Lénaïc Vilain, auteur de bandes dessinées révélé par son carnet de voyage Bons baisers d’Iran (Vraoum, 2015), est devenu un ultra du Red Star et propose avec ces « Chroniques de gradins », une plongée dans le monde du supportérisme actif. Le récit est composé de neuf courts épisodes, introduit par un chapitre présentant l’auteur et sa découverte du Stade Bauer. Il a pour particularité graphique d’être entièrement (préface et postface mises à part) en vert et blanc, couleurs du club dont l’auteur est devenu un fervent soutien en rejoignant les « Red Star Fans ». Ainsi, par la forme comme par le contenu, Lénaïc Vilain propose de regarder la vie et l’action d’un groupe ultra de l’intérieur, en y plongeant son lecteur sans le laisser en sortir. Que ce dernier n’espère pas, en ouvrant ce livre, y suivre les aventures de passionnés du football, car là n’est finalement pas le cœur de ces chroniques et le titre l’exprime de fait parfaitement : c’est dans les tribunes bien plus que sur le terrain que se joue l’intrigue.
De l’exfiltration d’une ministre des Sports (Roxana Maracineanu en 2019) aux slogans hurlés ou aux chants entonnés, de l’opposition au rachat du club à l’exigence de disputer les matchs le week-end, les parenthèses du titre deviennent page après page nécessaires et évidentes. Cette bande dessinée porte bien sûr sur les gradins et leur animation, tout en constituant en elle-même un manifeste pour ce qui est couramment appelé le « football populaire » et qui entend surtout ici désigner la mobilisation de spectateurs engagés. L’auteur avertit d’ailleurs dès les premières pages, alors qu’il retrace rapidement l’histoire du club, caractérisant l’identité de son groupe de supporters comme s’appuyant « notamment sur des valeurs comme l’antifascisme, l’antiracisme, ou l’antisexisme ». On ne pourra donc guère s’étonner de la tonalité « antifa » de ces pages, ni de quelques propos « Acab » (acronyme qui est défini dans le glossaire final) qui peuvent émailler le récit.
La trajectoire des historiques du groupe, la réalisation d’un tifo ou le récit d’un déplacement à Valenciennes permettent de souligner le fait que l’engagement des ultras déborde volontiers les seules tribunes qu’ils animent et s’inscrit dans une vie associative complexe. Aussi proches soient-ils, au risque de se transmettre le Covid si le Red Star vient à marquer alors que les règles de distanciation avaient jusque-là été scrupuleusement respectées, les ultras ne sont pas toujours des intimes, ce que révèle la méprise à propos des relations entre le protagoniste et sa « meilleure pote » Viva. De cet engagement, l’auteur ne tait pas les écarts possibles. La surconsommation d’alcool est ainsi évoquée : il n’est de match sans bière, ni de déplacement sans vomissement. L’accueil dédaigneux, voire menaçant, des spectateurs occasionnels, sous prétexte de rejet de la gentrification, occupe également quelques cases.
Tribune(s) ne saurait évidemment dire ce qu’est la vie de tout groupe ultra, d’autant qu’« Il n’y a que Red Star, Il n’y a que Bauer, Il n’y a que Rino ». Engagés politiquement, ces ultras défendent des valeurs contre lesquelles peuvent se battre d’autres supporters engagés, ailleurs et autrement. Il ne faudrait donc pas, à lecture de l’ouvrage, faire une généralité de l’expérience des Red Star Fans. Néanmoins, cette plongée dans la vie de cette association a le mérite et la force du témoignage, et sait jouer des échelles de temps (la durée de l’engagement, la vie quotidienne rythmée par le travail ou la vie de famille, le confinement d’autant plus long qu’il prive de spectacle sportif,…). Qu’on partage ou non l’engagement de l’auteur, on le suivra avec d’autant plus de plaisir et délectation dans cette société du football que construit la fréquentation régulière des gradins que le récit est joyeux et sensible.