne qui oserait sortir de ce rôle devrait être jugée et dénoncée publiquement. C’est ainsi que les hommes ont tenté de façonner le rôle, le comportement et la manière d’être des supportrices dans les stades. L’épisode révèle cependant une supportrice farouche, passionnée par son club et animée d’un fort sentiment de rivalité à l’égard de son principal adversaire de l’époque. Le football est ainsi devenu une occasion pour les femmes de Belo Horizonte de participer activement à la société et leur a permis de conquérir et d’occuper d’autres rôles sociaux qui dépassent la notion d’embellissement.

De véritables cracks18

Ce n’est qu’en 1940 que l’on trouve mention d’un match de football féminin à Belo Horizonte. Largement relayé par différents journaux de la capitale, il ne s’agissait pas d’un match entre équipes locales, qui n’existaient pas l’époque. Il s’agissait d’un choc entre deux équipes de la banlieue de Rio de Janeiro, Casino Realengo et Esporte Clube Brasileiro, présentées par la presse comme les meilleures du Brésil. Après avoir disputé deux matches, l’un dans la ville de São Paulo et l’autre à Santos, et après que chaque équipe ait remporté l’un d’entre eux, le match devait décider « définitivement quelle est la meilleure équipe féminine du Brésil19 ». Pour quelle raison ce match décisif était organisé dans une ville qui n’avait même pas d’équipe de football féminin ? C’est peut-être précisément la raison de ce choix. L’intention était de faire connaître cette pratique, de l’encourager et de la promouvoir au-delà de la capitale brésilienne, qui comptait dix clubs féminins et des supporters fervents qui les suivaient lors de leurs matches20. Dans les années 1940, différents clubs féminins de Rio se rendaient dans des villes telles que Juiz de Fora (État du Minas Gerais), Santos (État de São Paulo) et Magé (État de Rio de Janeiro) pour jouer les uns contre les autres, sans même connaître un club local21.

Toutefois, dans d’autres circonstances, les invitations à jouer en dehors de Rio ont été déclinées parce que les joueuses n’avaient pas les moyens de les honorer. Ces femmes appartenaient en effet aux classes populaires de la ville de Rio de Janeiro, elles jouaient dans des clubs de la banlieue, elles étaient ouvrières ou étudiantes, et leurs conditions économiques et sociales ainsi que le calendrier des matchs les empêchaient de se déplacer pour participer aux compétitions22. Il s’agissait donc de femmes ordinaires, à la vie simple, qui jouaient au football au milieu de leurs obligations et de leurs diverses relations sociales. L’une des joueuses, le « crack Rosinha », s’est même mariée la veille du match à Belo Horizonte, ce qui a obligé les équipes à voyager plus tard que prévu dans un train de nuit, pour arriver dans la ville le jour de la compétition. Plus d’une semaine avant le match, les journaux annonçaient déjà, en grande pompe, avec quelques exagérations et presque toujours à l’aide de photographies, le match qui devait avoir lieu au stade Otacílio Negrão de Lima de l’América Futebol Clube dans la soirée du samedi 15 juin 1940. Voici quelques-uns des titres qui ont été publiés à propos de ce match :

Samedi prochain, la ville sera le théâtre d’un match de football féminin sensationnel23.
Le football féminin ravivera l’enthousiasme du public sportif de la capitale samedi24.
Le premier match de football féminin sur des terrains du Minas Gerais25.
Un événement sans précédent pour notre public sportif 26.

Figure n° 3. Le quotidien Folha de Minas (7 juin 1940) annonce le premier match de football disputé à Belo Horizonte par les équipes cariocas SC Brasileiro et Casino Realengo.

Figure n° 3. Le quotidien Folha de Minas (7 juin 1940) annonce le premier match de football disputé à Belo Horizonte par les équipes cariocas SC Brasileiro et Casino Realengo.

Crédit : Folha de Minas, 7 juin 1940.

Contrairement à la presse de Rio de Janeiro, qui s’est efforcée de faire connaître et, en même temps, de déprécier le football pratiqué par les femmes27, les représentations du football féminin dans la presse de Belo Horizonte ont été assez homogènes, car elles correspondaient à la volonté d’attirer un public et de faire bouger la scène sportive de la ville. Même Minas Geraes, le journal officiel de l’État, aligné sur les préceptes médico-scientifiques en vogue et qui n’en fait pas la promotion avec le même empressement que ses confrères, annonce l’organisation d’un match qui promet d’être intéressant avec des équipes bien entraînées28. Folha de Minas se montre beaucoup plus enthousiaste en annonçant que :

[…] deux équipes de force égale vont s’affronter et, compte tenu de la préparation qu’elles ont suivie, elles promettent de livrer un combat sensationnel digne d’être vu par tous ceux qui admirent le bon football. De véritables « cracks » du ballon composent les équipes cariocas…29
Nous assisterons à l’affrontement de deux équipes parfaitement équilibrées, composées de joueurs qui, par leur classe et leur enthousiasme, ont reçu les applaudissements les plus chaleureux dans les arènes de Rio. Le public sportif de la capitale, qui assistera pour la première fois à un spectacle de cette nature, aura l’occasion de constater que le beau sexe peut aussi s’illustrer dans le football30.

Bien que considéré comme une curiosité, le football féminin n’est pas représenté comme une excentricité, comme c’était le cas au début des exercices corporels pratiqués par les femmes brésiliennes31. Considéré comme de bonne qualité technique comparé au football masculin, le football féminin a été loué par les chroniqueurs de différents périodiques de la ville, qui se sont efforcés de faire comprendre qu’il s’agissait bien d’un spectacle sportif et non de « 22 filles sur le terrain, en uniforme, qui courent après un ballon32 ». Il fallait le prouver, convaincre le lecteur et, pour ce faire, les journaux ont utilisé différents arguments. Le fait que le football féminin ait ses propres règles, qui exigent l’utilisation d’un ballon spécial, et que deux d’entre eux aient été offerts par le fabricant, dont le patron accompagne les joueuses à Belo Horizonte33, a été mentionné dans plusieurs articles pour démontrer l’importance de la pratique.

Le sérieux et le professionnalisme ont également été mis en relief :

Les deux teams qui s’affronteront ici le 15 au soir jouent vraiment au football et un certain nombre de gaillards sont tombés sous le charme du jeu productif des filles de Rio. Il ne s’agit pas d’équipes improvisées formées « à la diable34 » pour le spectacle. Pendant deux ans, ces filles ont été soumises à un régime d’entraînement sévère et, sur près de 200 participantes, les entraîneurs respectifs ont pu choisir deux équipes qui savent réellement jouer au football35.

Le commentaire se concentre donc sur le fait que les joueuses connaissent les règles, jouent selon celles-ci et possèdent des qualités techniques, ce qui soutient l’argument selon lequel « les représentantes du beau sexe jouent au football aussi bien que les hommes36 ». Pour renforcer ce discours, les mérites des joueuses sont analysés en comparaison avec ceux des joueurs, afin de mettre en évidence leurs qualités techniques :

Rosinha, la défenseuse à la tête parfaite et à la frappe violente ; Tita, l’avant-centre qui rappelle Welfare et Mario de Castro ; Filhinha, la gardienne aux grandes qualités, surnommée la « Batatães des terrains féminins de Rio ». Adhinagran, la défenseuse légère comme une plume malgré ses 70 kilos ; Sarah qui a un tir si puissant qu’elle n’a pas le droit de tirer au but à l’entraînement. À côté d’elles, il y aura d’autres vraies stars37.

Mais « la meilleure footballeuse du Brésil38 » était « Targina, un véritable phénomène dans le domaine du football féminin39 ». Comparée au footballeur Leonidas40, célèbre pour ses « bicicletas », Targina faisait l’unanimité dans les journaux de la capitale.

En outre, pour décrire le jeu et les joueuses, les mots utilisés révèlent une certaine compréhension esthétique du jeu, tels que embate, luta, tiros violentos, tanque alemão41, indiquant que même s’il s’agissait de football féminin, il y aurait de la violence, bien que contrôlée. Loin d’être une partie jouée par de petites dames malhabiles, fragiles et délicates, on avait affaire à un véritable match opposant des femmes entraînées, qui possédaient les mêmes compétences physiques et techniques que les hommes et qui étaient donc capables d’offrir un spectacle de football attrayant. Tous ces efforts pour convaincre le public, qui visaient à amener non seulement les amateurs de sport mais aussi toute la population de la ville au stade pour voir jouer les filles cariocas, semblent avoir été couronnés de succès, car même si le stade n’a pas été entièrement rempli, il accueillit un « large public qui a occupé la plupart des sièges du stade Otacílio Negrão42 ».

Figure n° 4. Le quotidien Estado de Minas (14 juin 1940) rend compte du succès et du résultat du match de football féminin SC Brasileiro-Casino Realengo (2-1).

Figure n° 4. Le quotidien Estado de Minas (14 juin 1940) rend compte du succès et du résultat du match de football féminin SC Brasileiro-Casino Realengo (2-1).

Crédit : Estado de Minas, 16 juin 1940.

Les analyses d’après-match dans les journaux sont positives et optimistes et se concentrent sur les aspects techniques et la performance des équipes et de leurs joueuses. Il n’est aucunement fait mention des attributs qui sont généralement mis en avant – tels que la féminité, l’élégance et la beauté – lorsque les femmes sont sur le terrain, confirmant ainsi les représentations du football féminin qui ont été construites avant le match :

Certaines filles ont confirmé leur réputation dans tous les domaines. Targina, par exemple, est un spectacle sur le terrain. Elle distribue, dribble, tire fort, vise constamment le but, et est partout parce qu’elle a un souffle remarquable. Sarah, milieu de terrain gauche, a une frappe de balle indéfendable. C’est une opportuniste, mais elle sait profiter des opportunités. Margarida est une défenseuse aux grandes qualités. Combative, elle tire, comme on dit en argot, « avec foi ». Marina est une milieu de terrain intelligente qui distribue avec une parfaite conscience. Rosinha, une autre défenseuse digne de ce poste. Ivete, demi-centre surnommée « Jahú » à Rio, ne respecte pas ce qu’elle voit devant elle : c’est un véritable tank allemand. Tita, Mariinha et Ophelia sont des attaquantes débrouillardes qui savent porter le ballon. Filinha et Inah sont des gardiennes bien placées43.

Les représentations du football féminin construites et diffusées par la presse après le match rapprochent les femmes des hommes en montrant les similitudes dans leurs capacités, leurs compétences et leurs possibilités, tout en les éloignant d’un certain idéal de féminité.

Conclusion

Les stades de Belo Horizonte, en tant qu’équipements séparés physiquement et symboliquement du monde extérieur, ont été l’un des lieux de la conquête progressive par les femmes de leur participation à la vie sociale, culturelle et politique. En même temps que le football lui-même exigeait la présence des femmes dans les stades, en tant qu’attraction et élément de légitimation, les femmes revendiquaient leur place et l’expansion de leurs formes de participation au spectacle.

Si, dans un premier temps, ce sont les femmes des élites qui ont occupé les stades en tant que supportrices, marraines et reines, passant de la fonction de simple décorum au rôle de soutien à leur club, ce sont les femmes des classes populaires qui sont entrées sur le terrain en tant que joueuses. La presse locale ne s’est pas opposée au football féminin, mais l’a au contraire soutenu en s’appuyant sur la représentation construite selon laquelle le sport pratiqué par les femmes était aussi bon que celui pratiqué par les hommes. Les performances des femmes sont comparables à celles des hommes sur tous les plans : physique, technique, tactique et connaissance des règles.

Notes

1 Cynthia Greive Veiga, Cidadania e educação na trama da cidade: a construção de Belo Horizonte em fins do século xix, Bragança Paulista, EDUSF, 2002. Retour au texte

2 Raphael Ribeiro, A bola em meio a ruas alinhadas e a uma poeira infernal: os primeiros anos do fu­tebol em Belo Horizonte (1904-1921), Trabalho final mestrado, Universidade Federal de Minas Gerais, 2007. Retour au texte

3 Sarah Soutto Mayor, O futebol na cidade de Belo Horizonte: amadorismo e profissionalismo nas décadas de 1930 e 1940, Trabalho final doutorado, Universidade Federal de Minas Gerais, 2017, p. 41. Retour au texte

4 Le fait de soutenir une équipe et par extension les torcidas, les supporters ou groupes de supporters. Retour au texte

5 Alzira Lobo de Arruda Campos, « Vida cotidiana e lazer em São Paulo oitocentista », in Paula Porta (dir.), História da cidade de São Paulo: a cidade no Império (1823-1889), São Paulo, Paz e Terra, 2004, p. 251-305 ; Glaucia Fraccaro, « Mulheres, sindicato e organização política nas greves de 1917 », Revista Brasileira de Historia, septembre-décembre 2017, v. 37, n° 76, p. 73-90. Retour au texte

6 Minas Geraes, 2 et 3 janvier 1905 ; Minas Geraes, 10 septembre 1906. Retour au texte

7 Minas Geraes, 9 et 10 janvier 1905, p. 4 ; Minas Geraes, 3 et 4 octobre. 1904 ; Minas Geraes, 8 septembre 1929. Retour au texte

8 Euclides Couto, « Os sentidos e os significados da torcida feminina nos eventos de futebol em Belo Horizonte-Brasil (1913-1927) », Revista Internacional de Historia de la Comunicación, 2002, 19, p. 15-31. Retour au texte

9 O Foot-Ball, Belo Horizonte, 1917, p. 2 Retour au texte

10 Risos e Sorrisos, Belo Horizonte, 1925, p. 27. Retour au texte

11 Ibid. Retour au texte

12 Ibid. Retour au texte

13 Flávia da Cruz Santos, « Primeiras experiências esportivas na capital paulista (1854-1875) », Recorde, Rio de Janeiro, v. 16, n° 1, p. 1-20, janvier-juin 2023. Retour au texte

14 Bien que ce soit le chiffre rapporté par la presse, le stade avait une capacité de 10 000 spectateurs. Retour au texte

15 Minas Geraes, 31 mai 1929. Retour au texte

16 Minas Geraes, 8 septembre 1929. Retour au texte

17 Ibid., p. 13. Retour au texte

18 Folha de Minas, 13 juin 1940. Retour au texte

19 Estado de Minas, 12 juin 1940, p. 4. Retour au texte

20 Ibid. Retour au texte

21 Aira Bonfim, Football Feminino entre festas esportivas, circos e campos suburbanos: uma história social do futebol praticado por mulheres da introdução à proibição, Trabalho final de mestrado, Escola de Ciências Sociais, Fundação Getúlio Vargas, 2019. Retour au texte

22 ibid., p. 149. Retour au texte

23 Estado de Minas, 12 juin 1940. Retour au texte

24 Estado de Minas, 13 juin 1940. Retour au texte

25 Folha de Minas, 7 juin 1940. Retour au texte

26 Folha de Minas, 8 juin 1940. Retour au texte

27 Ibid. Retour au texte

28 Minas Gerais, 15 juin 1940 ; Minas Gerais, 13 juin 1940. Retour au texte

29 Folha de Minas, 13 juin 1940. Retour au texte

30 Folha de Minas, 15 juin de 1940. Retour au texte

31 Victor Melo, « Mulheres em movimento: a presença feminina nos primórdios do esporte na cidade do Rio de Janeiro (até 1910) », Revista Brasileira de História, 2007, v. 27, n° 54, p. 127-152. Retour au texte

32 Estado de Minas, 7 juin 1940. Retour au texte

33 Estado de Minas, 13 juin 1940 ; Estado de Minas, 12 juin 1940. Retour au texte

34 En français dans le texte. Retour au texte

35 Estado de Minas, 7 juin 1940. Retour au texte

36 Folha de Minas, 13 juin 1940. Retour au texte

37 Estado de Minas, 14 juin 1940. Retour au texte

38 Ibid. ; Folha de Minas, 7 juin 1940. Retour au texte

39 Estado de Minas, 7 juin 1940. Retour au texte

40 Leônidas Silva était le footballeur brésilien le plus populaire des années 1930, connu sous le nom de « Diamant noir ». Le moment le plus emblématique pour la constitution de son image en tant que joueur et de celle du Brésil en tant que nation de football a été la Coupe du monde de 1938 en France. Lorsqu'il est rentré au Brésil à l’issue de la compétition, il a été accueilli par la foule comme un véritable héros national. Cf. Denaldo Alchorne de Souza. Futebol e resistência cultural no Primeiro Governo Vargas (1930-1945). Lecturas: Educación física y deportes, 2007, n. 131, https://www.efdeportes.com/efd131/futebol-e-resistencia-cultural-no-primeiro-governo-vargas.htm. Retour au texte

41 Littéralement choc, combat, tirs violents, tank allemand. Retour au texte

42 Folha de Minas, juin 1940 ; Estado de Minas, 16 juin 1940. Retour au texte

43 Estado de Minas, 16 juin 1940. Retour au texte

Illustrations

  • Figure n° 1. Nenen Aluotto, la « reine des sports » de Belo Horizonte, entourée des joueurs de l’Athlético Mineiro pendant la saison 1926-1927.

    Figure n° 1. Nenen Aluotto, la « reine des sports » de Belo Horizonte, entourée des joueurs de l’Athlético Mineiro pendant la saison 1926-1927.

    Crédit : Droits réservés.

  • Figure n° 2. Inauguration du stade Presidente Antônio Carlos le 30 mai 1929 à Belo Horizonte.

    Figure n° 2. Inauguration du stade Presidente Antônio Carlos le 30 mai 1929 à Belo Horizonte.

    Les supportrices de l’Athlético Mineiro participent en uniforme blanc à l’inauguration du terrain.

    Crédit : Droits réservés.

  • Figure n° 3. Le quotidien Folha de Minas (7 juin 1940) annonce le premier match de football disputé à Belo Horizonte par les équipes cariocas SC Brasileiro et Casino Realengo.

    Figure n° 3. Le quotidien Folha de Minas (7 juin 1940) annonce le premier match de football disputé à Belo Horizonte par les équipes cariocas SC Brasileiro et Casino Realengo.

    Crédit : Folha de Minas, 7 juin 1940.

  • Figure n° 4. Le quotidien Estado de Minas (14 juin 1940) rend compte du succès et du résultat du match de football féminin SC Brasileiro-Casino Realengo (2-1).

    Figure n° 4. Le quotidien Estado de Minas (14 juin 1940) rend compte du succès et du résultat du match de football féminin SC Brasileiro-Casino Realengo (2-1).

    Crédit : Estado de Minas, 16 juin 1940.

Citer cet article

Référence papier

Flávia Da Cruz Santos, « Les femmes et les stades à Belo Horizonte/Brésil : de supportrices à joueuses (1904-1940) », Football(s). Histoire, culture, économie, société, 6 | 2025, 15-24.

Référence électronique

Flávia Da Cruz Santos, « Les femmes et les stades à Belo Horizonte/Brésil : de supportrices à joueuses (1904-1940) », Football(s). Histoire, culture, économie, société [En ligne], 6 | 2025, publié le 19 juin 2025 et consulté le 19 septembre 2025. Droits d'auteur : Le texte seul, hors citations, est utilisable sous Licence CC BY 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont susceptibles d’être soumis à des autorisations d’usage spécifiques.. DOI : 10.58335/football-s.886. URL : https://preo.ube.fr/football-s/index.php?id=886

Auteur

Flávia Da Cruz Santos

Professeure à l’Universidade Federal de Minas Gerais (Brésil)

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Le texte seul, hors citations, est utilisable sous Licence CC BY 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont susceptibles d’être soumis à des autorisations d’usage spécifiques.