Introduction. Se visualiser : chercher une culture visuelle des sororités
Beaucoup accusent les Sororités d’être trop élitistes et de favoriser un système de classe. Mais vous savez quoi ?! La vie est un système de classe.
– […] Je vais être directe, je déteste les Sororités et je vous déteste. […] Vous représentez tout ce qui ne va pas chez les jeunes femmes d’aujourd’hui et je compte bien faire tout ce qui est en mon pouvoir pour détruire ce petit royaume que vous appelez Sororité. […] Cette année Kapa a pour obligation d’accepter toutes celles qui voudront devenir postulantes. Si vous êtes inscrites dans cette université, vous avez le droit de postuler pour espérer devenir une Kapa Kapa Tau. Leurs portes sont ouvertes à toutes !
Chanel Oberlin et Cathy Munsch dans Scream Queens, (Fox, 2015-2016), 05’00 et 15‘40 (S01E01)
Que fait Chanel Oberlin (Emma Roberts), alors cheffe de l’association étudiante Kapa Kapa Tau locale, lorsqu’elle annonce ouvertement utiliser les Sororités1 universitaires pour s’élever socialement ? Et en retour, quelles sont les intentions de la doyenne Cathy Munsch (Jamie Lee Curtis) en obligeant Chanel à intégrer toute aspirante d’origines différentes qui postulerait pour rejoindre l’association ? Ont-elles les mêmes définitions de la sororité et du féminisme ? Inspirées des slasher américains2 et de la saga Scream (Wes Craven, 1996), les héroïnes de la série Scream Queens offrent plusieurs visions du féminisme où se télescopent deux images sororales différentes3. La première profite d’un système élitiste et conservateur. La seconde est une féministe réformatrice. Or Chanel et la doyenne Munsch4 ne sont pas les seuls personnages à incarner la sororité sous toutes ses formes dans les séries contemporaines5. Même si de plus en plus de personnages de séries partagent des points de vue féministes avec le public, les nombreuses images diffusées et présentées comme sororales échouent souvent à en donner une définition claire6. Aussi, la popularité de ces objets de culture visuelle7 est une invitation à requestionner l’usage de certaines images pour traiter de sororité comme pratique politique, attitude féministe, ou posture éthique. Pour comprendre les enjeux de la sororité est-il alors pertinent d’utiliser internet ou les plateformes de streaming afin de trouver des séries à regarder pour en apprendre davantage ? La découverte du sujet peut-elle se faire par l’image audiovisuelle, par la scénarisation fictionnelle de problématiques contemporaines8 ?
La proximité de certaines séries avec notre quotidien montre que la culture populaire9 contribue à l’incorporation10 des expériences sororales dans les pratiques de tous les jours11. En « agissant » dans notre quotidien, les images en jeu nous occupent, mais semblent également « s’occuper » de nous12. Partant du travail de Stanley Cavell sur les propriétés transformatrices du cinéma, Sandra Laugier décrit le potentiel « éducatif » des séries télévisées13. Selon la philosophe, ces dernières sont « qu’on le veuille ou non, le lieu de l’éducation d’individus qui reviennent ainsi à une forme de perfectionnement subjectif par le partage et le commentaire d’un matériau public et ordinaire, intégré dans leurs vies14 ». Elle précise également que « les séries contribuent aujourd’hui à la formation morale, philosophique et même politique du public15 ». Pour reprendre l’analyse de la philosophe en l’adaptant au thème de ce dossier, le sujet d’une série peut en effet traiter de sororité en conduisant le public à ressentir de l’empathie pour les personnages. Aussi, en suivant Sandra Laugier qui propose de considérer l’agence des séries et leur capacité à prendre soin de nous avec la notion de care16, il est effectivement possible d’envisager le caractère sororal de certaines d’entre elles. Tout en prenant appui sur quelques références théoriques importantes des études féministes, queer, écoféministes ou des humanités écologiques, cet article s’intéresse aux images qui construisent une définition extensive de la solidarité entre femmes, en figurant la sollicitude, le care, l’empathie, ou le partage collectif de valeurs féministes. À cet effet, l’enquête iconologique17 qui suit a été élaborée à partir d’un corpus d’une vingtaine de séries populaires sélectionnées en prenant en compte l’importance donnée au motif sororal dans les arcs narratifs et la construction des personnages principaux. Cette étude des images sérielles met à l’épreuve une typologie de différentes formes de sororités : filiale et amicale (sœurs), universitaire (associations académiques), politique (féminismes), interspéciste (écologismes).
L’étude présentée ici pose alors l’hypothèse que les séries télévisées font effectivement la démonstration du processus sororal. En présentant des personnages en mouvement qui montrent avec exactitude comment la mettre en œuvre, les descriptions audiovisuelles offertes par les séries donnent plusieurs définitions de la sororité. Néanmoins, l’enquête iconologique propose un prolongement de l’observation de Sandra Laugier. Si la philosophe a raison de penser que les séries ont la capacité de nous éduquer, peut-être faut-il insister sur le fait que ces dernières mènent également à l’autoévaluation et à la réflexivité18. La réflexivité des séries à figurer le réel a déjà fait l’objet de plusieurs analyses par Umberto Eco ou Hervé Glevarec19. Qu’en est-il alors de ce que les séries nous font lorsqu’on les regarde ? Quels sont les potentiels ajustements comportementaux qu’elles induisent ? De quelle manière les séries peuvent-elles nous aider à être sororales si l’on ne sait pas en quoi consiste la sororité ? L’objectif de cet article est de démontrer que les images sérielles du corpus étudié figurent des gestes, montrent des personnes en accompagner d’autres, et invitent à se représenter, à comprendre, à imaginer les manières d’engager nos corps et notre temps pour soutenir quelqu’un, partager ses peines, lutter ensemble pour des causes communes, partager des compétences et vivre une expérience collective. Certaines séries du corpus déploient d’ailleurs une dimension véritablement meta-sororale. En entreprenant volontairement de nous apprendre à être sororales, elles proposent une mise en abyme de la sororité, et une démonstration par l’image qui figure des personnages, des gestes et des attitudes. L’auto-analyse est sans doute l’une des conséquences réflexives produites par les séries qui nous montrent alors comment faire. En grandissant avec elles, en les regardant quotidiennement durant plusieurs années, les séries nous aident à évaluer notre propre capacité à être sororales, et à opérer les ajustements nécessaires à notre attitude, à nous adapter, être à l’écoute, « faire avec »20. Il ne s’agit pas ici de voir les personnages des séries comme des miroirs de nous-même, ni seulement comme des agents poussant à l’identification ou au mimétisme, mais de les considérer comme un outil réflexif. Que ferais-je si j’étais dans la situation de cette héroïne, que m’apprend-elle sur ma vie, et en conséquence, quelle portée ont mes actes sur mon avenir et sur les autres ?
Au regard des problématiques qu’elles abordent et de celles que nous rencontrons dans nos vies, qu’est-ce que ces images qui peuplent notre quotidien nous font alors penser de nous-même ? Des relations entre sœurs jusqu’aux puissances de la coopération et du partage d’expériences en non-mixité, les parties qui suivent interrogent le pouvoir d’agir et les définitions données par ces différentes images de la sororité dans les séries. Enfin, l’enquête iconologique se termine par la description d’une autre forme de sororité décelée dans les fictions les plus récentes du corpus qui s’intéressent aux crises environnementales. Ces images semblent nous inciter à réfléchir sur les destinataires de notre sororité, ainsi que sur les différentes manières d’y parvenir. Aussi, les séries de cette dernière catégorie du corpus offrent une description audiovisuelle convaincante de la sororité inter-espèce et voient l’émergence de gestes éco-sororaux que je propose de définir à la toute fin de ce texte.
Se reconnaître : agir en sœurs
La première définition télévisuelle de la sororité renvoie directement à l’étymologie du terme soror. Dès les années 1960, les héroïnes de plusieurs séries sont des sœurs, que l’on peut répartir en plusieurs catégories relationnelles. Les premières sont des « sœurs germaines ». Ainsi, My Sister Eileen (CBS, 1960-1961), La Petite Maison dans la prairie (NBC, 1974-1984), Sisters (NBC, 1991-1996) ou Sister, Sister (ABC, The WB, 1994-1999) et d’autres, montrent plusieurs images alternant rivalités et soutiens entre sœurs de pères et de mères. Ces fictions ont en commun de résoudre les conflits affectifs et les jalousies grâce à l’amour filial qui cimente les relations. Les séries mettant en jeu l’amour entre sœurs tout en abordant des sujets ouvertement féministes comme Fleabag (BBC Three, 2016-2019), This Way Up (Channel 4, 2019-2021), ou Nona et ses filles (Arte, 2021) n’arrivent que bien plus tard sur les écrans. Les séries traitant de familles recomposées comme Step by Step (ABC, CBS, 1991-1998), Famille d’accueil (France 3, 2001-2016), ou The Fosters (ABC, Freeform, 2013-2018) présentent souvent une deuxième catégorie de « sœurs de remariages ou d’adoptions », dont les liens se renforcent avec le temps.
Les séries présentant des « sœurs de sang(s) » figurent un troisième type de relations. Charmed (The WB, 1998-2006), Buffy the Vampire Slayer (The WB, UPN, 1997-2003), Witches of East End (Lifetime, 2013-2014), Motherland: Fort Salem (Freeform, 2020-2022), ou Filles du feu (France 2, 2023), montrent des images caractérisant les liens de sang comme un puissant pouvoir. Issu d’hérédités biologiques ou magiques, le sang est réunificateur. Ici les héroïnes partagent des sentiments envers toutes les sorcières, ou femmes qui possèdent les mêmes pouvoirs par le sang. La sorcellerie et les connexions magiques sont alors un symbole écoféministe puissant permettant de figurer une énergie régénératrice unifiant les corps pour se protéger mutuellement. Enfin, à partir des années 1990, certains personnages incarnent des « sœurs de cœur ». Les fictions se concentrent sur les relations choisies, sincères et les attachements véritables entre femmes. Sex and the City (HBO, 1998-2004), Girlfriends (UPN, The CW, 2000-2008), Broad City (Comedy Central, 2014-2019), G.L.O.W. (Netflix, 2017-2019), ou Las Chicas del Cable (Netflix, 2017-2020) et On the Verge (Canal+/Netflix, 2021) offrent des images sororales évoquant le soutien, la compassion et les amitiés profondes. Or l’attachement singulier, voire exclusif, semble effectivement différencier ces quatre types de relations entre sœurs, d’une autre catégorie définissant la sororité en féminismes.
Dans les années 1980, bell hooks (Gloria Jean Watkins) précise que, lorsqu’elle est féministe, la sororité ne relève pas de relations filiales, de camaraderies entre filles, d’amitiés, de rapports amoureux, ni même d’un soutien ponctuel. Les liens d’amitié ne sont pas nécessaires pour faire preuve de sororité envers une autre femme21. Ce que les femmes sont prêtes à faire entre elles au nom de l’amitié ne rend pas, de fait, leurs actions sororales. Il n’est en effet pas si facile de faire preuve de sororité dans un monde qui nous a tous·tes mis·es en concurrence depuis notre enfance. Ce phénomène est d’ailleurs bien visible dans les images de Girls (HBO, 2012-2016), qui dépeignent visuellement ce qui pousse certaines femmes à s’imaginer comme des rivales. Comment peut-on alors ressentir de l’empathie pour une femme qui n’est ni notre sœur germaine ni notre amie, et qui ne vit pas la même chose que nous ? En tentant de faire raisonner les voix des femmes racisées, hooks répond qu’il faut réfléchir à l’intersectionnalité et à ce qui nous rassemble malgré nos différences. Que l’on ait été exposées ou non à un même type de violence (psychologiques, discriminatoires, sexistes ou sexuelles), l’autrice nous invite à interroger et à trouver les points communs que l’on peut avoir avec cette femme qui semble pourtant si différente de nous. Elle rappelle également que d’une manière ou d’une autre, nous subissons toutes et tous le poids du patriarcat22. hooks essaye alors de comprendre de quelles manières se soucier des autres femmes, se reconnaître en « sœurs ». D’autres séries s’efforcent également d’ouvrir les frontières de la sororité en reliant valeurs familiales et politiques à travers cette cinquième catégorie de « sœurs en féminismes ». En cela, Good Trouble (Freeform, 2019-2024) présente différentes images sororales où les sœurs d’adoption, de cœur et féministes se rencontrent dans la vie comme dans les luttes. Entre refuge et colocation, gérée par Alice Kwan (Sherry Cola), en tant qu’espace coopératif, la Coterie accueille et entretient ces sororités avec bienveillance.
Se comprendre : réfléchir grâce aux représentations meta-sororales
Dès la fin des années 1990, de nombreuses séries se déroulent dans les Sororités universitaires. The Student Body (YTV, 1997-2000), Sorority Life (MTV, 2002-2003), Sorority Forever (TheWB.com, 2008), Greek (ABC Family, 2007-2011), ou Sorority Girls (E4, 2011), etc., dessinent une vision des relations entre femmes calquée sur la compétitivité des Fraternités traditionnelles – en témoignent les mises en concurrence systématiques et les bizutages sélectifs. Les nombreuses descriptions relationnelles diffusées dans ces séries pourraient induire que les Sororités universitaires ont partie liée avec la notion de sororité dont il est question dans ce dossier. Or, selon bell hooks, les associations universitaires (Sororities), et certains groupes de femmes, en livrent une définition problématique, comprise alors comme une sorte de « nouveau rempart à la réalité, un nouveau refuge protecteur », une vision de la solidarité entre femmes « influencée par des projections racistes et classistes sur la féminitude blanche », imposant « aux sœurs de s’aimer “inconditionnellement”, d’éviter les conflits et de minimiser les désaccords, de ne surtout pas se critiquer, et encore moins en public ». De son point de vue : « pendant un temps, ces conditions ont créé une illusion d’unité, neutralisant la compétition, la méfiance, les désaccords23 » entre femmes.
Avec le recul de ces dernières années, la série américaine Scream Queens24 propose certainement l’une des remises en question du féminisme de droite la plus convaincante. Véritablement meta-sororale, la première saison se déroule sur le campus de la Wallace University et présente une succession de meurtres ciblant une association étudiante de femmes (non mixte). En continuant de favoriser exclusivement de jeunes bourgeoises blanches et valides, la Sororité, dont l’antenne locale est dirigée par Chanel Oberlin, encourage la discrimination, le sexisme et le validisme. Le ton est posé dès l’épisode pilote, où en tant que présidente nationale de Kapa Kapa Tau, Gigi Caldwell (Nasim Pedrad) affirme que « le blanc c’est de rigueur que ça soit en termes de peau comme de vêtement » (S01E01). Afin de faire bouger les lignes dans une institution conservatrice, scandalisée par ces pratiques, la doyenne Munsch tente de redonner un sens politique au concept de sororité dont les Sororités universitaires sont dénuées. Aussi s’affaire-t-elle à démanteler le royaume de Chanel qui reproduit en creux le sexisme et la compétition. Selon bell hooks, il nous faut justement désapprendre le sexisme aux femmes pour qu’elles unissent leurs compétences vers une solidarité politique : « L’acception de l’idéologie sexiste, écrit-elle, s’exprime quand des femmes apprennent aux enfants qu’il n’y a que deux schémas comportementaux possibles : la domination ou la soumission. Le sexisme nous enseigne la haine des femmes et, consciemment ou non, nous reproduisons cette haine dans nos interactions quotidiennes avec d’autres femmes25 ».
Leader du « New New Feminism », se situant ouvertement à gauche du prisme politique, la doyenne Munsch termine la saison en résumant ainsi les objectifs de son programme : « […] il suffit de regarder l’histoire de l’humanité, dit-elle à une assemblée de femmes, si vous prenez les guerres, les génocides, toute l’oppression la violence, l’exploitation, la dégradation de l’esprit de l’humanité, qu’est-ce que toutes ces notions ont en commun ? Les hommes ! […] Peut-être que tout irait mieux si les femmes dirigeaient tout ce qui peut l’être » (S01E13)26. À partir d’un organisme associatif élitiste, l’exercice d’un féminisme radical conduit à une solidarité entre femmes. Au fil de la série, la définition dominante de la sororité, comme simple lieu rassemblant celles qui se ressemblent (bourgeoises blanches), se transforme pour valoriser toutes les femmes dans un monde ultra-compétitif (l’université). Puisqu’elle interroge tout du long la question de « la bonne féministe » en non-mixité (S01E11), la série aide d’ailleurs à imaginer ce déplacement. Tout comme Scream Queens, d’autres séries requestionnent les visions molles, floues et superficielles de la sororité. Elles aident à comprendre les enjeux de cette pratique, qu’on l’envisage comme une expérience collective, une valeur, ou une « posture27 ». Car souvent réduites à une entraide entre femmes, les actions sororales sont parfois vidées de leur caractère politique. Les intentions meta-sororales de ces fictions engagent alors notre propre réflexivité et interrogent les manières d’être sororales en féminismes.
Afin d’aider à incorporer le concept de sororité, Bérengère Kolly propose d’utiliser le verbe « sororiser ». Selon elle, ce néologisme traduit mieux l’action sororale. Comme elle le rappelle, ce verbe n’existe pas encore dans le dictionnaire, mais renvoie à la dimension collective de la pratique. Être sororale, faire preuve de sororité, de sororalité (encore un cran au-dessus), « sororiser » : ces verbes et substantifs « zombies28 » sont employés pour nous faire comprendre l’agence de termes dérivés du latin classique sorror, sororis, sororem, dont on nous dit qu’ils ont un rapport avec ce qui se ressemble29. Mais puisqu’à l’évidence toutes les femmes ne se ressemblent pas, est-ce que cette définition, représentée dans les premières séries de « sœurs » et de Sororités universitaires, n’est finalement pas un frein à la sororité ? C’est ici le propos de Merle Grimme, la réalisatrice de Clashing Differences (ZDF, 2023). Dans cette fiction allemande, l’association féministe House of Womxn, tenue par des femmes blanches hétérosexuelles, rassemble plusieurs militantes racisées, queer ou atteintes de handicaps, pour écrire un « manifeste » devant montrer que toutes les femmes sont unies en féminismes. Alors qu’elles vivent les discriminations et toutes sortes de violences de façons différentes, la série rend compte des difficultés rencontrées par toutes ces femmes tentant de se singulariser face à une cause prétendument « commune ». C’est précisément ce qui occupe bell hooks lorsqu’elle propose de requestionner l’idée « d’oppression commune » lancée par les féministes radicales blanches de son époque. Si toutes les femmes subissent le sexisme, tous les types d’oppressions ne se valent pas dès lors qu’on ne partage pas les mêmes conditions sociales, raciales, physiques ou académiques. hooks déplore alors que la première cause d’unions dans le féminisme soit la victimisation partagée des femmes face au patriarcat, plutôt que l’alliance « sur la base de forces et de ressources partagées30 ». Elle précise que la solidarité politique se joue justement à partir de la diversité, du respect des différences et des désaccords faits d’incompréhensions ou de défauts de communication. Elle conseille alors l’écoute des différences pour mieux se comprendre sans s’instrumentaliser les unes les autres dans la lutte. Mais également de se réunir autour de l’intérêt commun d’abolir les violences faites aux femmes, le sexisme et les discriminations, de s’accorder sur des valeurs partagées31. Comme le rappelle Éric Macé, si nous ne connaissons plus aujourd’hui les formes généralisées et excessives du patriarcat, nous avons malheureusement hérité des effets négatifs de son programme qui prennent différents aspects32. Les images de Clashing Differences, questionnent l’intersectionnalité et invitent justement à réfléchir, avec soin, aux expériences de chacune d’entre nous qui se traduisent en compétences.
S’engager : coopérer pour développer la puissance des femmes en féminismes
Qu’est-ce alors que la sororité, que Geneviève Fraisse désigne comme le point d’orgue de la « puissance » féministe33 ? Chloé Delaume le rappelle récemment lorsqu’elle écrit que « la sororité est un outil. Un outil de puissance, une force de ralliement, la possibilité de renverser le pouvoir encore aux mains des hommes34 ». Puissance donc, un terme qui sonne comme un mot de ralliement – à ne pas confondre avec le pouvoir, souvent utilisé pour dominer les autres. On ne peut qu’apprécier cette idée, car être puissantes ce n’est pas avoir du « pouvoir sur » autrui, et l’activiste écoféministe Starhawk l’a déjà bien enseigné, c’est faire appel au « pouvoir du dedans35 ». C’est de cette sororité-là qu’il s’agit lorsque June Osborne (Elisabeth Moss), l’héroïne de The Handmaid’s Tale (Hulu, 2017+), trouve toute la force, la puissance nécessaire dans Mayday, un organisme sollicitant la coopération entre femmes pour se sauver elles-mêmes ainsi que les enfants (S03E13). Les scènes ne montrent alors que des images de femmes qui s’engagent à l’écran. Dans la dernière saison, la liberté de sa fille, Hannah, âgée de douze ans est menacée. Elle doit intégrer une école de formation pour Épouses. En tentant d’empêcher l’institutionnalisation légale du mariage et du viol sur mineures, le combat sororal que mène June est directement politique (S04E05). Si la sororité est politique, c’est bien parce qu’elle est une réponse à des actions qui nous engagent face à des situations de violences physiques et psychologiques, de discrimination, de racisme et de sexisme qui se répètent. La puissance des femmes est dans l’alliance, la coopération et l’engagement collectifs : facteurs déterminants de résistances, d’oppositions et de transformations.
À l’échelle d’un groupe, la collaboration précoce entre « filles » pour s’approprier les rues de la ville est bien décrite dans la série pour adolescents Betty (HBO, 2020-2021). Dans Sex Education (Netflix, 2019-2023), les collègues d’Aimee Gibbs (Aimee Lou Wood) partagent son traumatisme lorsqu’elles font front toutes les six au fond du bus dans lequel elle a subi une agression sexuelle. Les séries Orange is the New Black (Netflix, 2013-2019) et Good Girls (NBC, 2018-2021) figurent des femmes en difficulté partageant leurs compétences pour supporter de vivre en milieux précaires (prison, foyers instables, etc.). Les fictions comme Yellowjackets (Showtime, 2021+) et Big Little Lies (HBO, 2017-2019) mettent en scène des groupes de femmes très différentes les unes des autres qui se protègent mutuellement suite à un stress post-traumatique (grave accident et ses conséquences), ou à des violences physiques et psychologiques (un homme abusif et dangereux). Ici, ces femmes font alliance, elles coopèrent. Les images montrent des vies menacées et plusieurs stratégies de préservation, de défense et de reconstruction opérées par des femmes prenant ensemble des décisions difficiles. Ces séries ont en commun de donner une forme visuelle à la puissance des femmes qui luttent contre un même oppresseur, qu’elles en soient elles-mêmes victimes ou non. La sororité se retrouve également lorsque les écrans sont saturés de femmes cisgenres, lesbiennes, queer et trans comme dans Vida (Starz, 2018-2020).
Se retrouver : communiquer et partager ses connaissances en non-mixité
Se retrouver autour de valeurs partagées n’est plus une utopie. Un large corpus iconographique et textuel rend compte de moments importants où les femmes discutent, coopèrent et partagent leurs connaissances et compétences, dans l’objectif de s’émanciper de l’esprit compétitif et parfois dangereux forgé par les nombreux arrangements patriarcaux36. Ces femmes s’accordent sur l’idée qu’il faut sortir des patriarcats historiques traditionnel et moderne. Depuis les figures mythiques des Amazones37 ou des Valkyries, les femmes se rassemblent et communiquent, apprennent les unes des autres. Du Cercle de Sappho38, à Christine de Pisan (1405)39, aux Béguines médiévales d’abord sous la tutelle de l’Église40 puis autonomes, aux Clubs de femmes patriotes de la Révolution française (1789-1799)41, ou sous la Commune (1871)42, aux Salons littéraires de femmes (xviie-xixe), aux Suffragettes (xixe-xxe), aux réunions Tupperware des années 195043, et à beaucoup d’autres moments en non-mixités, les femmes opèrent un geste politique : se parler, s’informer et s’organiser dans l’objectif de se défaire du regard patriarcal.
Dans les années 1970, les rassemblements en non-mixité prennent une tout autre forme dans la lutte, notamment avec les Terres de femmes dans les régions rurales. En étudiant les camps de l’Oregon (USA), Françoise Flamant précise qu’il s’agit de femmes se réunissant pour échapper aux violences sexistes et sexuelles, ainsi qu’aux discriminations dont elles sont l’objet, notamment en tant que lesbiennes. Les questions écologiques et la décroissance sont souvent au cœur des modes de subsistance et de gouvernance appliquées dans ces lieux44. Leur démarche est éminemment politique, féministe et queer. Plusieurs séries montrent des images de territoires intégralement organisés matériellement et politiquement par des femmes. Top of the Lake (BBC Two, Sundance Channel, UKTV, 2013) présente « Paradise », un lieu désuet, protégé par GJ (Holly Hunter), accueillant les femmes brisées. Godless (Netflix, 2017), figure l’organisation et l’architecture sociale de « La Belle », une ville désertée par les hommes (tués ou disparus), reprise par les femmes qui la construisent et la défendent. Deux autres séries montrent, par la force des choses (un virus a tué tous les hommes cisgenres), des organisations politiques matriarcales ou gérées par des femmes : Y, The Last Man (Hulu, 2021) et Creamerie (TVNZ 2, BrutX, 2021). The Lost Flowers of Alice Hart (Prime Video, 2023), présente les drames accueillis à Thornfield, une ferme horticole de fleurs endémiques aux terres sauvages d’Australie. June Hart (Sigourney Weaver) y sauve et protège comme elle peut de nombreuses femmes des violences domestiques et sexuelles, qui touchent davantage les femmes Aborigènes mais aussi celles de sa propre famille. June rappelle également la présence des puissances lesbiennes dans ces formes de luttes. Vers la fin des années 1990, les territoires de femmes sont de plus en plus présents dans les villes. Dans The L Word (Showtime, 2004-2009), la commune de West Hollywood à Los Angeles accueille le lesbianisme et certaines femmes désirant vivre en quasi non-mixité. Ici les héroïnes s’accordent sur des valeurs communes, vivent et s’aiment entre femmes. Même si les rivalités existent également entre elles, la fiction montre explicitement que face à la majorité hétérosexuelle, leur liberté dépend de leur capacité à s’allier politiquement et territorialement.
Se respecter : fabriquer des images éco-sororales ?
– J’en ai entendu un autre la nuit dernière. Où est-il ?
– S’il y a un mâle quelque part, je t’aiderai à le trouver.
– Je veux être mère encore une fois […]. Nous partageons le monde, tout ce qu’il compose. Et quand il y a moins, nous sommes moins. Est-ce ainsi pour toi ? Nos jeunes, n’émergent ni ne sombrent par le souffle. Ils nous quittent pour aller au loin. Nous les regardons disparaître. Tous les miens ont suivi ce chemin […].
– Tu as dit que lorsque vous sombrez, alors, tout recommence. Vous devenez tout ce qui va suivre. Vous restituez ce qui a été pris c’est ça ?
– Oui…
– Il est possible qu’un jour il y en ait d’autres comme vous […] Cela prendra du temp. Nous ne serons plus là pour le voir. Mais ce que tu m’as raconté, tout ce que l’on s’est dit l’une à l’autre, cela nourrira les baleines à venir. »
Extrapolations (Apple TV+, 2023), 16:10 et 39:55 (S01E02)
Tiré de la série Extrapolations, ce dialogue illustre une conversation entre une baleine à bosse femelle et une biologiste-zoologue du nom de Rebecca Shearer (S01E02)45. Créée par Scott Z. Burns, cette fiction d’anticipation pose plusieurs hypothèses de dégradations naturelles et sociales pour les cinquante prochaines années, causées par les conséquences de l’industrialisation et de la vie capitaliste. Assise devant le tableau de contrôle de diffusion sonore d’une station sous-marine, Rebecca débute un échange enregistré le 18 août 2046 pour Menagerie 2100, une firme qui collecte et revend l’ADN d’animaux en voie de disparition en vue du futur clonage des espèces pour les réintroduire. Elles communiquent grâce à une technologie qui traduit les sons d’un côté comme de l’autre pour produire un langage intelligible pour les deux espèces. Une relation de confiance s’installe entre elles. Leurs conversations portent sur la vie des baleines, la domination de la nature par les humains, et sur la maternité. Rebecca est la mère d’un petit garçon porteur d’une maladie cardio-pulmonaire aux causes environnementales. Le baleineau a quant à lui été tué. La baleine est alors de nouveau à la recherche d’un mâle avec lequel se reproduire. Or dernière de son espèce, elle est ici manipulée par Ménagerie 2100. En lui faisant croire qu’elle pourrait s’accoupler avec un mâle, la firme espère la tenir suffisamment longtemps en vie pour concevoir une cartographie complète de son psychotype. La trahison est double puisque Rebecca tisse des liens avec la baleine sans savoir qu’il s’agit de lui soutirer des informations pour compléter le matériel psycho-génétique nécessaire à la vente de son ADN sur le marché qui se développe. Lorsqu’elle découvre les faits, Rebecca impose une discussion à sa supérieure hiérarchique pour mettre fin à l’instrumentalisation de l’animale46. Dans la conversation, la biologiste revient alors sur l’histoire de l’exploitation de la nature par les humains depuis des siècles, mis en relation avec la reproduction et la fertilité des femmes, des animales et des plantes. Ici, la question de la reproduction biologique lie la femme et la baleine femelle. En nous présentant la quête de maternité comme seul objectif de cette dernière, la série projette sur elle l’injonction naturaliste à la reproduction. Ainsi, femmes et animales sont certainement « sœurs interespèces » dans les responsabilités de subsistance, de fertilité, ou encore de soin (care).
Afin de se libérer des dominations croisées, la sororité de Rebecca et de la baleine pourrait alors se situer dans la volonté commune de faire exister leur libre arbitre à disposer de leur corps. Dans le Manifeste des espèces compagnes, entre similarités et différences, Donna Haraway décrit l’expérience sororale qu’elle a vécue plusieurs années avec sa chienne Cayenne Pepper. Elle rappelle effectivement, qu’en tant qu’individus « natureculturels », les animaux et les humains partagent une histoire commune faite de dominations, discriminations, sexismes, et spécismes qui orientent leur regard vers le même oppresseur ; le capitalisme patriarcal, intensifié par les révolutions scientifiques des modernes (xvie-xviie siècles) et les ambitions industrielles des économistes (xixe siècle). Ce qui précède ce moment historique jusqu’à ces conséquences sur notre manière de situer les humains et les femmes dans la biosphère est particulièrement bien étudié par Carolyn Merchant dans les années 1980. Sa relecture écoféministe de l’histoire, des imaginaires scientifiques et culturels, visibilise les entreprises de légitimation de domination et de contrôle de la nature dans le grand récit moderniste. Entre renversement des dualismes servant les oppresseurs et réappropriation du concept de nature, de nombreuses auteur·ices tentent, après Merchant, de réduire le regard anthropocentré porté sur le monde. Elles proposent de nouveaux récits impliquant de réviser notre attitude envers les non-humains47. Les postures écoféministes qui naissent alors de ce principe attentionnel ne renvoient pas simplement à la « rencontre de l’écologie et du féminisme », mais correspondent davantage à un courant de pensée « aux visées anthropologiques ». Comme le formule Élise Thiébaut, c’est « une invitation à repenser notre humanité hors du champ de la domination et de la marchandisation48 ».
En prenant l’exemple de l’ascension d’une grimpeuse sur une montagne et de son rapport avec les rochers et leur écosystème, Karen Warren précise dans un article de 1990 que les récits d’expériences vécues avec les non-humains doivent se distinguer des récits « arrogants » de conquêtes et de domination de la nature49. Il en ressort de multiples situations contextuelles et singulières dans lesquelles une attention, une écoute, un respect et une « perception aimante » peuvent alors être portées envers les non-humains. En faisant respectueusement corps avec la paroi rocheuse et tout son biotope, la grimpeuse préfigure la sympoièse harawayienne qui rassemble et visibilise humains et non-humains dans une communauté écologique, vertueuse50. Ainsi, la valorisation des associations ou des coopérations entre humains et non-humains révèlent finalement un grand nombre de réseaux et d’attachements aux acteurs diversifiés, qui nous poussent à déplacer notre attention bien au-delà des rapports entre humains51. La même année, dans Un monde vulnérable, Joan Tronto opère aussi ce déplacement en proposant une définition très extensive du care, comme « une activité générique […] un soutien à la vie52 […] aux objets de l’environnement »53. Le care, nous apprend Tronto, c’est « se soucier de, se charger de, accorder des soins, et recevoir des soins54 ». Si Carol Gilligan a déjà fait le lien entre care et féminismes55, Tronto rappelle que « les préoccupations de l’écoféminisme font partie du care56 », et rapproche care et environnement.
Par une description visuelle des relations entre humaines et non-humaines, cet épisode d’Extrapolations pose l’enjeu sororal incarné dans l’attitude de Rebecca qui complète une éthique du care. Si la zoologue et la baleine peuvent être considérées comme des sœurs interespèces, l’humaine insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas seulement de « protéger » l’animale (wilderness), ou d’en « prendre soin » (care), mais de la « respecter » sans interventionnisme, sans paternalisme57. C’est peut-être en cela que le regard de Rebecca est sororal. En effet, bell hooks présente le respect comme l’une des valeurs principales de la sororité qui diffère des éthiques paternalistes : « En apprenant de nos codes culturels réciproques et en respectant nos différences, nous avons ressenti un certain sens de la communauté, de la Sororité58. » Rebecca rappelle que les animaux font partie de notre biotope et de notre communauté. Ils sont sensibles, pensants et intelligents. La sororité de Rebecca est politique, car elle dénonce la trahison envers la baleine comme un manque de respect envers son espèce et son genre qui accélère sa « chute59 ». Aussi, les travaux de Vinciane Despret, Baptiste Morizot, ou encore David Abram et Donna Haraway résonnent dans ces dialogues.
En cela, les idées de Carolyn Merchant ou d’Isabelle Stengers invitent à comprendre l’attitude de Rebecca60. Car tout en prenant soin de la Terre, nous sommes conscienteset conscients qu’elle continue toujours de produire des catastrophes61. La performativité de la notion de care s’arrête ici peut-être où il n’y a pas de retours intentionnels possibles. La Terre nous nourrit et nous protège car nous l’exploitons dans ces buts, mais elle ne le fait pas intentionnellement. Comme toutes conceptions humaines, le retour attentionnel du care n’est pas mesurable chez les non-humains – ces analyses ne sont donc strictement valables que pour nous humains. Les premières séries écologistes comme Green Acres (CBS, 1965-1979), Opérations Open (FR3, 1984-1986), Critter Gitters (Syndication, 1998-2002), Flipper (NBC, 1964-1967), Skippy the Bush Kangaroo (Nine Network, 1966-1970), ou encore Hallo Robbie ! (ZDF, 2001-2007) se sont en effet concentrées sur la « protection et la gestion de la nature » comme manière de vivre avec les non-humains. Elles fantasment d’ailleurs un retour attentionnel de la part des animaux envers nous. Les fictions plus récentes, comme Frontera Verde (Netflix, 2019), La dernière vague (France 2, 2019), Extrapolations (Apple TV+, 2023), ou Abysses (ZDF, 2023) proposent un autre point de vue. Leurs personnages requestionnent de fond en comble la capacité des humains à respecter les nombreuses entités non-humaines (animaux, végétaux, éléments, etc.) en dehors du cadre paternaliste. Certaines images de ces séries sont peut-être à considérer comme les hypothèses visuelles d’une éthique féministe de la nature menant à une forme d’éco-sororité. Une dimension éco-sororale peut se lire à travers la notion de respect de soi, des autres et de son environnement de vie62. Pratiquer le care peut sembler contraignant au quotidien. Prendre soin des non-humains, en plus de son cercle restreint, engage notre corps et du temps. Le respect renvoie quant à lui à une mise en retrait, à un moment de recul, de réflexion.
Tiré du latin respectus le terme respect correspond au « regard en arrière », ou à un « refuge ». Relié au verbe respicere et à l’ancien français resp(o)iter, il s’agit aussi d’« épargner ». Une scène importante de la série Abysses, prend justement le temps de faire dialoguer les personnages quant à la manière de considérer, avec « respect » (sans emprise) ou avec méfiance (sous contrôle), l’entité naturelle nommée Yrr, qui semble interagir avec les humains (S01E08). Le préfixe éco est de plus en employé pour signifier les liens entre des pratiques, des affects et les crises écologiques contemporaines (écoanxiété, écocide, écoresponsabilité, écocitoyen, écopolitique, etc.). Depuis le xixe siècle l’écologie et l’oekology font référence à la science des interdépendances entre les vivants, leurs environnements de vie (Ernst Haeckel), et à l’impact sur la planète des transformations qu’ils engendrent (Ellen Swallow). Dans une forme de respect mutuel, l’épisode d’Extrapolations se termine par une scène dans laquelle Rebecca présente la baleine à son fils à une distance raisonnable. L’humaine se remémore alors une discussion qu’elle a eue plus tôt avec l’animale au sujet des traces, sonores et autres, laissées par les êtres vivants sur la Terre. Elle lui précise que son témoignage situé a été enregistré, qu’il sera respecté, et transmis pour servir de guide aux futures générations de baleines et d’humains. Rebecca lui confirme que sa « voix » d’animale compte aussi. L’éco-sororité figurée dans la série peut alors se lire comme une invitation à « épargner » les non-humains en les respectant, sans les « gérer », et à prendre en compte leur expérience de la Terre. Il s’agit de valoriser les récits situés comme des alternatives aux imaginaires modernistes patriarcaux, coloniaux et capitalistes.
Conclusion
La présente enquête d’iconologie critique en contexte sériel a ainsi fait apparaître plusieurs formes de sororités, des images sororales au sein desquelles la reconnaissance, la compréhension, l’engagement, la coopération, la rencontre, le partage et la communication rassemblent les individus au cœur même des féminismes pour comprendre l’altérité au-delà des préjugés. Elle a également mis au jour un aspect de la sororité qui remet en question l’exceptionnalisme humain et le paternalisme interventionniste. En effet, l’écosororité décentre les descriptions anthropocentriques de la nature et requestionne le rôle des humains dans la reproduction des espèces, la gestion de la nature et l’entretien de valeurs peu respectueuses à son égard. Pour mieux vivre en « terrestres63 », avec l’apport des initiatives écoféministes matérialistes intersectionnelles et écoqueer, l’écosororité reste alors à être explorée par l’intermédiaire d’une réflexion reliant les entités non-humaines aux questions reproductives et écologiques64.