Introduction : une découverte inattendue en contexte préventif
L’archéologie de la vigne et du vin autour de Clermont-Ferrand
Les plus anciennes traces de la culture de la vigne et de la production de vin en Auvergne remontent au Haut-Empire. Elles proviennent de deux établissements ruraux proches du chef-lieu de la cité arverne, Augustonemetum/Clermont-Ferrand. Le premier a été fouillé en 1993 à Romagnat (Liegard et Fourvel 2017). Parmi les différents bâtiments découverts, l’un d’entre eux se présente sous la forme d’un édifice allongé de 133 m² comportant, en partie ouest, un puissant radier qui soutenait sans doute un sol en mortier de tuileau. Il est délimité à l’est par quatre bassins à cuvette de vidange, désormais interprétés comme des fouloirs. À l’est, la plus grande pièce accueille des foyers et peut-être un pressoir. Ces caractéristiques invitent à interpréter cet ensemble, daté de la fin du iie ou du iiie siècle, comme un bâtiment vinicole comparable à plusieurs exemplaires méridionaux, mais qui pourrait également, selon les fouilleurs, avoir eu d’autres usages (production d’huile de noix).
Le second site a été étudié dans le cadre d’une opération archéologique préventive en 2008, aux Martres-d’Artière (Vallat, Cabanis 2009 et 2011). Daté du iie siècle, il a notamment livré un bâtiment équipé de bassins jumelés à cuvette de vidange ainsi que plusieurs fosses de plantation qui pourraient correspondre à des vignes. Là encore, l’interprétation viti-vinicole semble devoir être privilégiée.
En revanche, les données archéologiques concernant la période médiévale sont presque inexistantes et, bien que les textes mentionnent cette culture, les preuves matérielles reposent exclusivement sur l’archéobotanique (Charmoillaux et al. 2020, p. 75). Cet état de fait n’est pas propre à l’Auvergne et a déjà été relevé pour le Midi de la France, où la documentation est nettement plus fournie pour l’Antiquité que pour le Moyen Âge (Boissinot et Puig 2005). L’existence de vignobles médiévaux ne fait pourtant aucun doute et elle est d’ailleurs bien attestée par les sources écrites (sur les pratiques agricoles dans l’Auvergne médiévale, voir Fournier 1962 et Charbonnier 1980). Ainsi, par exemple, Saint-Pouçain constitue avec Beaune un des deux crus fournissant en « vins de qualité » les caves du pape en Avignon au xive siècle (Renouard 1952, p. 224).
Comme dans la plupart des régions françaises, cette culture a en effet été largement pratiquée jusqu’à la crise du phylloxera. Ainsi, dans son rapport Sur la viticulture et la vinification du département du Puy-de-Dôme présenté en 1863 au ministre de l’agriculture, du commerce et des travaux publics Eugène Rouher, Jules Guyot loue la qualité des vignobles et du vin de ce département. Il signale que, sur les 795 000 ha qu’il totalise, 30 000 ha sont plantés de vignes (Guyot 1863, p. 12), parmi lesquelles dominent les gamays (ibid., p. 62-65). À l’heure actuelle, la viticulture auvergnate est représentée par quelques productions regroupées sous quatre appellations d’origine contrôlée (AOC) : Saint-Pourçain, Côte d’Auvergne, Côte Roannaise et Côte du Forez.
L’opération archéologique
Les fouilles archéologiques préventives menées en 2013-2014 sur le site de l’ancienne gare routière, en préalable à la construction de la Comédie de Clermont-Ferrand – labellisée Scène Nationale –, ont permis de mettre en évidence les premières traces matérielles d’un vignoble d’origine médiévale. L’opération a porté sur une surface de 4 500 m² où, initialement, seuls des vestiges antiques étaient attendus (Ollivier 2023).
Les terrassements préalables à la fouille manuelle ont néanmoins révélé de multiples traces de plantation. Plusieurs dizaines de tranchées ont ainsi été mises au jour. Elles accueillaient plus de 2 000 piquets en bois, dont le très bon état de conservation s’explique – au même titre que l’ensemble des matières organiques – par la forte humidité du milieu d’enfouissement.
Malgré leur caractère limité et sans doute insatisfaisant, les fouilles ont livré des informations importantes sur l’occupation du secteur à la fin du Moyen Âge et au début de l’époque moderne. Elles témoignent du développement d’une agriculture spéculative aux portes de la ville de Clermont, documentée par les vestiges archéologiques (figure 1), le paléoenvironnement et les sources écrites1.
Figure 1 : vue aérienne du site en cours de fouille.
Le site et les vestiges : quelles traces ?
Contexte topographique
Clermont-Ferrand est localisée en partie occidentale de la plaine sédimentaire de la Limagne, à proximité immédiate de l’escarpement de la ligne de faille qui la sépare du plateau des Dômes portant la Chaîne des Puys (figure 2). Créée à l’époque augustéenne, elle fut établie sur une butte marno-calcaire recouverte par les projections volcaniques issues de l’explosion du maar de Jaude, daté par thermoluminescence de 156 000 BP (Miallier 1982 ; Boivin et al. 2004). La butte est cernée par de multiples zones humides qui ont, dans un premier temps, limité l’expansion d’Augustonemetum. Elles sont liées à des résurgences de sources, à des zones d’émergences hydrominérales ou encore à la présence de cours d’eau – les Tiretaines – qui se développent à l’ouest, au nord et au sud de la butte.
Figure 2 : localisation du site de l’ancienne Gare routière.
L’ancienne gare routière est située en partie méridionale de la ville, en fond de vallée de la Tiretaine du Sud. Il s’agit donc d’un secteur marécageux, initialement laissé à l’écart du premier noyau urbain et progressivement investi, à partir de la fin du ier siècle ou du début du iie siècle, après d’importants travaux de drainage. Ce quartier périphérique de l’agglomération antique est alors successivement occupé par une auberge, des maisons de notables ainsi que par des locaux ayant abrité, entre autres, une boulangerie et une meunerie hydraulique. L’évolution du site est en grande partie tributaire de l’activité et de la gestion d’un bras de la Tiretaine qui traverse l’emprise d’est en ouest. Sa canalisation a permis de lotir des zones soumises à une forte humidité et au risque d’inondation, avant que la multiplication des crues n’entraîne, à partir de la fin du iiie siècle, une certaine forme de déprise. L’abandon du site est néanmoins daté de la fin du ive siècle, à une période où l’ensemble de la ville connaît d’importantes transformations. Le bras de la Tiretaine est alors colmaté et le site n’est plus fréquenté avant la fin du Moyen Âge.
Les vestiges
Les vestiges attribués à cette phase ont été détectés, au sud, à la surface des niveaux correspondant à l’atterrissement du cours d’eau et, au nord, dans les couches de destruction du site antique. Leur état de conservation est très variable. Ils sont plutôt bien préservés en partie occidentale de l’emprise tandis qu’à l’est, les tranchées ont le plus souvent disparu et ne sont perceptibles que grâce à des alignements de piquets.
Soixante-treize excavations linéaires ont été recensées. D’une manière générale, elles sont majoritairement orientées Nord-Sud. Les exemplaires qui suivent un axe est-ouest sont beaucoup plus rares et correspondent à des délimitations permettant d’identifier différentes parcelles. En effet, cinq ensembles distincts ont été reconnus, mais aucun en totalité (figure 3). La parcelle I est celle qui couvrait, sur l’emprise de l’opération archéologique, la superficie la plus importante, avec 1 300 m². L’espace entre les parcelles est généralement réduit, à l’exception de celui qui sépare, au nord, les ensembles II et III des ensembles IV et V situés au sud. Sa largeur moyenne est de 2,50 m. Au sein des parcelles, l’espacement entre les rangs – en réalité l’entraxe des alignements de piquets, qui fournit des données plus fiables en raison de la conservation différentielle des vestiges d’un secteur à l’autre – oscille entre 1,58 et 2,96 m pour la parcelle I et entre 1,82 et 2 m pour la parcelle II. Malgré un état de conservation médiocre, le maillage est légèrement plus dense dans les autres parcelles. Les rangs sont ainsi espacés de 1,24 m en moyenne au sein de l’ensemble III, de 1,28 à 2,02 m dans la parcelle IV et de 1,18 à 1,84 m dans la parcelle V.
Figure 3 : plan des vestiges médiévaux et délimitation des parcelles restituées.
Les tranchées sont, nous l’avons vu, inégalement préservées d’un secteur à l’autre. Les mieux conservées sont situées dans l’angle sud-ouest de l’emprise, où leur profondeur atteint 0,80 m. Si leur largeur a pu être mesurée jusqu’à 2,80 m, elle est, pour 92 % d’entre elles, inférieure au mètre (0,60 m en moyenne). La plupart présentent des parois évasées vers le haut et un fond irrégulier, ce qui s’explique sans doute par leur état de conservation dans le premier cas et par la nature des sédiments encaissants, riches en gravats, dans le second. L’analyse de leur comblement n’a pas révélé de traces d’érosion des parois et exclut toute fonction drainante. Il est le plus souvent unique (95,9 % des cas) et sa composition montre qu’il provient des terres extraites lors de l’ouverture des tranchées. Celles-ci ont donc été comblées peu de temps après leur creusement et l’installation des piquets en bois.
Les fouilles ont permis d’en dénombrer 2 073, dont dans de rares cas, de simples trous de piquet, la plupart étant encore en place. Ils sont généralement disposés en bordure de tranchée (67,1 % ; figure 4), parfois en rangs multiples (11 %). Leur examen a montré qu’il s’agissait de bois provenant de saules ou de peupliers. Ils sont grossièrement façonnés, notamment leur partie inférieure taillée à la hache, et certains d’entre eux comportaient encore leur écorce. Sur les 269 piquets étudiés dans le cadre des sondages manuels, 91,4 % étaient placés dans des trous prévus à cet effet (figure 5). Les calages, formés de pierres volcaniques ou de fragments de terre cuite architecturale, sont très rares (8,2 %). Si la longueur des piquets dépend bien évidemment de leur état de conservation – 0,05 à 0,62 m –, leur diamètre est compris entre 0,04 et 0,12 m, avec une majorité de pièces mesurant 0,06 à 0,08 m.
Figure 4 : tranchée avec des piquets disposés en bordure (parcelle II).
Figure 5 : piquets installés dans des trous creusés en fond de tranchée (parcelle II).
Quelques fosses sont attribuées à cette phase d’occupation du site, mais elles ne semblent pas directement liées à l’activité agricole. On pourra signaler, entre autres, une excavation circulaire et parementée qui a pu être utilisée pour le rouissage, de nombreux pollens de chanvre ayant été mis en évidence dans son comblement. Celui-ci a été daté du xvie sièccle.
Hormis ces derniers témoignages, les vestiges à l’emplacement de l’ancienne gare routière s’apparentent clairement à des traces de culture, ou encore de tranchées de plantation. Ils traduisent l’existence de plantations en ligne, mises en place suivant la technique du défoncement en tranchées, dans de petites parcelles séparées par des cheminements d’accès.
La chronologie
La fouille des tranchées de plantation a permis de recueillir 1 106 tessons de céramique. Les productions les plus anciennes remontent au xiiie siècle. La plupart sont néanmoins datées d’une période comprise entre le xive et le xvie siècle, avec de très rares éléments attribuables à l’époque moderne (parcelle I).
Des datations radiométriques ont donc été effectuées pour compléter et affiner ces premières données2. Afin de vérifier l’hypothèse d’un remblayage rapide des creusements, nous avons sélectionné, pour chaque tranchée retenue, un fragment de matière organique issu du comblement (brindille ou carporeste) et un piquet. Les résultats obtenus ont confirmé ce que l’analyse archéologique laissait présager, tout en fournissant une chronologie remarquablement homogène. En effet, à une exception près, les fourchettes obtenues sont centrées sur le xve siècle et leur confrontation a permis de proposer un intervalle probable situé entre les années 1444 et 1472 (figure 6).
Figure 6 : datations 14C.
Les terrains semblent donc avoir été mis en culture de manière systématique à partir du milieu du xve siècle. D’après le mobilier recueilli, l’activité pourrait même avoir débuté un peu plus tôt et avoir perduré jusqu’au début de l’époque moderne. Les indices d’une occupation sur la longue durée sont cependant ténus. La parcelle II est en effet la seule à avoir accueilli plusieurs plantations successives, avec trois périodes distinctes identifiées à partir de la chronologie relative et des orientations des tranchées. En revanche, il n’a pas été possible d’affiner la datation absolue de chacune d’elles.
L’interprétation : quelles cultures ?
La chronologie obtenue grâce à la confrontation des études de mobilier et des datations 14C désigne une période pour laquelle les sources écrites sont nombreuses. Leur analyse était donc susceptible d’apporter des informations complémentaires. C’est plus particulièrement le cas des cultures pratiquées sur place, également documentées par la carpologie et la palynologie.
L’environnement du site d’après les sources écrites
À partir du début du xiiie siècle, la ville de Clermont est ceinturée par un rempart qui, sans doute un peu plus tard dans ce même siècle, englobe le quartier Saint-Genès au sud de l’agglomération (Grélois 2013, p. 72). Le site de l’ancienne Gare routière est alors distant de 400 m environ de l’enceinte (figure 7), à l’écart de la ville mais aussi des faubourgs qui se développent hors-les-murs dès cette époque. Ce secteur correspond aux confins des terroirs de Jaude, des Salins, de la Croix de la Pierre et de Rabanesse. La lecture des sources écrites – principalement les délimitations de droits seigneuriaux et les transactions foncières (AD63 ; textes reproduits dans Ollivier 2023, annexe I) – permet de dresser un portrait général de l’environnement de l’emprise de la fouille au cours du Moyen Âge.
Figure 7 : emplacement du site par rapport aux fortifications médiévales (sur fond cadastral actuel).
Une de ses principales caractéristiques est la présence de la Tiretaine du Sud, qui est à l’origine de l’installation de plusieurs moulins. L’un d’entre eux est localisé immédiatement à l’ouest du site. Au xiiie siècle et jusqu’à la fin du xve siècle, il est qualifié de « moulin Laurens », du nom d’une riche famille propriétaire de plusieurs terrains à la Croix de la Pierre et à Rabanesse. Il est ensuite dénommé « moulin des Pauvres », en référence à l’Hôpital qui possède ce moulin durant l’Ancien Régime, et cette appellation est encore utilisée sur le plan cadastral de 1831.
Le cours d’eau draine une zone principalement occupée par des prés et des parcelles cultivées. Si, aux xe et xie siècle, Rabanesse est une villa, c’est-à-dire un ensemble de terrains exploités et pourvus de petites unités d’habitation, ce n’est plus le cas à partir du xiiie siècle. Le secteur est progressivement dévolu aux seuls espaces non bâtis et il est, dès lors, soumis à une exploitation intensive.
Parmi les cultures maraîchères mentionnées dans les textes, la vigne (vinea/vin (h) a) semble occuper une place particulière. Elle figure dans un acte de 958/959 et apparaît régulièrement dans les sources postérieures, associée aux prés et aux jardins. Dans certains cas, le vocabulaire utilisé fait directement référence au mode de plantation. Les textes emploient en effet le terme trilia/trelia pour désigner des cultures conduites sur des palissages, autrement dit des treilles (Dion 1959 ; à Dijon : Beaulant 2018, § 11). Ailleurs, la vigne peut être qualifiée de plantata/plantada lorsqu’il s’agit d’une plantation récente.
Le secteur de l’ancienne gare routière est donc principalement formé d’espaces ouverts où cohabitent prés et zones cultivées. Leur mise en valeur est due aux grands propriétaires laïcs puis aux seigneuries ecclésiastiques qui, entre autres cultures de rapport, semblent avoir largement privilégié la vigne.
Les données paléoenvironnementales
Les sondages effectués au sein des tranchées de plantation ont donné lieu à des prélèvements sédimentaires systématiques. Au même titre que les textes, l’étude des carporestes et des microfossiles qu’ils contenaient livre des données sur l’environnement du site et sur les pratiques culturales qu’il est possible de restituer.
Le premier constat est celui d’une conquête progressive du milieu au cours de cette période, probablement liée à des opérations de drainage préalables. Les analyses montrent ainsi un recul des essences arborées, des taxons hygrophiles ou aquatiques et des algues. Après les plantes rudérales, les carporestes provenant de la flore sauvage sont principalement issus des adventices des cultures sarclées et des jardins, ce qui traduit l’investissement des lieux et leur mise en valeur. C’est également ce dont témoigne la présence de marqueurs d’érosion, comme le champignon HdV-207 Glomus, traduisant généralement des sols fréquemment remaniés.
L’identification des cultures peut, pour sa part, s’appuyer en premier lieu sur les carporestes identifiés dans les sédiments comblant les tranchées. Il s’agit cependant d’indices indirects puisque ces dernières ont été rapidement obturées après leur creusement. Elles n’ont donc pas pu piéger les macrorestes issus des plantations elles-mêmes, mais peuvent contenir, en revanche, le témoignage de cultures pratiquées alentour, à plus forte raison si l’on considère qu’elles ont pu être utilisées pour amender le terrain (fumures par exemple). L’étude a ainsi révélé une importante quantité de carporestes de vigne cultivée (Vitis vinifera). Ils forment 14,9 % des taxons identifiés pour cette période et 37,3 % des fruitiers qui, pour leur part, totalisent 47,7 % du nombre de restes. À titre de comparaison, sur le site, Vitis vinifera représente 1,5 % des restes recensés dans les prélèvements issus des contextes antiques et 20,3 % des fruitiers. Même si ces résultats doivent, nous l’avons vu, être maniés avec prudence, ils montrent au moins la présence de vignes à proximité immédiate du site.
Les données fournies par l’analyse palynologique sont complémentaires et, d’une certaine manière, peut-être plus fiables. En effet, les pollens de vigne cultivée – qui ne peuvent être distingués des pollens de vigne sauvage – ont une très mauvaise dissémination et sont excessivement mal représentés dans les diagrammes polliniques des régions viticoles actuelles (Bouby et Marinval 2001, p. 17-18). Le taux de Vitis y excède rarement 0,5 %, sauf dans des contextes particulièrement favorables à leur conservation, comme les mousses situées au pied des ceps (Gauthier et Joly 2003, p. 204-205). Sur le site de l’ancienne Gare routière, trois échantillons ont respectivement livré 0,62 %, 0,97 % et 1,47 % de pollens de vigne, ce qui constitue donc un bon indice sur la nature des cultures pratiquées sur place.
Synthèse des données et discussion
La vigne semble donc occuper une place importante parmi les productions agricoles de ce secteur de Clermont, exploité de manière intensive à partir du xiiie siècle. Les terrains sont alors mis en valeur et leurs propriétaires, laïcs puis ecclésiastiques, y ont naturellement privilégié les cultures de rapport (voir l’apport de l’étude des textes dans Ollivier 2023, p. 119-123). Datées du milieu du xve siècle – avec une probable poursuite de cette activité au début de l’époque moderne –, les plantations du site de l’ancienne gare routière s’inscrivent pleinement dans ce mouvement et la vigne semble, d’après les données paléoenvironnementales, bien représentée.
Les cultures se caractérisent par des tranchées au sein desquelles de multiples piquets en bois ont été installés pour conduire les plants. Leur utilisation systématique fait écho à une particularité locale – mais plus récente – soulignée par Jules Guyot dans son rapport déjà mentionné de 1863. Il signale en effet que « le Puy-de-Dôme n’hésite pas à porter à l’extrême l’emploi des échalas dès le début des plantations et à tous les âges des vignes » et ajoute, non sans quelque flagornerie à l’égard des viticulteurs auvergnats, que la :
coutume la plus générale et la plus ancienne consacre deux échalas au moins, souvent trois et parfois quatre échalas, de 2 mètres de longueur, à chaque souche, et l’emploi de ces échalas, aussi intelligent et aussi efficace que possible pour développer et entretenir la fécondité de la vigne, prouve que le vigneron du Puy-de-Dôme ne recule pas plus devant la dépense que devant le travail pour arriver à un résultat important et rémunérateur. (Guyot 1863, p. 31)
Le médecin-hygiéniste indique par ailleurs que les échalas étaient confectionnés à partir de saules, de peupliers et de sapins (ibid., p. 42), les deux premières essences étant précisément celles qui ont été identifiées sur le site.
En revanche, et bien qu’elles respectent l’orientation préconisée par le Docteur Guyot (ibid., p. 17-18), la morphologie des tranchées pourrait surprendre dans le cas d’un vignoble. Les ceps sont généralement plantés à une faible profondeur et la viticulture ne nécessite donc pas, a priori, des défoncements importants. Toujours selon Jules Guyot, ils ne sont indispensables que lorsque le substrat est riche en pierres ou en cas d’humidité du terrain. Les creusements peuvent alors atteindre 0,60 à 1 m (ibid., p. 13-14). Ces deux conditions sont réunies sur le site de l’ancienne gare routière, où le sous-sol est marqué par la présence de nombreux débris architecturaux et une forte humidité, ce qui explique sans doute, au moins en partie, la profondeur de certaines tranchées.
On pourrait également objecter l’absence de traces de provignage dans la mesure où elles sont régulièrement utilisées comme un critère diagnostic pour identifier un vignoble. Il est cependant possible d’envisager la réalisation de provins dans les tranchées elles-mêmes et non perpendiculairement, à l’image de ce qui a pu être mis en évidence en Roussillon entre le xiie siècle et le milieu du xive siècle (Boissinot et Puig 2005, p. 22-23), ou encore l’absence de recours à cette technique, semble-t-il peu répandue dans les vignobles du Puy-de-Dôme au xixe siècle (Guyot 1863, p. 23-24).
Enfin, il est surprenant que les piquets soient conservés et non les ceps. Parmi les explications possibles – on pourrait par exemple songer à un arrachement volontaire –, l’hypothèse selon laquelle le vignoble aurait été constitué de jeunes pousses et formerait donc une pépinière peut s’appuyer sur l’usage, dans les textes, du terme plantata/plantada, qui désigne une vigne récemment plantée.
Conclusion
Les traces de plantation du site de l’ancienne gare routière peuvent donc vraisemblablement être interprétées comme les vestiges d’un vignoble. Les textes mentionnent à de multiples reprises des vignes dans ce secteur de Clermont, les études paléoenvironnementales montrent leur présence à proximité et de nombreux parallèles peuvent être établis entre les découvertes archéologiques et les pratiques culturales en usage chez les vignerons du Puy-de-Dôme avant la crise du phylloxéra.
Les vignes représentent pour leurs exploitants une culture à fort rendement, sur des terrains de plus en plus intensément exploités et proches du marché urbain. Le cas de figure clermontois n’est pas isolé. De nombreuses villes médiévales voient s’installer, durant la même période, des vignes à leurs portes. Pour ne citer que des exemples situés dans les plus importantes régions viticoles actuelles, c’est bien sûr le cas de Bordeaux (Lavaud 2013, § 12-13) ou encore de Dijon, comme le montre notamment le plan dressé par Édouard Bredin en 15743 (Garcia 2012 ; Beaulant 2018).
Cette découverte permet en outre d’enrichir le très mince dossier archéologique de la culture de la vigne en Auvergne au Moyen Âge, qui, jusque-là, était uniquement alimenté par des vestiges relevant d’établissements ruraux des iie-iiie s. Le site de l’ancienne Gare routière est d’autant plus exceptionnel qu’il est localisé dans un secteur aujourd’hui fortement urbanisé. S’il a bénéficié de très bonnes conditions de conservation, il ne constitue sans doute pas pour autant un cas particulier au regard de ce que la documentation écrite nous apprend sur l’occupation du sol en périphérie des villes médiévales et modernes. Dans ce type de contexte, l’archéologie préventive fournit les meilleures opportunités pour compléter nos connaissances en la matière. Cela implique cependant qu’une attention particulière soit portée, lors des diagnostics, aux couches supérieures de la stratigraphie et à des traces trop souvent négligées en raison de leur caractère récent supposé.