Louis Hébert, Introduction à l’analyse des textes littéraires

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Louis Hébert, Introduction à l’analyse des textes littéraires, Classiques Garnier, « Dictionnaires et synthèses » n° 23, 2023, 748 p., ISBN 978-2-406-14461-8.

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Ce livre est annoncé comme un prolongement, un remaniement, de l’ouvrage L’Analyse des textes littéraires : une méthodologie complète que l’universitaire québécois Louis Hébert avait publié il y a une dizaine d’années aux Classiques Garnier. Son auteur construit son champ d’étude et son panorama des études littéraires en croisant les deux éclairages de l’aspect (« le “quoi” on analyse ») et de l’approche (« le “comment” on analyse le quoi »), et en prenant la posture avouée d’un « systématicien ». L’ouvrage est ainsi construit à partir d’une taxinomie fouillée des champs et des outils d’étude de la littérature, à l’intérieur de laquelle se développe une description pédagogique des perspectives étudiées, illustrées en maint endroit par des tableaux récapitulatifs.

L’exposé est composé en deux parties. La première, courte d’une trentaine de pages à peine, tient lieu non pas d’introduction – il y en a déjà eu une – mais de « préparation », au sens d’une préparation de laboratoire : cette séance liminaire au cours de laquelle on recense les matériaux et on vérifie ses outils avant la séance proprement dite. Sous le titre « Aspects, approches, corpus », elle propose des définitions de ces trois notions, mais aussi de ce qui caractérise la critique littéraire – différente de la critique journalistique, cette critique que l’on a appelé jusqu’à Michel Charles1 la « critique mondaine ». Elle trace des lignes de démarcation entre la discipline, parfois distincte de ce qu’est l’approche, concept qui ne s’assimile pas non plus à celui de théorie. Si l’aspect est « une facette, un niveau, une composante, etc., d’un texte » (thématique, idéologique, représentationnelle…), l’approche est, elle, la démarche « plus ou moins institutionnalisée » correspondant à l’éclairage sous lequel le texte est abordé : écocritique, stylistique, rhétorique, poétique…, et peut se répartir en diverses familles d’approches des textes : approche interne (narratologie, linguistique, stylistique …) et externe (histoire littéraire, biographisme) par exemple. La notion de corpus donne lieu, elle aussi, une typologie : corpus d’études, corpus de référence, métacorpus… Le territoire à explorer se balise ainsi de la façon suivante : « On peut distinguer au moins trente grands aspects du texte et au moins cinquante grandes approches. Corpus, configuration et proposition sont, chacun, en nombre indéfini, si ce n’est infini » (p. 14).

La relation établie par la seconde partie du volume, « Aspect et approches », à la première est annoncée par son sous-titre : « Approfondissements ».

Ces « approfondissements » commencent par un chapitre consacré à la communication où, passé un exposé des fondamentaux tissés dans la relation de l’auteur d’un texte à son lecteur, prennent place notamment des « typologies des lecteurs et des lectures » et l’étude d’un schéma d’une communication particulière : celle qui construit le passage de l’écriture d’un texte par un auteur à la réception de la représentation théâtrale. S’ensuit un développement sur le thème : étapes définitoires, analyse thématique, analyse sémique, topos et cliché, mythe. On regrettera toutefois qu’à l’occasion d’une leçon aussi développée sur le thème ne soit pas abordée la question des relations entre le thème et le motif, ainsi que ce qui distingue ces deux catégories souvent confondues dans l’analyse littéraire, et ne se définissant presque que l’une par rapport à l’autre. À l’intérieur de la rubrique « Action » prennent place, suivant le protocole pédagogique à l’œuvre depuis les premières pages du volume, les questions définitoires (histoire ? récit ? action ? diégèse ? mimésis ?), les parcours diégétiques, et les notions faussement simples d’espace et de temps. Quelques chapitres sont consacrés à des invariants de l’étude des genres romanesque et théâtral. Sont ainsi présentés le personnage et ses avatars (actant, acteur, agoniste, héros, antihéros…), et autour de cette figure les questionnements qu’il soulève (typologie des relations entre les personnages, onomastique) ; le dialogue, et dans son entourage le monologue, l’aparté, le quiproquo. Appartient naturellement à cette section la présentation des grandes questions de narratologie, même si l’on peut trouver dommage que l’exposé n’intègre pas les interrogations de notre siècle, celles notamment concernant la solidité du concept de narrateur, remis en question depuis une quinzaine d’années, tant en France que dans la critique anglo-saxonne2. Au nombre de ces questions de narratologie sont exposées à la rubrique « Temps du récit » celles tenant à l’ordre et à la vitesse narrative, mais non celle des valeurs des tiroirs verbaux dans le récit au passé, jugée certainement trop grammaticale (à tort, il me semble) pour ce type d’ouvrage ; en tout cas, on ne les trouve ni ici ni plus loin dans le chapitre consacré à la grammaire. La séquence suivante, axée sur les représentations, balaie les questions traditionnelles soulevées par la sociologie de la littérature, le champ des études des idéologies jusqu’aux plus récentes (études queer et postcoloniales, écocritique, posthumanisme…), les valeurs et les études culturelles. C’est autour de la notion de contexte que prennent place les questions d’histoire littéraire et de périodisation, d’intertextualité et de transtextualité, de genres et de mouvements littéraires – ainsi que de ce qui distingue le mouvement du courant.

Il semble que passé cette étape, les chapitres continuent de s’empiler sans cohésion et de façon disparate, à la façon de séquences de cours autonomes que rien ne relierait entre elles. La présentation des quatre grands genres de la littérature reprend une terminologie contestable et d’ailleurs contestée : essai, poésie, texte narratif, texte de théâtre. Le terme d’essai pour désigner la prose non narrative semble bien pratique mais n’en est pas moins restrictif : que faire en ce cas du journal (diary), de la lettre, du pamphlet (libelle, satire, diatribe, etc.), et sans compter le fait que maint chapitre des Essais de Montaigne n’est pas à proprement parler argumentatif ? Toujours est-il que cette typologie est certes suivie d’un chapitre consacré à la poésie, ses « genres et formes », comportant une typologie de la poésie par « signatures » et donnant lieu à un grand tableau récapitulatif, mais que la séquence concernant le texte de théâtre est en revanche déplacée quelque deux cents pages plus loin sans que l’on comprenne bien pourquoi, alors que les principales questions concernant le texte narratif ont déjà été établies avant même l’exposé sur les genres (voir plus haut). De la même façon, ce chapitre sur la poésie se présente orphelin de celui consacré deux cents pages plus loin à la prosodie sous le titre « versification » et, encore cent pages plus tard, du chapitre « Norme et écart », ce couple antagoniste nécessaire – et presque suffisant ? – pour introduire une définition de la poésie, préalable absent du chapitre qui lui est consacré. La définition des modes mimétiques, évoquant notamment le fantastique, le merveilleux, l’étrange, le réalisme et l’absurde, est certes l’occasion d’ouvrir un important chapitre consacré au comique, mais seulement à cette notion, sans que la réflexion sur ce ton de la littérature, qui désigne suivant les époques le genre théâtral lui-même ou un de ses sous-genres, ne soit mis en relation avec le sous-genre par excellence auquel il s’oppose, et sur lequel il y aurait des choses à dire, tant ce sous-genre ne peut être assimilé au pathétique : le tragique. Est-ce parce que le comique soulève aux yeux de son auteur plus de perspectives ou plus de nécessité de mises au point que le tragique dans le cadre d’un enseignement universitaire ? On ne le saura pas. De la même façon, le chapitre consacré à l’analyse grammaticale est totalement décroché de celui consacré à l’analyse des phonèmes, situé quelque cent cinquante pages plus loin, et placé entre une étude de l’approche psychanalytique des textes littéraires et la typologie du recueil de textes, en particulier poétiques. La typologie grammaticale proposée travaille à partir de catégories depuis longtemps exclues de la nomenclature grammaticale en tout cas française pour des raisons de manque de cohérence : adjectifs possessif, démonstratif, etc. ; compléments « circonstanciels » définis suivant des critères sémantiques toujours discutables, mais en l’absence de toute approche de type syntaxique, sujet réel de formes impersonnelles impliquant une définition sémantique du sujet à rebours de la syntaxe, etc. Autre distribution a priori aléatoire dans la répartition des séquences de cette deuxième partie, le fait que l’étude des « Figures de style » soit placée entre un chapitre particulièrement bienvenu sur l’historique et les méthodologies de l’analyse des textes assistée par ordinateur (textométrie) et l’étude d’une structure comme celle de la mise en abyme. Une suite cohérente de plusieurs dizaines de pages étudie la question finalement au cœur de l’analyse textuelle, celle de l’interprétation. On regrettera toutefois qu’à la question liminaire « Combien de sens valables ? », l’ouvrage préfère aligner une nomenclature lourde et finalement peu productive (asémantisme, agnosémantisme, autosémantisme, monosémantisme, etc.), plutôt que d’évoquer la tripartition simple, claire et lumineuse proposée par Umberto Eco au siècle dernier : intentio auctoris, intentio operis, intentio lectoris – qui conclut des années de recherche et de théorisations sur la question de l’interprétation, menées par maint chercheur, au nombre desquels Eco lui-même3. Un chapitre sur les rapports entre la psychanalyse et la littérature et sur la critique psychanalytique (Jean Bellemin-Noël, Michèle Simonsen) soulève une question nécessaire sinon dans la pratique du moins dans l’histoire de l’analyse des textes, mais c’est à l’occasion de la lecture de ce chapitre qu’on réalise qu’il est bien seul finalement dans cet ouvrage, en l’absence de perspectives sur la critique historique, la critique génétique, la sociocritique… On s’étonnera toutefois en lisant « un parapluie (symbolisant) symbolisera métaphoriquement un phallus (symbolisé), lequel est lui-même symbolisant synecdochique du père (la partie pour le tout) », non pas seulement parce qu’on y prend un phallus pour un pénis mais surtout parce qu’on considère comme simple relation synecdochique ce qui est une relation tout de même problématiquement métonymique.

La fin de l’ouvrage est consacrée à deux grandes questions, développées dans des chapitres fort cohésifs. L’entourage de la littérature décline des chapitres consacrés : au cinéma, ses langages et ses genres ; à la chanson et à son rapport avec la poésie – ainsi que la question de l’adaptation du poème en chanson ; à l’adaptation et à la transposition littéraires ; aux médias et à l’intermédialité. C’est une séquence de trois chapitres consacrés à la sémiotique qui referme cette « introduction à l’analyse des textes », à une place qui ne laisse pas d’interroger : cette séquence est certes à raccrocher à la séquence initiale de cette longue deuxième partie consacrée à la communication, et l’on peut se demander si c’est par intention volontaire de symétrie que ces deux questions pourtant liées sont placées chacune à un bout du volume, ou si c’est parce que la sémiotique est considérée par l’auteur comme secondaire ou à l’inverse d’un degré de difficulté supérieur à ce qui précède.

L’ouvrage se referme avec la traditionnelle bibliographie des ouvrages cités, mais aussi la nécessaire présence d’un index de quinze pages des notions utilisées, parfois à divers endroits, ainsi que d’une table des « figures » (tableaux) éparses dans le volume.

Ce livre, riche d’énormément de perspectives, soulève des questions d’autant plus légitimes qu’il est en quelque sorte un retour – et par conséquent un recul – sur une première version parue dix ans auparavant. La première question porte sur le destinataire de l’ouvrage. Sa destination consiste certes, dans une collection intitulée « Dictionnaires et synthèses », à figurer sur une étagère de manuels, d’encyclopédies, mais l’on ne sait trop s’il s’adresse à des étudiants ou à des enseignants. Par certains côtés (rappels simplistes de notions grammaticales largement acquises à la sortie du collège, sans réflexion ni recul critique ; mention des « principaux problèmes » à éviter lors de la constitution d’un corpus), on pourrait penser qu’il s’adresse à un public étudiant. La complexité et le nombre de divisions et de sous-divisions dans les taxinomies proposées par maint chapitre laissent en revanche penser que cet ouvrage est bien plutôt, à l’inverse, un manuel de ressources à destination d’un public enseignant à l’université – et de ce point de vue, cet ouvrage est, certes, une bonne idée. Mais il fait la preuve d’un manque de solidité en l’absence d’un choix précis de destinataire, qui devrait en principe se traduire par la cohérence de son propos. Il comporte également d’autres incohérences, à commencer par celle de sa structure, que l’on ne peut qualifier autrement que d’aléatoire, et le fait que son ambition annoncée – l’exhaustivité – rappelle trop, dans son résultat, que ce type d’ambition ne saurait être qu’un vœu pieux.

Notes

1 Introduction à l’étude des textes, Éditions du Seuil, 1995. Return to text

2 Voir entre autres Sylvie Patron, dont le dernier ouvrage sur la question a été recensé dans notre revue, https://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=4006 (dernière consultation le 3 septembre 2024). Return to text

3 On consultera Umberto Eco, Les Limites de l’interprétation (I limiti dell’interpretazione, 1990), 1992. Return to text

References

Electronic reference

Hervé Bismuth, « Louis Hébert, Introduction à l’analyse des textes littéraires », Textes et contextes [Online], 19-2 | 2024, . Copyright : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.ube.fr/textesetcontextes/index.php?id=5121

Author

Hervé Bismuth

Maître de conférences, Centre Interlangues Texte, Image, Langage (UR 4182), Université de Bourgogne Franche-Comté, UFR de Langues et Communication, 4 Boulevard Gabriel, 21000 Dijon

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