Redécouverte du cépage Bregin dit Raisin de Besançon

  • Rediscovery of the Bregin grape variety, also known as Raisin de Besançon

DOI : 10.58335/crescentis.1591

Résumés

Le Bregin est considéré comme le cépage emblématique de la ville de Besançon depuis le xvie siècle. Il était considéré comme une variété de vigne disparue du vignoble bisontin. Des prospections menées en 2022 ont permis de localiser un pied de ce cépage. Une analyse génétique a permis de l’identifier comme étant la Dureza, vieux cépage typique des Côtes-Du-Rhône septentrionales. C’est la première fois que ce cépage est signalé en Franche-Comté. Cet article propose une relecture des sources qui évoquent le(s) Bregin(s) et les hypothèses les plus plausibles concernant son identification (cépages Dureza, Tressot et Enfariné) et son introduction dans le vignoble bisontin.

Bregin is considered as the emblematic grapevine variety of the city of Besançon since the 16th century. It was believed to have disappeared from the vineyards of Besançon. Specific research has enabled to locate a single vine of this grape variety. Genetic analysis identified it as Dureza, an old grape variety typical of the northern Côtes-Du-Rhône. This is the first time that this grape variety has been reported in Franche-Comté. This article proposes a reinterpretation of sources that mention the Bregin(s) varieties and the most plausible hypotheses regarding its identification (Dureza, Tressot and Enfariné grape varieties). Its introduction into the vineyards of Besançon is specified.

Plan

Dédicace

Article dédié à Maurice (†), Pascal et Gérard, vignerons passionnés d’Avannes (25).

Texte

Remerciements
Nous tenons à remercier Gilles André, Paul Delsalle et Bruno Poulle pour les échanges d’informations, à l’IFV pour l’analyse génétique du Bregin et Cécile Marchal pour l’accès au fonds documentaire et à la collection INRAE de Vassal-Montpellier.

Introduction

La manière de nommer la vigne et ses différentes variétés n’a pas été une priorité pendant fort longtemps et avant les xiiie-xive siècles, la distinction entre différentes variétés de vignes est rarement précisée. On évoque parfois des « vignes rouges », des « vignes blanches »1, indications bien insuffisantes pour un ampélographe. À partir du xiiie siècle, la vigne, mais surtout le vin, porte assez souvent le nom de la localité ou de la région d’où il est commercialisé (Dion 1959 ; Lachiver 1988 ; Grillon et al. 2019 ; Leturcq et Galinié 2023). Ces considérations générales s’appliquent à l’ensemble des vignobles français et européens.

Il faut attendre le xive siècle pour voir apparaître dans les manuscrits une dénomination qui s’intéresse directement au plant de vigne, c’est-à-dire au cépage, à la variété cultivée. Ces documents, si précieux, sont fort rares. Pour la Franche-Comté, les premières indications précises de cépages, datent, à notre connaissance, de 1386. Dans un acte de plantation à Chilly-le-Vignoble (Jura sud), le propriétaire demande de « planter savagnains noir, [sans doute le Pinot noir ?] polozard [Poulsard] et mergeliains [Béclan, Mondeuse ou autre ?] pour le pris et la som de quatre florins de Florence […] »2. On trouve des dates comparables pour les anciens cépages bourguignons3.

Le(s) ‘Bregin(s)’4 est (sont) nommément cité(s) pour la première fois par Jean Bauhin à la fin du xvie siècle. Pourtant, sous l’effet des différentes crises viticoles et de l’évolution du vignoble, il est aujourd’hui considéré comme disparu depuis plus de 50 ans. Des recherches de terrain sur les collines bisontines effectuées depuis une dizaine d’années ont permis finalement de retrouver un pied de ce mystérieux cépage. Il est alors possible de proposer une nouvelle histoire aux ‘Raisins de Besançon’.

Un nom de cépage connu avec certitude depuis la fin du xvie siècle

Vesontio, cité de l’Empire romain, capitale de la Séquanie, a probablement favorisé très tôt l’émergence d’un vignoble de proximité, mais des preuves formelles de viticulture apparaissent seulement au xe siècle (Chapuis 2019). C’est à Jean Bauhin (1540-1613), « premier ampélographe des temps modernes » (Roy-Chevrier 1900, p. 206), que nous devons non seulement la première citation, mais également une description sommaire de cette variété dans ses écrits remontant à 1590 et publiés à titre posthume en 1651 dans l’Historia universalis plantarum en trois volumes. Jean Bauhin était le médecin personnel du duc de Wurtemberg dans sa résidence de Montbéliard où il s’occupait notamment de son jardin botanique ; il cultive, au Mont-de-la-Chaux (à proximité de Sochaux), une vingtaine de cépages allemands et franc-comtois. Le texte est rédigé en latin et Charles Rouget (1828-1899), célèbre ampélographe salinois, en a proposé une traduction (Rouget 1889). Cette traduction a été ensuite reprise, jusqu’à aujourd’hui, par la plupart des ampélographes. Mais malheureusement, elle comporte quelques erreurs et approximations de traduction qui entraînent aujourd’hui une certaine confusion. Michel Thom, latiniste et spécialiste de linguistique française, en proposa ensuite une traduction partielle (Thom 1974), fort utile, mais ne couvrant pas l’ensemble des textes concernés.

Bauhin consacre 24 pages à la vigne et au vin et liste une vingtaine de variétés cultivées dans les environs de Montbéliard. Nous pouvons y reconnaître des cépages encore cultivés aujourd’hui, comme le « noirin » à Montbéliard qui pourrait correspondre au Pinot noir, ou encore le « blanc gentil »5 à Besançon, cultivé sur la colline Ragot, et correspondant probablement au Savagnin blanc. D’autres appellations sont plus énigmatiques et demanderaient une analyse ampélographique qui sort du cadre de cet article. Deux paragraphes concernent particulièrement le(s) Bregin(s) (Bauhin 1651, t. II, p. 74). Le premier s’intitule Uvae Vesuntinae6 que Rouget a traduit par « Raisin bisontin ou Bregin » (figure 1).

Figure 1 : Uvae Vesuntinae de Jean Bauhin.

Figure 1 : Uvae Vesuntinae de Jean
          Bauhin.

Source : Historia universalis plantarum, photo M. André.

Pour une raison que nous ignorons, il ajoute, sans aucune justification, cette synonymie de Bregin qui sera reprise ensuite par tous les auteurs s’intéressant à la viticulture bisontine, mais qui, selon nous, n’a pas lieu d’être. Bauhin précise, dans ce paragraphe consacré aux « Raisins bisontins », les conditions de culture de cette variété de vigne : elle doit être cultivée dans des endroits chauds et pierreux, à l’abri des vents d’est. Dans ces conditions elle produit de grosses grappes et de gros grains ronds et noirs ; le mot Bregin désigne donc ici une variété de raisins rouges. Ses raisins sont moins bons à manger que les autres variétés, à moins qu’ils ne soient conservés suspendus (passerillage) jusqu’à la naissance du Christ (le 25 décembre). Il donne, en abondance, un vin épais, rouge, qui se conserve longtemps mais de qualité médiocre. À aucun moment Bauhin n’évoque le nom de Bregin dans ce paragraphe. Rien ne permet de conclure dans celui-ci que les « raisins bisontins » portent également le nom de Bregin(s). Dans le paragraphe suivant intitulé « Uvae Cressans » traduit par Rouget et Thom « Raisins Cressans », on trouve l’explication de l’amalgame réalisé par Rouget : « Vesuntinis forma & colore Braeginae similes… »7. (figure 2).

Figure 2 : Uvae Cressans de Jean Bauhin.

Figure 2 : Uvae Cressans de Jean
          Bauhin.

Source : Historia universalis plantarum, photo M. André.

À la fin du xixe siècle, le(s) Bregin(s) étai(en)t très cultivé(s) à Besançon et Rouget a associé de manière hasardeuse, voire fautive, ce cépage au « Raisin bisontin » de Bauhin. Une simple ressemblance ne signifie pas qu’il s’agisse du même cépage ! Il est important de souligner que, contrairement à la description des autres variétés de vignes, Bauhin n’introduit pas le mot Bregin comme un nom vernaculaire de l’époque, mais désigne cette variété en latin Braeginae d’où les deux traductions « Bregins (ou Bregines) » possibles de Michel Thom. Cette désignation singulière évoque-t-elle l’idée, pour Bauhin, que l’appellation Braeginae désigne plusieurs variétés de vignes différentes appartenant à un même ensemble ?8.

À Besançon, mais également dans les environs de Montbéliard, on cultivait deux ensembles de variétés très proches selon Bauhin, les « Raisins bisontins » et les « Raisins Cressans » appelés « Bregins (ou Bregines) ».

Assez curieusement tous les auteurs qui ont traité le cépage Bregin ont suivi l’interprétation de Rouget.

Dans le Lexique pour l’étude de la Franche-Comté à l’époque des Habsbourg 1493-1674, Paul Delsalle cite également une mention ancienne de Bregin : « cépage de raisins noirs, typique à Besançon » (Delsalle 2004, p. 54).

Quelques hypothèses sur l’étymologie du mot « bregin »

Deux interprétations principales semblent possibles, l’une faisant référence à la couleur des baies et l’autre à la piètre qualité des vins issus de ce cépage.

Selon Bullet (1753), bregin pourrait dériver du mot celte breein signifiant rouge de pourpre. Il indique également que les paysans francs-comtois appellent Brenot un bœuf d’un rouge brun et Bregin une poire d’un rouge brun. Charles Beauquier (1881) cite Bregines comme une poire à cuire9. Désiré Monnier10, en 1857, cite Brenot comme un « bœuf qui a la corne bleuâtre, et qui est taché de noir, surtout à l’œil et au mufle ». Michel Thom précise que l’on peut rapprocher le terme de Bregin du patois de Bournois11, brèdgi : « plant de vigne qui donne de gros raisins noirs à peau très épaisse ». Si l’on adopte cette première interprétation, le mot bregin serait à rapprocher des premières désignations des vignes (au sens de cépages) aux xiiie-xive siècles, une vigne à raisins rouge brun, une « vigne rouge ». Le feuillage du Bregin pouvant prendre de belles teintes rouges à l’automne (figure 3), on peut également proposer que ce cépage se singularise par un feuillage rouge vineux, d’où Bregin ? De nombreux ampélographes ont adopté cette interprétation, dont Pacottet (In Viala et Vermorel 1905) et Galet (2015). En revanche Rouget (1897), viticulteur et ampélographe salinois, trouve cette interprétation peu satisfaisante. Il évoque les dires des anciens vignerons jurassiens : « Si je me rappelle que lorsqu’on demandait aux vieux vignerons des renseignements sur des plants peu connus et de qualité supposée mauvaise, ils répondaient invariablement : c’est une espèce de Bregin12 ». Cette interprétation peut également s’appuyer sur le mot bredji13 « travailler à des riens » (Dondaine 2002). Le mot bregin désignerait ainsi un cépage de peu de valeur.

On trouve parfois le mot Bregin écrit Brégin (Thouin et al. 1838 ; Mouillefert 1891 ; Viala et Vermorel 1905 ; Galet 2015, etc). On peut considérer qu’il s’agit d’une erreur. Tous les auteurs francs-comtois et plus particulièrement bisontins parlent uniquement du Bregin (Rouget 1897, et aussi Vaissier dans sa correspondance). Nous en avons également eu une confirmation orale du probable dernier vigneron d’Avannes (dans le département du Doubs) ayant cultivé le Bregin (Maurice Chapuiset14). On trouve également, mais plus rarement, le nom de Breguin (Vivien 1839, p. 537-538 ; Hardy 1848, p. 25).

Figure 3 : feuille du cépage Bregin (à gauche) comparée à l’aquarelle de Redouté in Boursiquot et al., 2021.

Figure 3 : feuille du cépage Bregin (à gauche) comparée à
          l’aquarelle de Redouté in Boursiquot et al., 2021.

Crédits : photo M. André.

Synonymie du Bregin

Le Bregin est considéré comme spécifique à la région bisontine (Mas et Pulliat 1876-1878 ; Galet 2015). Il répond à la définition d’un cépage autochtone, c’est-à-dire un cépage dont l’origine est inconnue et qui n’existe nulle part ailleurs. La synonymie de ce cépage est très peu importante. Lors du congrès de viticulture et d’ampélographie de Chalon-sur-Saône de 1896, il est précisé : « Bregin, cépage assez répandu dans les environs de Besançon, produisant un assez bon vin ; pas de synonyme connu […]15 » (Roy-Chevrier 1896, p. 58). Dans une première publication en 1873, Rouget établit une synonymie entre le Bregin et le Rougin jurassien, mais il précise : « paraît n’avoir rien de commun avec le Bregin du département du Doubs ». Ensuite, dans sa belle synthèse sur Les vignobles du Jura et de la Franche-Comté (1897), il indique dans une note : « Le cépage dont nous traitons ici n’a rien de commun avec le Bregin décrit dans l’Ampélographie salinoise […] et donc il sera parlé plus loin sous le nom de Rougin » (Rouget 1897, p 83). Signalons également que Viard donne pour synonyme du Bregin, le Prougin (Viard 1892, p. 24), mais il s’agit selon toute vraisemblance, d’une corruption du cépage Rougin indiqué par Rouget (1873). Simpée indique dans Viala et Vermorel (1903) le « Brégin (Besançon) ? » comme synonyme du Tressot, avec toutefois un doute car il indique dans la monographie du Tressot n’avoir lui-même jamais observé le Tressot16 dans le vignoble jurassien, ce qui ne constitue pas une preuve de son absence, tant ce cépage était diffusé dans le grand nord-est de la France par le passé.

Paul Parmentier indique, quant à lui, Brecin (Parmentier 1902, p. 804). L’écriture la plus intéressante est celle de Brezin signalée notamment par le botaniste-ampélographe Jules-Émile Planchon (1895) pour le vignoble de Gy (70) :

Il n’en est pas de même de la quatrième variété que nous trouvons sous le nom local de Brezin ou Bregin et qui n’est que l’Enfariné du Jura. Cette variété a une certaine importance dans le vignoble de Gy, non pas en raison de sa qualité, mais parce qu’elle est rustique et d’une grande et régulière fertilité. Son vin est consommé spécialement par les ouvriers qui le préfèrent à cause de sa rudesse qui flatte plus fortement les papilles gutturales. (Planchon 1895, p. 304)

En 1896, Émile Gloriod dans la revue La vigne américaine : sa culture, son avenir en Europe décrit les vignobles de la Haute-Saône et du Doubs et lorsqu’il évoque le Bregin, une note de bas de page de Victor Pulliat (1827-1896) précise : « Sans doute l’Enfariné du Jura, Brezin ou Bregin à Gy.-V. P. ». Pulliat semble donc reprendre les indications de Planchon. Il en est de même de Rouget : « Et toute la région, la banlieue qui est sous l’influence de la cité impériale, entre autres Gy, résidence d’été et possession spéciale des archevêques17, possède aussi ce plant [Bregin] dont elle prononce le nom sous la forme patoise de Brezin » (Rouget 1897, p. 84). À l’article du cépage Enfariné, Rouget indique que l’Enfariné porte, à Gy, le nom de Bregin bleu ou Brezin de panpan (Rouget 1897, p. 89)18. Clémençot, dans un article sur la Reconstitution du vignoble dans le canton de Gy et dans la Haute-Saône, précise : « Quant au Brezin (Enfariné du Jura) il serait bon d’en conserver quelques pieds ; mais il ne faut pas se laisser tenter par sa grande production » (Clémençot 1897, p. 18). Enfin, dans le Journal de Haute-Saône, en 1898, on relate les vendanges à Bucey-lès-Gy en ces termes : « Le vin produit par les jeunes vignes reconstituées en plants fins greffés sur les portes greffes américains sera de beaucoup supérieur à celui des anciennes vignes qui avaient été replantés en Brezins Noirs d’Espagne Ferney, etc. ».

Descriptions ampélographiques

Les premières informations à caractères ampélographiques nous viennent de Jean Bauhin (vers 1590). Les Bregins, cépages rouges, sont « Vesuntinis forma & colore Braeginae similes, nisi quod carne firmiori [firmiore] & duoriore [duriore] edendo sentiuntur19 ». Au début du xixe les auteurs insistent sur la productivité importante du Bregin et sur ses difficultés à mûrir. Jean-Etienne Laviron, surveillant des vignes de l’hôpital Saint-Jacques de Besançon écrit, en 1821, aux administrateurs de l’établissement : « […] je recommande en vain à Humbert aîné, vigneron de l’hospice, de ne point couper les bons blancs dans le dessus d’une vigne de huit ouvrées à Chamuse20 […], pour les remplacer par des bregins qui ne meurissent presque pas et par quelques noirs » (Euvrard 1931, p. 39), et en 1832 : « […] le bon plant réussit fort bien et fait très bon vin, au lieu que le plant dit bregin n’y mûrit que très difficilement, mais il produit beaucoup […] ». Jules Guyot (1876) parcourt le vignoble du Doubs et décrit sommairement le Bregin : « le bregin gros et petit, qui joue un grand rôle dans les vignobles du Doubs (le bregin, qui donne un vin commun, a le bois rouge, vigoureux ; il donne des grappes très grosses, mûrit tardivement ; il a des feuilles cotonneuses en dessous et très vertes en dessus ; son fruit est bon à manger » (Guyot 1876, p. 396). En 1880, le citoyen Gurgey liste « les différens plants de vignes cultivées dans le territoire de Besançon, et sur la manière de les renouveler » :

Aujourd’hui nos vignes plates sont mélangées de noirin, melons, gauches, luisans, plant de Languedoc, et autres, et si la police de Besançon avoit empêché jusqu’à la révolution, d’introduire le plant de gâmet, on a détruit en partie, dans les côtes, le noirin auquel on a substitué le bregin blanc et noir, le tresseau, le meunier, le margillin, le pulsard, le gauche, le melon, le bon blanc, etc… (Droz 1802).

Il faut attendre la seconde moitié du xixe siècle pour avoir des descriptions précises du Bregin. Les deux ouvrages faisant référence sont Le Vignoble d’Alphonse Mas et Victor Pulliat (1876-1878) et l’Ampélographie. Traité général de viticulture de Pierre Viala et Victor Vermorel (1901-1910). Dans la partie introductive de la première description du cépage Bregin, Pulliat rend hommage à Alfred Vaissier (1833-1909) qui lui a transmis de nombreuses informations concernant ce cépage. Vaissier était le Conservateur du musée archéologique de Besançon, mais également vigneron et auteur, en 1899, de La Vigne et les vignerons à Besançon, discours de réception à l’Académie des Sciences, Belles lettres et arts de Besançon et de Franche-Comté. À partir de la correspondance de Vaissier21, on peut retracer les étapes de l’élaboration de la notice du Bregin dans Mas et Pulliat (figure 4).

Figure 4 : correspondance entre Charles Rouget et Alfred Vaissier.

Figure 4 : correspondance entre Charles Rouget et Alfred
          Vaissier.

Source : Bibliothèque Municipale de Besançon, photo M. André.

Rouget adresse le 8 octobre 1877 une lettre à Vaissier lui indiquant que Pulliat souhaite publier cette année la notice sur le Bregin dans Le Vignoble. Il lui demande d’envoyer une grappe convenable de Bregin, attenant au sarment, avec une feuille caractéristique à Madame Lecomte (Lyon), chargée de l’exécution de la planche accompagnant la notice. Rouget précise que « c’est sous votre nom que paraîtront dans Le Vignoble les détails concernant ce plant ». Dans une seconde lettre datée du 20 mars 1878, Rouget précise que Pulliat a bien reçu l’échantillon de Bregin, et que le Bregin fera partie de la livraison de juin du Vignoble, et qu’il désire avoir rapidement les renseignements concernant le Bregin. Le 30 mars 1878, Pulliat accuse réception de la notice envoyée par Vaissier et souligne :

que cette vigne me paraît complètement inédite […]. Je remarque que vous distinguez six variétés ou variation de Bregin. Ce qui me frappe surtout dans ces variations ce sont les Bregin gris, les Bregin panachés ou melês de grains noirs et blancs et le Bregin tout à fait blanc […]. Je vous serai reconnaissant de vouloir bien me dire si les Bregin gris, panaché et blanc sont absolument semblables entreux par les caractères botaniques de la feuille et du fruit et s’ils ne diffèrent absolument que par la couleur du grain.

Vaissier et Pulliat décrivent de la manière suivante le Bregin noir :

Bourgeonnement très duveteux, d’un gris glauque bien carminé au sommet, s’allongeant en ligne droite avant l’épanouissement des feuilles.
Souche vigoureuse, rustique.
Sarments d’un roux grisâtre, assez forts, rampants ; entre-nœuds assez longs.
Feuilles moyennes, d’un vert franc, longtemps minces et douces au toucher, révolutés et retroussées en croc aux extrémités aiguës des lobes, d’abord presque glabres ou avec quelques flocons à la face inférieure, puis devenant plus épaisses et se tapissant complètement d’un feutrage composé de poils fins et serrés recouverts d’un tissu aranéeux gris ; dents larges et aiguës alternant avec des dents plus petites ; sinus profonds et presque fermés ; pétiole de moyenne longueur, un peu grêle, finement pileux dans les vieilles feuilles et strié de rouge.
Grappe grosse, serrée, courtement conique-cylindrique, souvent à quatre ailes saillantes non détachées, portée par un pédoncule fort et de moyenne longueur.
Grains moyens, sphériques, s’ovalisant lorsque la grappe est serrée, fortement attachés à des pédicelles un peu grêles, peu longs.
Peau assez épaisse, résistante, d’un beau noir pruiné à la maturité qui est de deuxième époque.
Chair ferme, un peu croquante, sucrée, à saveur agréable lorsque la maturité est bien complète et donnant parfois au vin un goût agréable.

Nous pouvons constater que, comme Bauhin à la fin du xvie siècle, Vaissier distingue plusieurs sortes de Bregin : gros Bregin à nœuds serrés, gros Bregin à nœuds rapprochés, petit Bregin à grosses grappes, petit Bregin à petites grappes, Bregin clair ou mutin, Bregin à feuilles rondes à peine sinuées, Bregin gris, Bregin à grains noirs et blancs et le Bregin blanc. Pulliat pense que certaines de ces variations sont simplement dues à des accidents de culture, et nous pouvons ajouter que certaines de ces variétés semblent correspondre à d’autres cépages, hypothèse sur laquelle nous reviendrons. Les caractéristiques indiquées par Bauhin, chair ferme et croquante, sont également reprises par Vaissier. Il est donc possible que nous ayons affaire au même type de variétés de vigne. La description proposée par Pacottet dans le tome VI de Viala et Vermorel (1905) est proche de celle proposée par Vaissier et Pulliat. On notera quelques précisions ampélographiques : des sinus latéraux supérieurs en lyre très profonds, des sinus latéraux inférieurs un peu moins marqués et présentant souvent une dent au fond du sinus. Il est souligné que ce cépage de fin de deuxième époque de maturité, doit rester longtemps sur souche pour achever la maturation de ses baies qui, à l’intérieur de la grappe, restent vertes longtemps.

Iconographie

L’identification rigoureuse d’un cépage à partir d’une simple illustration, même si elle est d’une excellente facture, est très hasardeuse car tous les détails nécessaires à une bonne détermination ne sont pas présents. Nous sommes donc bien souvent conduits à émettre seulement des hypothèses. Il est souvent plus facile d’affirmer qu’une aquarelle ne correspond pas à tel ou tel cépage que d’identifier le plant reproduit.

Classiquement deux belles illustrations de Bregin sont connues dont celle contenue dans Le Vignoble (figure 5) pour laquelle on est sûr qu’elle correspond au cépage Bregin au sens des vignerons de Besançon puisque nous avons vu que c’est Vaissier qui envoie les échantillons à Pulliat. Nous ne connaissons pas l’origine des exemplaires qui ont permis la réalisation de la planche présente dans Viala et Vermorel (figure 6), mais elle est conforme à l’idée que se font les ampélographes du Bregin, et très proche de la représentation présente dans Mas et Pulliat.

Récemment, un ouvrage intitulé Les Raisins de Pierre-Joseph Redouté (Boursiquot et al. 2021) est paru et renferme deux aquarelles consacrées au Bregin. Il n’est pas inutile de rappeler sommairement l’origine des 83 aquarelles sur vélin que renferme cet ouvrage. En 1802, Jean-Antoine Chaptal, ministre de l’Intérieur, décide de constituer à Paris, au Jardin du Luxembourg, une collection ampélographique de toutes les variétés de vignes cultivées de « façon suivie » en France. Cette noble ambition allait malheureusement être tenue en échec tant l’ampélographie était encore balbutiante, engluée dans les innombrables problèmes d’identification et de synonymies des cépages.

Figure 5 : cépage Bregin in Mas et Pulliat, 1876-1878.

Figure 5 : cépage Bregin in Mas et
          Pulliat, 1876-1878.

Source : Le Vignoble, photo M. André.

Figure 6 : cépage Bregin in Viala et Vermorel, 1901-1910.

Figure 6 : cépage Bregin in Viala et
          Vermorel, 1901-1910.

Source : Traité général de vitivulture, photo M. André.

Une première enquête sur le terrain conduite en 1782-1784 par Nicolas Dupré de Saint-Maur est poursuivie par des enquêtes préfectorales diligentées dans tous les départements, entre 1801 et 1810 (Galinié et al. 2019). Ces études permettent de rassembler les informations et les plants nécessaires à cette collection. Plus de 500 accessions parviennent de la France entière et viennent enrichir la collection du Luxembourg. Un catalogue de la collection est réalisé par Michel-Christophe Hervy en 1809, puis un Catalogue de l’école des vignes de la pépinière du Luxembourg sera publié par Harvy en 1848. Louis Augustin Bosc, inspecteur des pépinières du ministère de l’Intérieur, en 1806, commande aux meilleurs peintres naturalistes de l’époque de fixer les caractéristiques ampélographiques de 83 de ces variétés22. Parmi ces aquarelles, deux portent le nom de Bregin :

  • Le Bregin clair, peint par Pancrace Bessa, est originaire du Doubs selon l’inscription sur le vélin (Figure 3). Cette introduction est peut-être à rapprocher du Bréguin noir pour ce département dans le catalogue de Hardy (1848) et du Bregin clair signalé par Rouget (1897) à Besançon. Les caractéristiques présentées sur l’aquarelle ne s’opposent pas aux caractéristiques ampélographiques connues du Bregin, et Jean-Michel Boursiquot suggère que ce Bregin clair pourrait être un synonyme du Tressot qui présente des caractéristiques ampélographiques comparables (Boursiquot et al. 2021, p. 148).
  • Le Bregin blanc, peint par Pierre-Antoine Poiteau, est également originaire du département du Doubs. L’examen de l’aquarelle montre immédiatement des différences importantes avec le Bregin clair : les baies sont petites à moyennes et de forme nettement elliptique ; les feuilles ont une forme bien différente. À l’évidence, cette variété n’est pas la variété blanche du Bregin. Jean-Michel Boursiquot propose comme identification le Bourboulenc, une variété méridionale qui n’a probablement jamais été cultivée à Besançon (Boursiquot et al. p. 64). L’auteur suggère que le Bourboulenc, présent par ailleurs dans la même platebande de la pépinière, a malheureusement été transféré également sur l’emplacement réservé au Bregin blanc, accident finalement pas si rare que cela d’après les autres analyses ampélographiques des aquarelles réalisées.

Culture

Dans un manuscrit inédit de 184823, le docteur Bonnet précise, dans un tableau synthétique, les conditions de culture de 14 cépages du département du Doubs, et plus particulièrement de Besançon. Le (ou les ?) Bregin est le deuxième de la liste et est décrit comme un cépage à maturité très tardive (tableau 1). Remarquons également que le Bregin présente plusieurs variations (Bregin à bois blancs, petit Bregin).

Tableau 1 : conditions de culture du Bregin.

Tableau 1 : conditions de culture du Bregin.

Crédit : selon Bonnet (1848).

Le père Prudent précise que le Bregin ne supporte pas les terres fortes et argileuses (Prudent 1778). Plus tard, Laurens insiste également sur la nécessité de cultiver le Bregin dans les terres graveleuses exposées au midi (Laurens 1832). C’est Vaissier (In Mas et Pulliat 1876-1878) qui précise le mieux les conditions de culture du Bregin :

Le Bregin ne doit pas être planté dans les sols froids et humides où il ne mûrirait jamais ; il faut choisir pour lui des côtes chaudes et rapides, un sol pierreux et substantiel, sur roches fendillées ou sur des rocailles que ses racines puissantes aiment à traverser. Les terrasses superposées et étroites, exposées au midi, sont pour lui un lieu de prédilection.

Le Bregin, un cépage omniprésent à Besançon ?

Pour le xviiie siècle, les informations concernant les surfaces occupées par le Bregin sont peu nombreuses et ont énormément fluctué en fonction non seulement de l’évolution de la surface du vignoble bisontin, mais également en fonction des observateurs pour une même période. Il paraît évident que les vignerons de l’époque n’avaient pas la même conception ampélographique du (des) Bregin(s), comme le relate cette anecdote. En 1777, à l’occasion d’un concours de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Besançon sur une maladie inconnue de la vigne, le capucin Prudent de Faucogney, qui remporte le prix, indique que le Bregin n’est que très peu cultivé à Besançon :

Les plus expérimentés parmi nous connoissent à peine le Mailley, le Bregin, le Melon, le Trissau, le luisant, le fromenteau, le pruet, le Teinturier ; c’est le Noirun ou le pinau, le pulsart et le gamé, qui nous occupent entièrement et qui remplissent nos terreins.

Ses affirmations sont fortement contestées par un concurrent, l’abbé Baverel, mauvais perdant du concours, dans un pamphlet imprimé en 1778 (Baverel 1778) :

Les moins expérimentés d’entre nous, quoique vous puissiez en dire, connoissent très bien le bregin, le melon, le tressau, le morillon, le luisant & le teinturier ; il n’est pas vrai que ce n’est que le noirun, le pulsart & le gamé qui remplissent entièrement nos terreins ; on voit bien que vous n’avez pas autant d’expérience que vous avez voulu le persuader ; la plus légère connoissance de nos vignes suffiroit pour vous démontrer que nous ne connoissons que trop le bregin, que c’est cette espèce de plant avec le gauche, que sûrement vous ne connoissez pas, puisque vous n’en dites un mot, qui font aujourd’hui la perte de nos vignes & qui nous exposent à avoir un composé dont les principes constituants, toujours un peu dissemblables (ce sont vos propres paroles, donnent un vin sujet à s’altérer, à se décomposer, plus propre à affoiblir les tempéramens qu’à les nourrir & à les fortifier.

Le cépage Bregin est accompagné d’une note : « Tous nos Vignerons en ont infecté depuis quelques années le riche canton de Plaint-chaux24 ».

Dans une phrase en patois, l’abbé Baverel propose même une surface : « las Bregins, las gauches, las Melons font la moitié das liens (vignes) […] ».

Une certaine prudence s’impose quand un cépage est aussi mal défini et où certains en imaginent, à tort ou à raison, une multitude de variétés. De plus comme le souligne l’abbé Baverel : « le bregin, le gauche entre-mêlés dans des noiruns ne mûrissent point ensemble ». Comment évaluer des surfaces de cépages quand ils sont cultivés en mélange ?

Jean-Etienne Laviron (In Euvrard 1931) propose, pour la surface du vignoble bisontin, le chiffre de 1 155 ha en 1788, et Maurice Gresset estime le vignoble bisontin à 1 000 ha en 1789 (In Chapuis 2019, p. 97), soit 1/7 de la surface viticole du département du Doubs25.

Si l’on suit les indications de Baverel, la surface avoisine les 500 ha pour le Bregin, le Gauche26 et le Melon tandis que Prudent le considère comme peu cultivé !

Pour la deuxième partie du xixe siècle, Rouget (1897), selon des informations transmises par Vaissier, indique que le Bregin occupe, vers 1875, « guère moins des trente centièmes des vignobles bisontins », soit environ 1 000 à 1 200 ha selon Rouget. Cette information est reprise par l’ensemble des auteurs s’intéressant aux cépages et au vignoble bisontin (Royer 1975 ; Galet 2015), mais elle semble contradictoire avec de nombreuses autres informations concernant le vignoble bisontin. À partir du xviiie siècle et jusqu’au xixe siècle, on assiste à une plantation de mauvais plants comme semble l’indiquer un arrêté du parlement de Franche-Comté de 1732. Il prévoit l’arrachage des mauvais plants de la province, dont fait partie le Bregin, plantés depuis 1702. Jullien dans la Topographie de tous les vignobles connus estime que l’arrondissement de Besançon comporte 5 800 ha de vignes en 182227 (Jullien 1822, p. 136). Galet (2006) propose, pour la deuxième moitié xixe siècle, l’évolution de la superficie du vignoble du Doubs à partir des déclarations de récolte (tableau 2).

Tableau 2 : moyennes des superficies dans le Doubs, par décades.

Tableau 2 : moyennes des superficies dans le Doubs, par
          décades.

Crédit : selon Galet (2006).

Laurens, dans plusieurs éditions successives de l’Annuaire statistique du département du Doubs, fournit des informations pour la première moitié du xviiie siècle (Laurens 1824-1850). Pour les années 1833 et 1837, il précise que le département comporte 8 500 ha de vigne dont un sixième pour la ville de Besançon, soit 1 400 ha. Lachiver (1988), qui propose une série continue de données depuis la fin du xviiie siècle jusqu’à la seconde moitié du xxe siècle, fournit des chiffres comparables.

Jules Guyot (1807-1872) qui visite le vignoble bisontin dans les années 1860, confirme l’importance des Bregins : « Aux cépages rouges que je viens de nommer, il faut ajouter le meunier, l’enfariné, le margillien, le bregin gros et petit, qui joue un grand rôle dans les vignobles du Doubs ». Il précise que le département du Doubs comporte 7 688 ha de vignes.

Vaissier (1875), qui commente les contributions au concours de l’Académie bisontine, apporte des précisions sur la situation de la fin du xixe siècle :

le melon (gamai blanc à feuilles rondes), puis le grappenou, plant de valeur, dont la maturité un peu difficile et peut-être une certaine décadence dans la fertilité, ont provoqué le remplacement par deux cépages ordinaires très en faveur déjà [en 1777] et qui sont arrivés maintenant à leur apogée. Je veux parler du gauche (geuche blanc) et du bregin […] ; le bregin, dont la fertilité est incomparable et dont le mérite dans les côtes chaudes et rapides serait incontesté, si on voulait bien attendre sa maturité, qu’il atteint sans redouter les intempéries de la saison avancée.

Par conséquent, les 1 000 à 1 200 ha de Bregin dans les vignobles bisontins vers 1875, comme le propose Rouget, semblent nettement surévalués. On peut l’estimer à quelques centaines d’hectares tout au plus en se basant sur les indications de Vaissier. Il est possible que la notion de vignobles bisontins intègre ceux des communes voisines, mais on est probablement loin des 1 000 ha de Bregin, et on a l’impression qu’il y a eu confusion entre la superficie totale du vignoble bisontin et la superficie en Bregin.

La crise sanitaire et économique de la deuxième moitié du xixe siècle et du début xxe siècle modifient complètement l’encépagement et la superficie du vignoble bisontin. En 1901 le Bregin semble encore bien présent dans le vignoble bisontin : « Le raisin rouge appelé bregin, très répandu dans le vignoble, donne un vin robuste de la catégorie des bons ordinaires » (Castan 1901, p. 49). Mais le phylloxéra continue ses ravages : « Les vieilles vignes n’existent plus, ruinées qu’elles sont par le Phylloxéra, dont la chaleur et la sécheresse de ces deux dernières années ont favorisé le développement. » (Faivre 1905). À l’image de l’ensemble du vignoble bisontin, la part du Bregin ne fait que diminuer ensuite drastiquement pendant la première moitié du xixsiècle puisque le vignoble du Doubs passe de 3 000 ha à 1 200 ha entre 1902 et 1929 (Garapon 1937).

Lors de l’établissement du cadastre viticole du Doubs en 1964, on possède, aux Archives départementales du Doubs (ADD), des enquêtes précises, menées vers 1957 (Coll. 1964). Comme pour tout le département on assiste à un effondrement des surfaces cultivées. Selon ce cadastre, le Bregin est cultivé sur seulement 33,69 ares et l’ensemble des Vinifera28 de cuve ne représente plus que 97 ha dont seulement 3,7 ha pour la commune de Besançon29. Les communes concernées par le Bregin sont uniquement les communes de Besançon (lieux-dits Mazagran et Champs Nardin) et d’Avannes (lieux-dits Tuffet et les Craies). Ces parcelles, plantées un peu après la fin de la deuxième guerre mondiale, ne sont pas plantées uniquement en Bregin30, mais comportent d’autres cépages comme le Melon, le Trousseau, le Poulsard et le Gamay. On est donc au bord de l’extinction de ce cépage légendaire de Besançon. Galet (2015) est beaucoup trop optimiste quand il déclare que le Bregin « subsiste aujourd’hui sur quelques hectares avant de disparaître complètement bientôt, puisque non classé ». En effet, en 2019, lors d’un échange avec Maurice31, ainsi appelé dans son village d’Avannes, vigneron détenteur d’un immense savoir sur les vignes, celui-ci indiquait avoir assisté à la disparition du Bregin dans les années 1970-1980 lorsque les derniers vignerons possédant ce cépage sur la commune abandonnèrent définitivement la viticulture.

Caractéristiques des vins

Suivant les époques et selon les auteurs, l’intérêt porté au Bregin est sensiblement différent. Il peut faire partie des cépages fins comme des cépages à proscrire. Il est considéré comme donnant des vins médiocres ou au contraire des vins qui se conservent, une préoccupation essentielle pour tous les vignerons avant les progrès œnologiques commencés dans des années 1950-1960. La prudence s’impose à nouveau quand on sait que la vinification mono-cépage n’était pas du tout la règle dans le passé32, et uniquement réservée à une élite ecclésiastique et/ou bourgeoise.

Quelques textes évocateurs de la qualité des vins de Bregin :

  • 3 février 1731 « Ordonnance royale d’arracher toutes les vignes plantées depuis l’an 1702, et d’extirper dans les vieilles vignes tous les plants dénommés : grapenoux, foirard noir et blanc, maldoux, gamé noir et blanc, valet noir, enfariné, mesy, plant qui tache, bregin, pinot ou plant des haies, et barclan blanc ». Il est aussitôt procédé à l’exécution de l’ordonnance ; près du tiers du vignoble jurassien est arraché et rendu à la culture des céréales ; l’opération n’est achevée qu’au mois de septembre de l’année suivante (Bousson de Mairet 1856)33. Cet arrêté est-il appliqué également au vignoble de Besançon ?
  • En 1732, l’ordonnance royale est reprise dans un arrêté du Parlement de Franche-Comté et fixe les bons plans qui doivent être conservés ; il comporte 16 variétés34 et le nom Bregin n’en fait pas partie.
  • Lors d’une visite des vignes bisontines, Gloriod (Gloriod 1896) qualifie « le Bregin, le plant de prédilection à Besançon, donne de belles récoltes d’un vin qui se conserve bien ».
  • Pour Pacottet (Pacottet 1905) les vins de Bregin « sont des vins très ordinaires, vins d’abondance, vins d’été surtout, car ils sont très rafraîchissants et supportent bien l’eau ».
  • Vaissier (Vaissier 1878), le vigneron bisontin, est beaucoup plus élogieux que ces compatriotes sur les qualités de ce cépage : « Le Bregin est très-apprécié comme raisin de garde, il supporte admirablement le transport et il donne à la cuve un vin coloré qui n’est pas sans valeur ».

La redécouverte du Bregin

Depuis presque huit ans, nous sommes sur la trace de ce cépage mystérieux, bien que localement emblématique : repérage des anciennes parcelles de vignes sur la commune de Besançon, d’Avannes-Aveney et de Beurre ; repérage de pieds isolés postculturaux dans les friches des collines bisontines et inventaire de treilles isolées présentes à l’intérieur de la ville de Besançon ; enquête auprès des rares vignerons cultivant encore quelques parcelles de vignes sur la commune d’Avanne-Aveney ; et enfin, appel aux Bisontins par le biais des réseaux associatifs, notamment l’association Terrasses des collines bisontines et d’ailleurs. Des recherches bibliographiques, soutenues par Gilles André, ont permis également de rassembler une masse d’informations originales utiles pour connaître les lieux-dits où était cultivé anciennement le Bregin et mieux cibler les recherches.

Pendant toutes ces années, ces recherches ont permis, grâce aux visites de terrain des co-auteurs de cet article, d’identifier de nombreuses variétés anciennes de vignes des environs de Besançon (Canada, Corbeau, Frankenthal, Gamay teinturier, Grolleau, Grec rouge, Isabelle, Lignan, Melon, Poulsard blanc, etc.) et de faire de belles découvertes ampélographiques comme le Rèze, très ancien cépage valaisan, jamais signalé dans le vignoble bisontin bien que déjà rencontré à quelques reprises dans le Doubs et le Jura lors de prospections récentes réalisées à l’initiative de la Société de Viticulture du Jura (Gaël Delorme). Cependant, pas la moindre trace de Bregin, au sens des descriptions ampélographiques de Mas et Pulliat (1876-1878) et de Viala et Vermorel (1901-1910) !

En 2021, nous avons été sollicités par Gérard Tatu, vigneron passionné, qui avait repéré quelques ceps de vignes dans des friches postculturales au lieu-dit Tuffet (commune d’Avannes-Aveney) et récemment réhabilitées. La débroussailleuse avait soigneusement évité de sectionner les souches.

Ce contact était particulièrement encourageant car nous savions que le Bregin avait été cultivé encore tardivement dans ce lieu-dit (années 1970 à 1975). L’enthousiasme n’était pas pour autant exagéré puisqu’il s’agit très souvent de porte-greffes américains, franco-américains ou encore d’hybrides producteurs directs qui sont identifiés lors des visites de terrain. L’observation de cépages Vitis vinifera postculturaux est toujours rare, le manque d’entretien et les maladies cryptogamiques ayant bien souvent raison de la vitalité des pieds.

Début septembre 2022, une visite permet de repérer plusieurs pieds de vigne (figure 7). Certains correspondent manifestement à des porte-greffes, d’autres ne sont pas identifiables car trop chétifs. En revanche un pied attire le regard, en limite d’un imposant murger (figure 8). Le cep est entièrement couché au sol sur plusieurs mètres et de longs sarments rampent également sur le sol ; un autre enlace un jeune arbuste, préservé lors du nettoyage de la parcelle.

Figure 7 : station du Bregin d’Avannes, lieu-dit Tuffet (25).

Figure 7 : station du Bregin d’Avannes, lieu-dit Tuffet
          (25).

Crédit : photo M. André.

Figure 8 : pied de Bregin.

Figure 8 : pied de Bregin.

Crédit : photo M. André.

Ces conditions topographiques correspondent aux précisions culturales apportées par Vaissier35 (In Mas et Pulliat 1876). L’observation du bourgeonnement montre qu’il s’agit d’un « pur vinifera », un très bon indice. Des photographies sont réalisées qui permettent d’arriver à la conclusion, après consultation de la bibliographie, qu’il s’agit vraisemblablement du fameux Bregin décrit par Mas et Pulliat (Mas et Pulliat 1876-1878) et Pacottet (Pacottet 1905) (figure 9) : bourgeonnement duveteux, feuilles de forme orbiculaire à cinq lobes, et sinus pétiolaire fermé ; limbe révoluté sur les bords, dents courtes par rapport à leur largeur à la base, et à la face inférieure une densité moyenne de poils laineux sur le parenchyme et une densité moyenne à forte de poils dressés sur les nervures.

Figure 9 : feuille du cépage Bregin d’Avannes.

Figure 9 : feuille du cépage Bregin d’Avannes.

Crédit : photo M. André.

Un heureux concours de circonstances permet de certifier qu’il s’agit bien d’un pied de Bregin au sens des vignerons de Besançon en 1950. La parcelle où se localise ce pied appartenait anciennement à Marius Guerrin décédé en 1996. Lors du recensement général du vignoble36, nous avons eu la chance de retrouver aux archives départementales du Doubs (Ms. 2313, Ms. 3518) la déclaration de Marius Guerrin du 14 mai 1957 (figures 10a et 10b) : il déclare cultiver uniquement le cépage Bregin sur une des deux parcelles cadastrales, lieu-dit Tuffet. Ces deux parcelles ont été ensuite achetées à Marius Guerrin en 1987 par Gérard Tatu, le propriétaire actuel.

Figure 10a : bulletin de parcelle de Guerrin Marius, 1952.

Figure 10a : bulletin de parcelle de Guerrin Marius,
          1952.

Source : Archives départementales du Doubs, photo M. André.

Figure 10b : bulletin de parcelle de Guerrin Marius, 1952 (suite).

Figure 10b : bulletin de parcelle de Guerrin Marius, 1952
          (suite).

Source : Archives départementales du Doubs, photo M. André.

Une deuxième visite, fin septembre 2022, permet de récupérer un sarment et une analyse génétique est pratiquée par l’IFV37 de Montpellier. La base de données de l’IFV ne comportait, à l’époque, aucune référence sous l’appellation Bregin.

Trois cépages sont des candidats potentiels pour être des synonymes du Bregin d’après la bibliographie ampélographique classique et la documentation conservée à la collection nationale des vignes de l’INRAE à Vassal-Montpellier, l’Enfariné, le Durif et le Tressot (tableau 3) :

Tableau 3 : récapitulatif des synonymies-homonymies du (des) cépage(s) Bregin.

Tableau 3 : récapitulatif des synonymies-homonymies du (des)
          cépage(s) Bregin.

  • Enfariné (figure 11) ou Brezin à Gy, les archevêques de Besançon ayant pu implanter le(s) Bregin(s) bisontin(s) dans leur résidence d’été à Gy38. C’est un cépage originaire du nord-est de la France, typique du vignoble jurassien avant la crise phylloxérique de la deuxième partie du xixe siècle.

Figure 11 : cépage Enfariné.

Figure 11 : cépage Enfariné.

Crédit : photo M. André.

  • Durif (figure 12) car une accession (n° 159Mtp11) arrivée à la collection de Vassal-Montpellier en 1957 et portant le nom de Bregin noir de Besançon est clairement identifiée comme du Durif par le conservateur de la collection, éminent ampélographe, Paul Truel (1924-2014). L’herbier de cette accession et de la suivante est consultable sur la base de données en ligne [URL : https://bioweb.supagro.inra.fr/collections_vigne].

Figure 12 : cépage Durif.

Figure 12 : cépage Durif.

Crédit : photo M. André.

  • Tressot : également un bon candidat puisqu’il présente de nombreuses formes (figure 13) (Bouchardat 1852) et qu’il était présent dans tous les vignobles septentrionaux dans le passé, y compris en Franche-Comté. Une accession de la collection de Vassal-Montpellier (n° 224Mtp9) portant le nom de Bregin panaché provenant de la collection de Beaune a été identifiée comme du Tressot panaché par Truel en 1955. Il s’avère qu’il existe très peu de cépages présentant une forme à baies panachées (c’est-à-dire présentant des croissants blanchâtres et des croissants bleuâtres). Par ailleurs, il est intéressant de noter que l’aquarelle de Bregin clair de la collection du jardin du Luxembourg présente de nombreux caractères du Tressot ce qui justifie l’identification proposée par Jean-Michel Boursiquot (Boursiquot 2021, p. 148). Guicherd (1905, p. 158) considère que le Tressot est différent du Bregin : « […] il se rapproche du Bregin de Besançon, qui a le raisin plus gros ainsi que les grains qui sont ovoïdes et à chaire croquante ».

Figure 13 : cépage Tressot.

Figure 13 : cépage Tressot.

Crédit : photo M. André.

Le résultat des analyses génétiques fut une grande surprise : le Bregin a été identifié comme de la Dureza (figure 14), vieux cépage, typique des Côtes-Du-Rhône septentrionales. La Dureza est « cultivée depuis un temps immémorial dans certains vignobles du nord de l’Ardèche, notamment dans la région d’Annonay » (Rougier In Viala et Vermorel 1905). Historiquement nous ne trouvons aucune trace de la présence de ce cépage en Franche-Comté sous l’appellation Dureza. Cette variété est connue également sous les termes de Duret, Duré au nord de l’Ardèche selon Pulliat (Pulliat 1876). Cette dénomination très ancienne a malheureusement été utilisée pour désigner également de nombreuses variétés bien différentes 39dont le Gentil Duret dans le nord de la Franche-Comté, probablement un Traminer (syn. Savagnin blanc), ou le Petit Baclan (syn. Béclan) dans le Jura40. Il paraît impossible de déduire quoi que ce soit à partir de cette désignation pour la Franche-Comté.

Figure 14 : cépage Dureza.

Figure 14 : cépage Dureza.

Crédit : collection ampélographique de Vassal-Montpellier.

Les aquarelles disponibles ne sont pas en désaccord avec cette identification de la Dureza ; la ressemblance est même frappante entre l’aquarelle de la Dureza (figure 13) et celle du Bregin dans Viala et Vermorel (figure 6). On retrouve également une caractéristique commune du Bregin, de la Dureza et du Tressot, la présence d’une dent au fond des sinus latéraux supérieurs (figures 3, 6, 13 et 14) ; sur l’aquarelle du Bregin clair (figure 3), la dent est seulement amorcée.

Figure 15 : cépage Dureza in Viala et Vermorel, 1901-1910.

Figure 15 : cépage Dureza in Viala et
          Vermorel, 1901-1910.

Source : Traité général de viticulture.

Comme le souligne Pulliat dans sa correspondance avec Vaissier (30 mars 1878) :

Ce qui me frappe surtout dans ces variations ce sont les Bregin gris, les Bregin panachés ou melês de grains noirs et blancs et le Bregin tout à fait blanc. Ce genre de variation que l’on remarque seulement sur les variétés de vignes très anciennement cultivées en grand indiquerait selon moi que le Bregin est très ancien dans vos cultures et qu’il y a été planté dans des sols de nature très diverse, cause ordinaire des variations de couleur dans le raisin.

Ce commentaire s’applique particulièrement bien au Tressot (Bouchardat 1852).

Dans les années 2000, la Dureza était considérée comme en voie de disparition mais actuellement quelques vignerons « ampélographes » essayent de la réhabiliter dans le secteur d’Annonay (Ardèche) ; ce cépage est officiellement inscrit au Catalogue des variétés de vignes depuis 2013.

Si le Durif a pu être confondu avec le Bregin au xxe siècle, il ne peut, du fait de sa création relativement récente (Galet 2015, p. 403), être le Bregin cité par Bauhin vers 1590.

Ces résultats permettent finalement de mieux comprendre les nombreuses variétés de Bregin décrites par les vignerons jurassiens aux xviiie et xixe siècles.

Ainsi à l’issue de notre étude, il paraît envisageable de retenir trois cépages principaux comme potentiellement synonymes du Bregin dans le secteur de Besançon à la fin du xvie siècle, le Tressot, la Dureza et l’Enfariné41. Pour les autres variétés signalées par Vaissier en 1878, certaines peuvent correspondent à des variations connues du Tressot (Bregin panaché, Bregin gris, Bregin blanc) (Guicherd 1905, p. 185) mais pour d’autres variétés (Bregin à feuilles rondes à peine sinuées, petit Bregin à petites grappes, etc.) on ne peut exclure d’éventuelles autres synonymies.

Que nous apportent ces synonymies ?

La synonymie permet de mieux comprendre le questionnement de nombreux ampélographes intéressés par ce cépage et que résume très bien Pulliat : « L’ampélographe qui voit fructifier pour la première fois le Bregin, sans connaître son lieu d’origine, ne peut guère supposer que sa grosse et longue grappe, de deuxième époque de maturité un peu tardive, soit une variété de vigne recherchée dans les environs de Besançon, où, selon nous, les cépages de première époque devraient seuls être cultivés ». Pulliat reprend ici une idée déjà émise en 1876 où il précise que « ce cépage tardif me paraît tout à fait déplacé aussi bien dans la Haute-Saône que dans le Doubs » (Pulliat 1876).

La Dureza, le Tressot et l’Enfariné sont effectivement trois cépages qui présentent une maturité dite de 2e époque42, c’est-à-dire deux semaines et demie après celle du Chasselas et, comme Pulliat, on ne peut qu’être surpris de leur présence dans le vignoble bisontin.

Hypothèse « Bregin = Dureza »

Dans cette acception, le Bregin ne serait pas un cépage autochtone qui se serait adapté, sur place, au terroir bisontin. Il serait arrivé manifestement par la vallée du Rhône il y a fort longtemps. On notera d’ailleurs que ce trajet de la région Rhône-Alpes à la région Franche-Comté fut aussi emprunté au cours de l’histoire par d’autres cépages : Corbeau, Durif, Joubertin, Mondeuse, Peloursin, etc.

À quand pourrait remonter l’introduction de la Dureza dans le vignoble bisontin ? Nous n’avons, pour l’instant, trouvé aucune information à ce sujet, mais il est certain que son introduction est fort ancienne, pouvant correspondre peut-être au développement historique de la viticulture dans la région. S’il a bien existé, à Besançon, de nombreuses variations et formes de ce cépage, cela implique un temps long pour permettre l’apparition de ces mutations aléatoires, et ensuite une sélection par les vignerons locaux. Mais cette apparente diversité intra-variétale pourrait aussi correspondre à un mélange de cépages distincts, mais assez ressemblants pour être confondus dans leur usage par les vignerons.

Génétiquement la Dureza n’a pas de rapports particuliers avec les anciens cépages jurassiens, ce qui conforte l’idée d’une introduction. Signalons que son croisement naturel avec la Mondeuse blanche a donné la célèbre Syrah (Collectif 2007, p. 304).

Quoi qu’il en soit, cette découverte apporte une information complètement nouvelle sur l’histoire de l’encépagement du vignoble bisontin.

Hypothèse « Bregin = Tressot »

Le Tressot est un des plus vieux cépages de la Basse Bourgogne (Guicherd 1905), comportant de nombreuses formes (Bouchardat 1852). Il aurait pu parvenir dans le Doubs par la Bourgogne ou par le département de la Haute-Saône. Comme pour la Dureza, nous n’avons trouvé aucun texte qui évoque sa présence dans le secteur de Besançon, mais génétiquement il a été en contact avec le Savagnin pour donner le Duras, cépage considéré comme originaire de la région de Gaillac ou de l’Ariège (Collectif 2007, p. 128).

Hypothèse « Bregin = Enfariné »

L’Enfariné est un cépage caractérisé par une baie d’un noir pruiné qui lui a valu le nom d’Enfariné. Le feuillage qui rougit à l’automne présente des similitudes avec les autres candidats à l’appellation Bregin. Il serait originaire de l’Aube (sous l’appellation Gouais noir) selon Guicherd (Guicherd 1905, p. 72). Comme le Tressot, il aurait pu être importé dans le département du Doubs en passant par le vignoble haut-saônois.

En conclusion, l’espoir d’une renaissance pour le Bregin

Le Bregin ou plutôt les Bregins, cités comme spécifiques au vignoble bisontin depuis la fin du xvie siècle, constituent une énigme ampélographique et étaient considérés comme des variétés de vigne disparues du vignoble bisontin. L’absence de matériel végétal permettant de faire le lien entre les noms vernaculaires utilisés par les vignerons locaux à différentes époques et les connaissances actuelles sur les cépages (caractéristiques ampélographiques, profils génétiques et aptitudes culturales) était une cause importante de la non-résolution de cette énigme. La découverte d’un pied de Bregin, en 2022, sur une parcelle abandonnée, connue pour avoir cultivé du Bregin depuis au moins 1950, permet de proposer une hypothèse nouvelle et complémentaire de celles résultant de l’analyse des sources historiques.

Le pied de Bregin trouvé dans les environs de Besançon, est un pied de Dureza, vieux cépage ardéchois.

L’exploitation des informations issues de la bibliographie (descriptions ampélographiques, phénologie, aptitudes culturales, iconographie) permet de mettre en avant deux autres cépages, le Tressot et l'Enfariné, comme candidats à l’appellation Bregin dans le vignoble bisontin historique.

Pour le xxe siècle, on peut ajouter le Durif, comme cépage pouvant désigner le Bregin à Besançon.

Il s’agit donc d’un cas d’homonymie, problème relativement fréquent en ampélographie. Dans notre cas, l’appellation Bregin semble correspondre à un ensemble de cépages à feuilles découpées et dont la maturité des raisins est tardive.

Grâce à cette découverte de Gérard Tatu, le Bregin d’Avannes devrait être sauvé. Lors de la taille de printemps en 2023, des sarments ont été prélevés sur le seul pied existant et permettront de reconstituer, après greffage, de nouveaux pieds qui seront implantés dans la vigne conservatoire mise en place par l’association Terrasses des collines bisontines et d’ailleurs, et dans la collection nationale du Centre de Ressources Biologiques de la Vigne de Vassal-Montpellier.

Bibliographie

Études

Bauhin J., 1651, Historiae plantarum universalis, t. II, Yverdon, Ebroduni.

Baverel (abbé), 1778, Réflexions d’un vigneron de Besançon sur un ouvrage qui a pour titre : Dissertation qui a remporté le prix de l’Académie de Besançon en 1777, sur les causes d’une maladie qui attaque plusieurs vignobles de Franche-Comté par le Père Prudent, Capucin, Vesoul, éd. Poirson [déposé à la bibliothèque municipale de Besançon].

Beauquier Ch., 1910, Faune et flore populaire de Franche-Comté, t. II, Leroux, Paris.

Bouchardat A., 1852, Monographie des tresseaux ou verreaux, Mémoires d’agriculture d’économie rurale et domestique, Société nationale et centrale d’agriculture – Bouchard-Husard, Paris.

Boursiquot J.-M. et al., 2021, Les Raisins de Pierre-Joseph Redouté, des aquarelles pour l’avenir de la vigne, Paris, Paulsen, 256 p.

Bousson de Mairet E., 1856, Annales historiques et chronologiques de la ville d’Arbois, Arbois, Madame Javel.

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Notes

1 Microtoponymes parfois encore présents dans le cadastre napoléonien. Retour au texte

2 Document actuellement égaré aux Archives départementales du Jura (ADJ), mais reproduit dans Toubin, 1873. Retour au texte

3 Tressot 1396 ; Pinoz 1366, etc. Retour au texte

4 Écriture conventionnelle des noms de cépages. Pour la suite de l'article nous utiliserons seulement Bregin(s). Retour au texte

5 Gentil au sens de noble cépage. Retour au texte

6 Curieusement, Galet (2015) écrit à tort Uvae Vesuntiae recopiant l’erreur de Rouget dans son ouvrage sur les vignobles du Jura (1897). Retour au texte

7 « Les Bregins (ou Bregines) sont semblables aux raisins bisontins par la forme et la couleur », traduction de Michel Thom. Retour au texte

8 Les ampélographes d’aujourd’hui évoqueraient peut-être le terme de famille de cépages. Retour au texte

9 Les poires à cuire étaient traditionnellement cuites dans du vin rouge. Retour au texte

10 Désiré Monnier (1788-1857). Retour au texte

11 Localité à proximité de Montbéliard. Retour au texte

12 Peut-être également une manière de se moquer des vignerons du Doubs qui cultivaient abondamment ce cépage ! Retour au texte

13 Ce mot patois (ou berdji) désigne également un petit espace réservé aux moutons dans l’écurie et fermé par une cloison en planches (Roussey 1894, p. 38 ; Dondaine 2002, p. 54). Retour au texte

14 Décédé le 19 janvier 2021, à l’âge de 94 ans. Communication personnelle. Retour au texte

15 Même information dans Le Vignoble de Mas et Pulliat (1876-1878). Retour au texte

16 Les noms Tressot, Tresau, Tresseau désigne bien souvent le Trousseau dans le vignoble jurassien et il est bien difficile de trancher ce problème d’homonymie. Retour au texte

17 Dès le xiiie siècle au moins, les archevêques possèdent une résidence d’été à Gy ou prospère un vignoble (Chapuis, 2019). Retour au texte

18 Information reprise dans Viala et Vermorel (1901-1907). Retour au texte

19 « […] semblables par leur forme et leur couleur aux raisins bisontins, on sent en les mangeant qu’ils ont une chair plus ferme et plus dure ». Nous tenons à remercier Bruno Poulle (Université de Franche-Comté) pour son aide à la traduction latine. Retour au texte

20 Lieu-dit classé en 1re qualité pour les vins le 10 novembre 1452 (ibid., p. 18) comme Tuffet et Cray [Craies] d’Avennes [Avannes]. Retour au texte

21 Bibliothèque municipale de Besançon, Ms 1574. Retour au texte

22 Le terme de cépage n’est pas encore en usage à l’époque. Retour au texte

23 Bibliothèque Municipale de Besançon, Ms 1574. Retour au texte

24 Canton de vigne célèbre de Bregille. Retour au texte

25 Galet (2006) et Lachiver (1988) fournissent le chiffre de 7400 ha en 1788 pour le département. Retour au texte

26 Possiblement le Gouais blanc si l’on suit Vaissier (1875) qui ajoute « gauche (geuche blanc) ». Retour au texte

27 6 625 ha pour Lachiver en 1824 (Lachiver 1988). Retour au texte

28 Ensemble des cépages appartenant à l’espèce V. vinifera subsp. vinifera. Retour au texte

29 Ses informations sont confirmées par les registres des enquêtes (Ms. 2313, Ms. 3518, ADD). Retour au texte

30 À partir de 1894, les plants sont greffés sur des porte-greffes américains ou franco-américains : Riparia, Rupestris, Vialla, Solonis (In Journal du Syndicat des fruitières de Comté, 1894, p.16). Retour au texte

31 Maurice Chapuiset, alors âgé de plus 90 ans. Retour au texte

32 Pacottet rappelle que ce cépage est rarement vinifié seul (In Viala & Vermorel 1905). Retour au texte

33 Annales historiques et chronologique de la ville d’Arbois. Rouget nous indique que trente millions de ceps tombèrent en quelques jours sous la pioche des commis du parlement de Besançon (Rouget 1897, p. 27). Retour au texte

34 « Pulsard noir, gros et petit noirin, béclans, troussot, malvoisie, pulsard gris, grappenoux, muscat noir, petit margillin, pulsard blanc, sauvagnin, blanc court ou brun, milleran, luzannois ou valet blanc, chasselard. » Retour au texte

35 « Il faut choisir pour lui des côtes chaudes et rapides, un sol pierreux et substantiel, sur roches fendillées ou sur des rocailles que ses racines puissantes aiment traverser […] » Retour au texte

36 Le décret du 30 septembre 1953, relatif à l’organisation et l’assainissement du marché du vin et à l’orientation de la production viticole, prescrit un recensement général du vignoble français. Retour au texte

37 Institut Français de la Vigne et du Vin. Retour au texte

38 Le château de Gy a été la possession des archevêques de Besançon depuis l’époque médiévale. Retour au texte

39 L’homonymie est très fréquente en ampélographie. Retour au texte

40 Rouget conteste cette synonymie Duret-Baclan (Rouget 1897, p. 68). Retour au texte

41 Sachant que pour le Tressot il est admis de nombreuses variations intravariétales. Retour au texte

42 2e époque hâtive pour le Tressot ; 2e époque tardive pour la Dureza [URL : plantgrape.plantnet-project.org]. Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence électronique

Max André, Jean-Michel Boursiquot et Thierry Lacombe, « Redécouverte du cépage Bregin dit Raisin de Besançon », Crescentis [En ligne], 7 | 2024, publié le 20 décembre 2024 et consulté le 24 mars 2025. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. DOI : 10.58335/crescentis.1591. URL : http://preo.ube.fr/crescentis/index.php?id=1591

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Max André

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