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Comptes rendus

Pascal Popesco, L’Abécédaire et le Livret. Initiation à la part visuelle de l’écriture en deux leçons

Brigitte Friant-Kessler
Bibliographical reference

Pascal Popesco, L’Abécédaire et le Livret. Initiation à la part visuelle de l’écriture en deux leçons, Strombeek Bever : Les choses imprimées, 2016, 71 pp.

Full text

1C’est un petit volume léger de 70 pages, hors bibliographie, format A5, qui peut se transporter facilement partout et qui est très maniable. Dans ce « livre au titre quelque peu énigmatique », pour reprendre les termes de l’avant-propos, on sent l’expérience professionnelle et pratique de tous ceux dont le métier est à la croisée de l’écriture, du design, de la typographie, et de l’enseignement. Comme son sous-titre l’indique (« Initiation à la part visuelle de l’écriture en deux leçons »), l’ouvrage a aussi une vocation pédagogique, celle de proposer une initiation pour le lecteur. Comme le précise l’auteur, ce lectorat ciblé n’est pas limité : il utilise les termes « vulgariser » et « faire pratiquer la part de visuel de l’écriture » (p. 6). Ce qui frappe dans l’approche de l’auteur et qui fait l’originalité de ce vade mecum pour débutants est surtout la manière d’aborder l’écriture comme un territoire pourvu d’une dynamique, tout comme la culture qu’il décrit comme « étant en marche » (4e de couverture). Écrire visuellement constitue pour Popesco un processus constamment en train de se dérouler sous nos yeux et qui relève d’une mise en pratique dont nous sommes largement les acteurs et les bénéficiaires, et qui participe de nos actions culturelles, au sens le plus universalisant.

2Pascal Popesco est un graphiste, dessinateur, basé en Belgique. Il est aussi formateur, ce qui se sent dans la manière d’aborder le sujet. Il n’est pas étonnant de lire dans ces pages l’attachement profond à l’articulation entre le geste graphique et la production de lettres. À plusieurs reprises, il fait référence au rapport étroit entre tenir un crayon dans la main, dessiner et réaliser une lettre visuellement équilibrée et esthétiquement réussie, peut-être en contrepoint à la culture ambiante d’un tout numérique qui nous fait oublier les fondements de l’écriture. La fin de l’ouvrage qui fait référence aux droits d’auteur s’inscrit dans la même approche pour rappeler à quel point une lettre et la conception-création d’une typographie font œuvre. Si les dessins restent protégés par le droit d’auteur, la création de lettres, de fontes et de polices doit l’être tout autant (p. 61).

3Ne se voulant ni encyclopédique, ni démonstration d’érudition, le fascicule de Pascal Popesco montre qu’il prend néanmoins appui sur une véritable connaissance de l’histoire de l’imprimerie et de la typographie. Les pages 48-55 en sont une preuve. Ces pages consacrées à l’histoire de l’écriture et à la manière dont on dessine les lettres depuis l’Antiquité romaine jusqu’à l’époque contemporaine font directement lien avec la fin de la partie sur l’application pratique où justement il s’agit de créer des histoires à partir de lettres, sur le mode ekphrastique d’une narration qui se développe à partir de ce qui est vu, plus que simplement lu.

4L’auteur intervient dans le milieu scolaire, et à ce titre, nous livre une partie de son expérience avec des élèves, notamment lors de formations pour enseignants. Il entend initier son public et son lectorat à la part ludique que représente le plaisir d’imaginer, de dessiner, voire de personnaliser la typographie. Il demande ainsi à ses élèves de trouver les mots qui sont les plus pertinents pour décrire une lettre en fonction d’une réalisation graphique. Cette démarche est particulièrement intéressante puisqu’on se trouve à la croisée de l’art, du visuel et de l’expression écrite. N’oublions pas que de célèbres artistes, graveurs, ou sculpteurs comme Eric Gill (Gill Sans, Perpetua), mais aussi imprimeurs-libraires ont donné leur nom à des polices typographiques telles que Baskerville ou Garamond, encore utilisées de nos jours.

5La démarche pédagogique de P. Popesco ressemble aussi en partie à ce qui se fait actuellement en matière de typographie émotionnelle, cette activité d’animation graphique qui repose sur la mise en voix des lettres ou d’un texte afin de les faire correspondre par mimétisme au sens du mot, un phénomène qui rejoint les expériences de « l’effet bouba-kiki » en psychologie et sciences cognitives. Les designers de fontes savent depuis longtemps comment se servir de la psychologie typographique. En d’autres termes, si je veux exprimer une émotion comme la colère en dessinant une lettre ou même le mot « colère », je sélectionne un habillage graphique et typographique qui va se rapprocher le plus possible de ma perception de cet affect. Si je choisis d’exprimer la lassitude ou la mélancolie, mes lettres animées vont s’étendre ou s’affaisser. Parfois elles prendront l’aspect visuel et graphique d’un objet ou d’une posture. La couverture de l’ouvrage témoigne ainsi de sa dimension ludique bien que le style de Popesco soit résolument ancré dans une réalité pratique. Il applique des principes théoriques, mais il y a aussi une dimension poétique indéniable dans l’ensemble, et notamment dans le style choisi pour la rédaction de son ouvrage, comme pour souligner que l’un n’est pas incompatible avec l’autre. À la page 30, il décrit un exercice donné à ses élèves dont la tâche consistait à développer un travail pour faire émerger « la magie de l’inscription des écritures ».

6Pour compléter le fascicule qui est proposé par cet auteur, on peut opter pour deux voies, l’une pratique, l’autre plus théorique, tout en combinant les deux. Popesco invite d’ailleurs lui-même son lectorat à proposer des images, « hors de ce livre », à les confronter à son entourage et à son propre environnement en rendant publiques ses réflexions et son expérience. Il précise d’ailleurs, « À vous de développer votre part visuelle de l’écriture ». La suite de cette aventure peut donc, en parallèle, s’envisager sous l’angle de lectures plus denses et théoriques comme les travaux d’Anne-Marie Christin, d’ailleurs cités dans la bibliographie, auxquels j’ajouterais l’ouvrage Just My Type de Simon Garfield, par exemple. Ceux qui souhaitent poursuivre l’exploration de l’écriture visuelle et l’esthétique de la typographie, pourront consulter l’ouvrage sur la page réflexive de Louis Lüthi, notamment inspiré par les jeux d’écriture typographique de l’auteur anglais Sterne qui déjà dans son Tristram Shandy avait anticipé en 1760 ce qui fait la passion et le matériau de l’ouvrage de Pascal Popesco, à savoir, le potentiel illimité et intemporel de ‘la part visuelle de l’écriture’.

7Lien vers le site de l’éditeur.

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Bibliography

AMIC G. Ho. « Emotional typography: The effectiveness of current typographic design categories in eliciting emotion ». International Journal of Visual Design 11:2 (2017):37-44.

BELLANTONI, Jeff et Matt WOOLMAN. Type in Motion: Innovations in Digital Graphics. Londres: Thames and Hudson, 2000.

CARTER, Robert, Sandra MAXA et al. Typographic Design: Form and Communication. Hoboken (NJ): Wiley and Sons, 2018.

GARFIELD, James. Just My Type: A Book about Fonts. Londres: Profile Books, 2010,URL: https://www.simongarfield.com/books/just-my-type/

LÜTHI, Louis. On the Self-Reflexive Page. Amsterdam: Roma Publications, 2010.

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References

Electronic reference

Brigitte Friant-Kessler, « Pascal Popesco, L’Abécédaire et le Livret. Initiation à la part visuelle de l’écriture en deux leçons », Interfaces [Online], 43 | 2020, Online since 15 July 2020, connection on 29 April 2025. URL : http://preo.ube.fr/interfaces/index.php?id=823

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