Arnaud Ramsay, Étienne Oburie, Le maillot de la discorde

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Arnaud Ramsay, Étienne Oburie, Le maillot de la discorde, Paris, Steinkis, 2024, 100 p.

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Arnaud Ramsay, Étienne Oburie, Le maillot de la discorde

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La bande dessinée historique s’est enrichie depuis quelques années d’un nouveau sous-genre consacré au football. L’équipe du FLN, le football de la RDA, le « match de la mort » à Kiev sont autant de sujets qui ont été traités sur des planches à dessin. Avec Le maillot de la discorde, Arnaud Ramsay, ancien de France Football et auteur de nombreux livres consacrés aux stars du ballon rond et déjà auteur de scénario de bandes dessinées, et Étienne Oburie, jeune bédéaste ayant dessiné plus de quatre albums, reviennent sur les années 1930 et les années noires du football français sous l’Occupation au travers des destins croisés d’Étienne Mattler et d’Alexandre Villaplane. Coéquipiers dans la défense de l’équipe de France lors de la Première Coupe du monde (1930), ces deux joueurs ont connu une évolution très différente. Le premier incarne le joueur modèle sous le maillot du FC Sochaux-Montbéliard et des Bleus avant de devenir un héros de la Résistance dans le Territoire de Belfort. Le second quitte assez vite les terrains de football pour vivre d’escroqueries, passer par la case prison avant d’intégrer la gestapo française, de porter l’uniforme SS et d’être condamné à mort puis fusillé au fort de Montrouge le 27 décembre 1944. Ce récit de vies parallèles et croisées commence par une scène fictive qui revient périodiquement ponctuer l’histoire. Celle d’un Mattler rendant visite à son Villaplane attendant son exécution, ce dernier espérant que le Sochalien pourrait intercéder en sa faveur. Une scène initiale qui permet de situer immédiatement le gouffre qui sépare les deux hommes, Mattler refusant de serrer la main d’un Villaplane évoquant les beaux jours du voyage en Uruguay en 1930. Les péripéties de cette mobilité alors lointaine pour des footballeurs sont ensuite bien retracées. Entraînements sur le pont du paquebot Conte Verde, festivités du passage de la Ligne, accueil chaleureux des habitants de Montevideo sont convoqués à dessein même si l’on est un peu étonné de la couleur foncée des cheveux et de la moustache de Jules Rimet qui était alors déjà blanche. Dès la traversée, les caractères des deux compères de la défense bleue se distinguent : sérieux et fidélité pour Mattler, duplicité et vice pour Villaplane. La Coupe du monde 1930 est vite racontée et résumée par le Sochalien : « Une victoire, deux courtes défaites, éliminés avec les honneurs ! » Il est vrai que le football n’est pas facile à croquer sur les planches de BD. Après l’Uruguay, les voies de Villaplane et Mattler divergent nettement. Le premier vit un court moment de l’amateurisme marron sous les couleurs de l’OGC Nice dont il porte le brassard marqué d’un C (anachronisme que l’on pardonnera volontiers au dessinateur). Il trempe alors dans ses premières affaires d’escroquerie (billet gagnant de la loterie espagnole d’une valeur d’1,5 million de francs) mais est relaxé en 1934 faute de preuve. Cette année est celle de la Coupe du monde italienne que joue Mattler, ou tout du moins un unique match de premier tour disputé à Turin et perdu de justesse contre le Wunderteam autrichien (2-3 après prolongations). Si la modernité du stadio Mussolini est assez bien rendue, notamment sa Torre Maratona, les tribunes n’étaient pas aussi remplies que les planches le suggèrent. Jules Rimet a toujours les cheveux et moustache foncés et les maillots portent même le nom et le numéro des joueurs… Après la Coupe du monde 1938 et La Marseillaise entonnée dans un restaurant napolitain, commence la deuxième grande partie du livre consacrée à la Seconde Guerre mondiale et à l’Occupation. Dès la drôle de guerre, le décor est planté. Villaplane cherche à entraîner ses camarades dans le pillage de fermes du secteur où son unité est installée. Mattler installe des tranchées dans les Ardennes. Il a quand même le temps d’honorer une 46e cape et de battre le record de sélection contre le Portugal. Comme l’explique le cartouche narratif : « Le rude Étienne joue pour son pays comme pour son club. Sur le terrain comme dans sa vie, comme à son poste actuel de brigadier-chef. Il accomplit avec la même conscience ce qu’il considère simplement comme son devoir d’homme et de français. » Son unité fait partie des troupes qui tentent d’arrêter le rouleau-compresseur nazi : « L’avancée rapide de la Wehrmacht est stoppée à Rethel par la 14e division d’infanterie, celle de Mattler ». Les débuts de l’Occupation signifie le retour en prison pour Villaplane pour une « vieille affaire de voiture volée ». À sa sortie, il rejoint la gestapo française dirigée par Bonny et Lafont. Il se spécialise dans le vol et la spoliation de biens juifs tout en menant joyeuse vie avec sa maîtresse Raymonde. Il a délaissé sa femme Nicolette et ses enfants. Époux épris et fidèle, papa gâteau, Mattler est revenu auprès de sa femme Suzanne et de sa fille Nelly. Mais le devoir patriotique l’appelle. Tout en continuant à jouer pour le FC Sochaux-Montbéliard, il devient agent de liaison de la Résistance avant d’être arrêté en février 1944. Interrogé et battu plus de 13 fois, il est libéré faute de preuves au mois de mai. Après avoir réussi à franchir la frontière suisse pour s’engager dans la Ire Armée du général de Lattre, il participe à la libération de Belfort, sa ville natale et participe à la campagne d’Allemagne. Villaplane a tenté de se réserver des pierres précieuses arrachées à des familles juives s’attirant les foudres de la SS. Après un nouveau séjour entre les murs d’une prison, une « nouvelle chance » lui est donnée. Il endosse l’uniforme de capitaine de la Waffen-SS pour commander une brigade de tirailleurs nord-africains envoyés dans le Périgord faire la chasse aux maquisards. Il est à Paris, caché dans un appartement, lorsque la ville est libérée. Arrêté avec de faux papiers, il est condamné à mort avec ses chefs Bonny et Lafont, ce qui n’émeut pas Mattler qui lui rappelle ses crimes notamment à « Mussidan, le lendemain d’Oradour-sur-Glane. 52 habitants, dont des enfants, exécutés en représailles parce que des résistants avaient attaqué un train de soldats !!! ». Et Mattler de quitter la cellule d’un Villaplane accablé en disant : « J’ai foi en la justice de mon pays. »

Au terme de la lecture du Maillot de la discorde, un premier constat. On ne s’ennuie pas un instant en lisant un scénario dynamique mêlant avec talent histoire sportive et grande histoire. L’action est construite sur l’opposition entre deux parcours de vies, deux morales, deux caractères sans les caricaturer. Le dessin est classique en ligne claire, le décor bien représenté. Une petite réserve tout de même : les visages des personnages auraient pu être plus précis. En tout cas, une lecture à recommander et offrir, notamment aux jeunes, pour leur montrer à quel point le football c’est de l’histoire et que les footballeurs peuvent être des patriotes et aussi… des traitres criminels !

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Paul Dietschy, « Arnaud Ramsay, Étienne Oburie, Le maillot de la discorde », Football(s). Histoire, culture, économie, société [Online], 6 | 2025, . Copyright : Le texte seul, hors citations, est utilisable sous Licence CC BY 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont susceptibles d’être soumis à des autorisations d’usage spécifiques.. URL : https://preo.ube.fr/football-s/index.php?id=989

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Paul Dietschy

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