Entre lieux domestiques et espaces urbains : une correspondance intransitive entre Françoise Ega et Carolina Maria de Jesus

  • Between Domestic and Urban Spaces: A One-Way Correspondence between Françoise Ega and Carolina Maria de Jesus

Abstracts

Cet article se penche sur l’œuvre de Françoise Ega. Ses écrits, notamment le roman épistolaire posthume intitulé Lettres à une Noire, reflètent sa perspective singulière en tant qu’immigrée noire, mère, travailleuse et écrivaine en France. Dans ce roman, elle s’adresse à l’autrice brésilienne Carolina Maria de Jesus, figure littéraire majeure au Brésil, dont elle a découvert le portrait dans un reportage publié dans Paris Match. Cette étude examine les points de convergence entre le récit de Françoise Ega et l’œuvre de Carolina Maria de Jesus. Notre objectif est de mettre en lumière la subversion littéraire particulière opérée par ce récit, qui transcende les conventions du genre épistolaire, puisque sa narratrice rédige des lettres destinées à une personne qui ne les lira jamais. Ainsi, nous aboutissons à une réflexion sur l’acte d’écrire et sur la condition précaire des femmes marginalisées. Pour mettre en exergue l’aspect subversif de Lettres à une Noire, nous établissons des liens avec des concepts et des idées ancrés dans des domaines tels que la littérature caribéenne de langue française, la littérature féminine noire, la diaspora noire et les études postcoloniales. Nous prenons ainsi appui sur les écrits théoriques d’autrices et auteurs tels que Frantz Fanon, Mireille Rosello et Gloria Anzaldúa, entre autres.

This article examines the work of Françoise Ega. Her writings, notably the posthumous epistolary novel Lettres à une Noire, reflect her unique perspective as a Black immigrant, mother, worker, and writer in France. This study investigates the points of convergence between Françoise Ega’s narrative and the work of Brazilian author Carolina Maria de Jesus, a major literary figure in Brazil and the recipient of the correspondence presented in Lettres à une Noire. In this novel, Ega writes letters to De Jesus, whose portrait she discovered in a report published in the magazine Paris Match. Our objective is to illuminate the particular form of literary subversion at work in this narrative, which transcends the conventions of the epistolary genre insofar as its narrator composes letters to a person who will never read them. Our approach thus reflects on the act of writing and the precarious condition of marginalized women. To this end, we establish connections with concepts and ideas rooted in fields such as Caribbean literature in French, literature by Black women, the Black diaspora, and postcolonial studies. In the same vein, we draw on the writings of theorists such as Frantz Fanon, Mireille Rosello, and Gloria Anzaldúa, among others.

Outline

Text

Nous sommes de ceux qui disent non à l’ombre. (Césaire 1978 : 5)Oubliez la chambre à soi — écrivez dans la cuisine, enfermez-vous dans la salle de bains. Écrivez dans le bus ou dans la file d’attente pour les aides sociales, au travail ou pendant les repas, entre le sommeil et le réveil1. (Anzaldúa 2009 : 31)

1. Introduction

Les parcours de Françoise Ega et Carolina Maria de Jesus se croisent à la faveur d’une filiation littéraire inattendue. Ce lien textuel naît d’un article de Paris Match de 1962, lu par Françoise Ega pendant son trajet vers son lieu de travail : la maison d’une famille aisée à Marseille, où elle faisait des ménages. Sur sept pages2, l’article dressait le profil de Carolina Maria de Jesus, une autrice brésilienne qui lançait un ouvrage en français. Carolina Maria de Jesus s’est fait connaître à travers son journal intime, publié sous le titre Quarto de despejo en 1960. La traduction française est parue en 1962 sous le titre Le Dépotoir. Témoignant des réalités vécues par les femmes noires dans une favela de São Paulo, l’ouvrage dénonce la misère, le racisme et les violences sociales qui affectent ces populations. Le texte de Paris Match présentait des passages de ce journal intime accompagnés d’un profil de Carolina Maria de Jesus qui mettait l’accent sur la misère, la douleur, les rebuts, la malnutrition et les zones abandonnées ayant marqué sa vie. Malgré tout, cette autrice était parvenue à publier son journal intime. Dans les images reproduites avec l’article, on la voyait d’ailleurs signer des copies de son ouvrage.

De l’autre côté de l’océan, Ega s’efforçait de trouver un éditeur pour ses mémoires d’enfance (Le Temps des madras). En lisant De Jesus, Ega prit conscience d’une possibilité nouvelle : celle de parler du politique à partir du quotidien. Inspirée par sa lecture, Ega entama sur le champ l’écriture de Lettres à une noire. Ainsi, elle put donner corps à son sentiment de proximité esthétique et politique avec l’autrice brésilienne : car les passages reproduits dans Paris Match qui présentent l’autrice brésilienne en figure exotique pour le public français de classe moyenne (Carneiro : 2024), sont justement ceux qui rapprochent les deux femmes. Les extraits construisent une figure insolite, quelqu’un qui ne faisait pas tout à fait partie du monde littéraire tel qu’on le connaissait. Le simple fait que De Jesus ait pu publier ses écrits dans son pays tenait de l’exception. Ce sentiment de proximité transparaît dès les premières lignes des Lettres à une Noire, où la narratrice s’adresse directement à Carolina : « Mais oui, Carolina, les misères des pauvres du monde entier se ressemblent comme des sœurs ; on te lit par curiosité, moi je ne te lirai jamais ; tout ce que tu as écrit, je le sais, et c’est si vrai que les gens les plus indifférents, font un boum de tes mots » (Ega 1978 : 9).

Cet article se propose d’examiner les points de convergence entre le récit de Françoise Ega et l’œuvre de Carolina Maria de Jesus, destinataire de la correspondance présentée dans Lettres à une Noire. À travers ses lettres, Ega livre ses réflexions sur la condition des Noires dans le contexte urbain et postcolonial de Marseille. Notre objectif est de mettre en lumière la subversion littéraire particulière qu’opère ce récit, qui transcende les conventions du genre épistolaire dans la mesure où sa narratrice rédige des lettres destinées à une personne qui ne les lira jamais. Cette correspondance a priori imaginaire, ou intransitive, propose ainsi une réflexion sur l’acte d’écrire et sur la condition précaire des femmes dans l’espace domestique. Si ce dernier est souvent considéré comme privé, dans le cas d’Ega, il devient le lieu de production du politique.

Nous formulons l’hypothèse que la confrontation des textes de Françoise Ega et Carolina Maria de Jesus éclaire les manières dont ces deux autrices noires ont investi les espaces domestique et urbain pour en faire des lieux de subjectivation littéraire, de résistance sociale et de critique décoloniale. Notre étude se divise en trois parties : la première présente l’état des études sur Françoise Ega ; la deuxième explore le dialogue entre les deux autrices ; et la troisième analyse les implications politiques et littéraires de cette rencontre textuelle.

Nous convoquons, au fil de cet article, des autrices et auteurs contemporains d’Ega et dont la pensée permet de mettre en lumière certains aspects fondamentaux de son œuvre, tels que Frantz Fanon, Béatrice Didier, Mireille Rosello, et Gloria Anzaldúa. En nous appuyant sur ces perspectives critiques, nous analyserons comment l’espace domestique devient chez Ega un lieu d’expression politique et de subjectivation, à travers le dialogue imaginaire tissé avec Carolina Maria de Jesus.

2. Lettres à une Noire (presque) sans Carolina : état de la question

Si c’est à Carolina Maria de Jesus que Françoise Ega adresse ses écrits dans Lettres à une Noire, cette filiation reste peu explorée dans la critique, notamment dans les travaux antérieurs à la parution de la traduction brésilienne de l’ouvrage, en 2021, sous le titre Cartas a uma negra. Cette section propose ainsi un retour sur les lectures critiques de l’œuvre d’Ega, afin de comprendre comment la figure de Carolina Maria de Jesus y est évoquée, mobilisée ou éludée.

Jusqu’à récemment, les travaux consacrés à Françoise Ega se sont surtout focalisés sur la manière dont elle s’inscrit dans l’histoire de la migration postcoloniale antillaise en France, notamment celle des femmes envoyées comme domestiques dans l’Hexagone. Arthur Flannigan-Saint-Aubin analyse la représentation du corps féminin noir et de la sexualité dans l’œuvre d’Ega, sans mentionner les livres de Carolina Maria de Jesus. Lorsqu’il parle de l’autrice brésilienne, comme dans l’article « Reading and Writing the Body of the Négresse in Françoise Ega’s Lettres à une Noire », il la considère avant tout comme une fonction du récit. D’après lui, Carolina Maria de Jesus ne serait, au fond, qu’une « destinataire imaginaire » (Flannigan-Saint-Aubin 1992 : 60) des lettres de la narratrice, Maméga. Le fait qu’Ega n’est jamais parvenue à faire la connaissance de l’autrice brésilienne importe peu, aux yeux du critique : ce qui importe, c’est la manière dont le discours de la narratrice construit une forme d’identité partagée (Flannigan-Saint-Aubin 1992 : 60). S’il analyse également la manière dont Ega utilise l’écriture pour subvertir les stéréotypes raciaux et de genre, le critique ne développe pas de réflexion sur un éventuel dialogue intertextuel ou interculturel entre les deux autrices.

Dans leur livre de 1995, Mary Ann Caws, Nancy K. Miller, Elizabeth A. Houlding et Cheryl A. Morgan étudient Lettres à une Noire en tant que récit antillais. Elles insistent sur la voix féminine et les dynamiques de pouvoir qui se dessinent dans le texte, sans toutefois mentionner Carolina Maria de Jesus.​ L’année suivante, dans Infiltrating Culture : Power and Identity in Contemporary Women’s Writing, Mireille Rosello s’intéresse à la position de la domestique dans Lettres à une Noire. Il s’agit pour la chercheuse d’un choix délibéré, dans la mesure où la narratrice se saisit de sa position pour étudier son environnement et transforme ainsi l’espace domestique en terrain d’analyse sociale. Rosello approfondit la question du rapport entre écriture et lecture, déjà abordée par Flannigan-Saint-Aubin. Selon elle, « Carolina est à la fois la seule correspondante possible et la correspondante la plus impossible » (Carolina is at the same time the only possible correspondent and the most impossible correspondent, Rosello 1996 : 75). De ce fait, la figure de la Brésilienne est interprétée comme destinataire symbolique. Selon Rosello, il s’agirait là d’une stratégie narrative permettant à la narratrice de créer un espace d’énonciation alternatif, en dehors des cadres dominants.​ En note, elle indique avoir lu la traduction anglaise de Quarto de Despejo, mais elle ne s’appuie pas pour autant sur cette lecture pour établir un dialogue critique (Rosello 1996 : 80). L’œuvre de De Jesus demeure ainsi en marge de l’analyse, alors même qu’elle pourrait éclairer les dimensions testimoniale et politique de l’œuvre d’Ega.

Dans Elles écrivent les Antilles (1997), Annabelle Rea explore la représentation du travail domestique dans l’œuvre d’Ega, soulignant la manière dont l’autrice donne une voix aux femmes invisibilisées. Cependant, elle ne mentionne Carolina Maria de Jesus qu’à deux reprises : dans un paragraphe servant à expliquer qui est l’autrice brésilienne (Rea 1997 : 301) et dans une note finale attestant de la lecture de son œuvre (Rea 1997 : 305). Il existe par ailleurs d’autres études qui ne mentionnent pas l’œuvre de Carolina Maria de Jesus (Johnson, Makward 1997), ou qui reprennent l’interprétation de l’interlocutrice comme un tu rhétorique, « un alter ego » (De Souza 1998 : 66).

Dans sa thèse de doctorat de 1999, Donatella Ruscito examine les traces de résistance dans le roman caribéen, en incluant l’œuvre d’Ega. Elle souligne que Françoise Ega était consciente de l’existence de l’ouvrage de Carolina Maria de Jesus et que cela aura suffi à fonder un lien puissant, bien qu’indirect, entre elles. Ce lien est représentatif d’une connexion entre femmes opprimées, une connexion capable de produire une force intérieure et un sentiment d’appartenance (Ruscito 1999 : 248). Toutefois, si De Jesus est mentionnée, son œuvre n’est pas analysée en profondeur : l’autrice est ici convoquée comme une figure catalytique, dont la fonction première est de permettre à Ruscito d’élargir sa réflexion sur la filiation entre femmes opprimées.

Dans un article de 1999 intitulé « Exclusion raciale et communication », Anny-Claire Jaccard analyse les thèmes de l’exclusion raciale et de la communication littéraire dans Lettres à une Noire et Le Baobab fou de l’écrivaine sénégalaise Ken Bugul. Elle s’attarde sur les mécanismes de marginalisation et de résistance s’opérant dans les récits. Carolina Maria de Jesus apparaît dès l’introduction comme figure tutélaire du récit d’Ega. Mais au-delà de ce rôle d’incipit symbolique, elle n’est ni intégrée à l’analyse ni sollicitée comme contrepoint, ce qui limite la portée d’un dialogue pourtant esquissé.

L’étude de 2001 « Textualizing the Immigrant Community: Françoise Ega’s Lettres à une Noire » de Patrice J. Proulx analyse la manière dont Françoise Ega transforme l’expérience des femmes immigrées antillaises en France en une narration littéraire qui dénonce l’oppression et affirme une identité collective (Proulx 2001 : 147).​ L’œuvre de Carolina Maria de Jesus est abordée à travers les lectures de Rea et Rosello : bien que de nature « “imaginaire” » (‘imaginary’), la relation entre Maméga et son « interlocutrice symbolique » (symbolic interlocutor), Carolina, s’avère essentielle pour la structure du texte et constitue un levier narratif fondamental (Proulx, 2001 : 142).

Enfin, la force de l’écriture d’Ega a transcendé les frontières caribéennes, inspirant de nouvelles lectures des productions issues des espaces francophones et lusophones d’Afrique et d’Amérique, ainsi que de l’Hexagone. Pourtant, il est surprenant de constater la rareté des travaux sur Lettres à une Noire qui interrogent véritablement l’importance de Carolina Maria de Jesus, ou qui s’attachent aux questions suivantes : Pourquoi Françoise Ega lui a-t-elle écrit ? Quelle est la portée symbolique de cette écriture épistolaire ? Quelles résonances ce dialogue transatlantique fait-il émerger ? (Carneiro, Machado Campello 2021 : 248-249). De nombreuses analyses se limitent à une mention de Quarto de despejo en note bas de page, car cet ouvrage constituerait un élément mineur dans le récit d’Ega : la correspondance y est dite « impossible », la destinataire étant « symbolique », « imaginaire », un « alter ego » de la narratrice, une simple « fonction » dans le récit.

Même la remarquable préface rédigée par Elsa Dorlin pour accompagner la nouvelle édition de Lettres à une Noire parue en 2021 ne propose ni réflexion approfondie sur le rapport littéraire entre les deux autrices, ni analyse de l’œuvre de Carolina Maria de Jesus. Bien qu’évoquant le dialogue entre les deux femmes à la fin de son texte (Dorlin 2021 : 21-23), Dorlin centre son paratexte sur la dimension sociologique du récit d’Ega, ce qui favorise une lecture à dominante référentielle ou testimoniale.

La relation entre Ega et De Jesus est marquée par une dimension dramatique, née d’une expérience partagée de privation radicale, dont l’écart géographique et linguistique accentue l’irréductibilité. Cette correspondance intransitive nourrit la réflexion de Maméga sur l’écriture comme geste d’angoisse et de dépossession, confiant au lectorat la responsabilité de dévoiler ce que cet écrit épistolaire ne peut formuler, et ce qu’il tente, malgré tout, de transmettre. Ces rapprochements littéraires sont analysés pour la première fois dans la thèse de doctorat « Mon chagrin, ton chant : correspondances possibles entre les œuvres de Carolina Maria de Jesus et Françoise Ega », qui cherche à dépasser une lecture documentaire de ces deux autrices noires et issues des classes populaires (Machado Campello, 2022). Ce travail s’est attaché à établir une comparaison, en mettant en lumière non seulement l’influence de De Jesus sur l’écriture d’Ega, mais également les articulations entre race, genre et classe qui traversent leurs récits – tant du point de vue de leur contenu que de leur dimension esthétique.

3. De la chronique sociale à la critique décoloniale : penser Lettres à une Noire avec Carolina Maria de Jesus

Pour prendre la mesure de l’importance de l’œuvre de Carolina Maria de Jesus dans Lettres à une Noire, il convient de revenir sur une définition souvent utilisée pour qualifier ces écrits : celle d’une œuvre à « caractère documentaire ou testimonial » (caráter documental ou testemunhal, Machado Campello, 2022 : 105), autobiographique ou encore confessionnel. On retrouve couramment cette étiquette dans les analyses de textes littéraires rédigés par des femmes – en particulier des femmes noires. Dans L’Écriture-femme, Béatrice Didier (1981) souligne que, de la Grèce antique à l’époque contemporaine, les femmes sont délégitimées parce qu’elles utilisent des constructions plus orales, c’est-à-dire moins soumises aux normes grammaticales ou aux conventions du « littéraire » (Didier 1981 : 32). À cela s’ajoute une série de préjugés ethnico-raciaux, qui tendent à attribuer aux autrices racisées, lorsqu’elles sont publiées, le rôle de porte-parole des maux sociaux de l’ensemble de la population noire – au détriment des caractéristiques esthétiques de leur œuvre (Carneiro, Machado Campello 2021 : 239-240). L’approche testimoniale tend ainsi à occulter la richesse formelle des récits d’Ega, son recours à des genres et sous-genres littéraires anciens, ainsi que la finesse avec laquelle elle construit ses personnages, ses espaces et ses anecdotes.

L’écriture d’Ega s’inscrit dans une tradition plurielle, à la croisée de l’autobiographie, de l’épistolaire et de la chronique sociale. Lettres à une Noire entremêle ces registres, tout en intégrant les codes propres aux récits de la condition domestique. À ce titre, son texte peut être mis en relation avec Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau. On peut également le situer dans une tradition de récits épistolaires, qui va des Lettres persanes de Montesquieu (1721), à Chronique de la Maison assassinée de Lúcio Cardoso (1959). Si on considère la thématique, on peut rapprocher Lettres à une Noire du roman Le Journal d’une femme de chambre d’Octave Mirbeau (1892). Cette généalogie littéraire permet de souligner les résonances intertextuelles qui jalonnent le parcours de l’œuvre de Françoise Ega, mais aussi de mettre en lumière les enjeux sociaux et culturels communs à ces textes.

Dans cette perspective, l’œuvre de Frantz Fanon offre un point d’appui précieux pour saisir l’enracinement et la portée des écrits d’Ega. Figure centrale pour la communauté antillaise dans le sud de la France, Fanon reste une référence incontournable dans la lutte pour la décolonisation des esprits. Lire Ega à la lumière de Fanon permet de mieux comprendre comment ses textes s’inscrivent dans un mouvement global de déconstruction des structures d’oppression postcoloniales. Leurs œuvres, bien que distinctes et issues de contextes différents, portent une même urgence : redonner une voix et une place aux peuples opprimés dans la cartographie du monde contemporain. Par exemple, dans Lettres à une Noire, le personnage principal se penche attentivement sur les difficultés rencontrées par les femmes originaires des Antilles employées comme domestiques dans l’Hexagone. Elle observe que ses compatriotes cherchent souvent à se distinguer des hommes et des femmes venus des anciennes colonies – la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane française et La Réunion – pour occuper des emplois modestes en Europe. Ces migrations s’inscrivent dans le cadre de la politique du Bureau des migrations d’outre-mer (Bumidom), un organisme d’État actif de 1963 à 1982, politique active visant à attirer de jeunes originaires des Antilles. Sylvain Pattieu précise que ces migrations ont connu une croissance considérable dès les années 1950 et que la majorité étaient issues des classes populaires (Pattieu 2016 : 81). Une partie des nouveaux arrivants a été prise en charge par l’État via le Bumidom, mais ces années ont aussi vu des femmes encore plus précaires se faire recruter de manière informelle pour travailler chez des familles aisées en métropole, ce que Maméga décrit avec lucidité :

Depuis que Martine Carol a ramené des Antilles une créole pour cuisiner chez elle, les dames de tout calibre se sont mises à la page. Elles paient le voyage aux filles qui veulent voir du pays, et hop ! Mûlatresses, chabines, négresses et capresses laissent l’île et attrapent l’aspirateur au vol pour commencer à se faire les pieds en arrivant (Ega 1978 : 34).

La description de Françoise Ega met en lumière les croisements entre les oppressions fondées sur le genre, la classe, l’ethnicité et la race ; ceux qui font en sorte que les femmes antillaises les plus pauvres soient traitées comme de simples marchandises, dans une logique qui s’assimile à celle du « trafic humain » (Ega 1978 : 13). Lorsqu’elle décrit Paris, Maméga adopte le point de vue de celles qui occupent les positions sociales les plus marginalisées et qui, dans leur mouvement constant à travers l’espace urbain, sont happées par ses structures de production et d’exploitation :

Voilà, Carolina, le bonheur parisien, et elles continuent à affluer par pleins bateaux, les unes pour avoir des allocations familiales au même titre que les Français de France, les autres dans l’espoir d’un gain plus substantiel, et le métro les happe, les usines les engloutissent. Alors elles se rongent, elles ne rient plus comme à Fort de France ou à Pointe à Pitre, elles n’en ont pas le temps. Parfois, elles trouvent le repos dans un sana, ou beaucoup d’argent près de Clichy, et voilà, c’est pas la case, pas la favella, mais le taudis et l’espoir qui ne laissent jamais les malheureux (Ega 1978 : 60).

Dans une perspective similaire, Carolina Maria de Jesus évoque l’imbrication des catégories d’oppression qui pèsent sur les femmes et les hommes pauvres et noirs dans l’espace urbain. À titre d’exemple, elle dévoile la logique hiérarchique du racisme tout en remettant en cause son fondement même : « C’est le Blanc qui dit qu’il est supérieur. Mais quelle supériorité présente le Blanc ? » (De Jesus 1965 : 82). À travers cette remarque ironique, elle invite son lectorat à reconsidérer la position du sujet blanc au sein de la structure raciale, démontrant que nul n’échappe à la logique de racialisation. En inversant le processus d’altérisation, De Jesus force la personne qui la lit à reconnaître sa propre place dans le système. Elle interroge par ailleurs les prétendues distinctions entre les races à travers une série de comparaisons concrètes, fondées sur l’expérience matérielle : « Le Noir boit, mais le Blanc boit aussi. La maladie qui atteint le Noir atteint le Blanc. Si le Blanc a faim, le Noir aussi » (De Jesus 1965 : 82).

Pour saisir l’horizon d’attente de ces femmes qui écrivent à partir d’un « lieu autre », il faut souligner les effets de déracinement, de perte de repères et de transformation du lien social que l’on retrouve au fil des pages. Ces bouleversements, souvent silencieux ou tus dans les récits dominants, sont rendus visibles à travers une écriture de l’expérience vécue du quotidien, enracinée dans la chair des plus précaires. Dans Lettres à une Noire, pour exposer les réalités de la précarité et des abus des employées de maison, Maméga décide, contre l’avis de son mari, de devenir elle-même femme de ménage polyvalente (Ega 1978 : 9-11). Ainsi, au fil du récit, la narratrice décrit les odeurs nauséabondes qui emplissent les pièces closes, dans une partie de la France régulièrement balayée par le mistral (Ega 1978 : 16). Elle dénonce également l’attitude intolérable de certaines maîtresses de maison, dont la pingrerie les pousse à manipuler les horloges pour prolonger la journée de travail (Ega 1978 : 63), tout en refusant de nommer les employées par leur véritable nom (Ega 1978 : 128). Maméga critique l’attitude condescendante de ses compatriotes qui jouissent d’un meilleur confort matériel (Ega 1978 : 127). Elle évoque les démarches qu’elle entreprend, entre Marseille et Paris, pour faire publier son manuscrit (Ega 1978 : 151-172), ainsi que ses prises de position face aux employeuses et employeurs, dans le but d’obtenir une amélioration des conditions de travail pour les femmes de ménage3. Elle cite à cet effet le cas de son amie Yolande, qui continuait à travailler bien que blessée (Ega 1978 : 17-19).

Dans Peau noire, masques blancs (1952), Fanon développe une analyse psychanalytique des complexes d’infériorité vécus par les personnes noires. Selon lui, la désaliénation passe par une prise de conscience soudaine des réalités économiques et sociales. Le complexe d’infériorité, lui, naît d’un double processus : d’abord économique, puis par l’intériorisation, ou plutôt l’« épidermisation » de cette infériorité (Fanon 1971 : 28). La personne noire habite une « zone de non-être » (Fanon 1971 : 6), un monde régi par des critères blancs dans lequel elle n’est jamais considérée comme un être humain digne et complet. Dans ce contexte d’impossibilité d’être, la femme noire peut en venir à retourner sa colère contre une autre femme noire.

C’est de cette zone de non-être décrite par Fanon que Françoise Éga cherche à sortir à travers un processus d’écriture profondément engagé, voyant dans la prise de parole et l’affirmation de soi les prémices d’un mouvement vers la désaliénation. C’est dans cette perspective qu’il faut lire ses récits. Fait notable, Éga ne recourt pas à une appartenance africaine essentialisée, souvent mobilisée comme stratégie d’auto-valorisation dans les luttes noires, comme l’a observé Gilroy (1993). Elle se connecte d’abord à une identité antillaise façonnée par la tendresse et les relations significatives qu’elle partage avec les femmes et les hommes de sa communauté. Si elle hérite bel et bien de la diaspora, à l’instar de Carolina Maria de Jesus, son expérience fondatrice est surtout marquée par le soin et l’affection.

Adulte, elle emporte avec elle ce savoir affectif lorsqu’elle s’installe en France métropolitaine. Sa foi catholique, vécue de manière active, renforce une éthique de l’amour qu’elle étend à toute la communauté antillaise à laquelle elle consacre son travail militant et littéraire. Elle se lie profondément à sa communauté créole, antillaise et martiniquaise, formée dans l’entrelacs de rencontres diverses, comme l’a suggéré Édouard Glissant dans Le Discours antillais (1981) et Introduction à une poétique du divers (1996).

Mais Françoise Ega va plus loin encore. En établissant un lien avec Carolina Maria de Jesus, elle trace une généalogie de la relation et de la solidarité : « Nous n’avons pas le même langage parlé, c’est vrai, mais celui de notre cœur est le même et il fait bon se retrouver quelque part, là où nos âmes se rejoignent » (Ega 1978 : 24). La Martiniquaise évoque les expériences communes aux femmes noires de la diaspora, tout en reconnaissant leurs différences. Elle refuse ainsi l’imaginaire d’une appartenance africaine mythifiée, issue d’une nation perdue ou fondée sur l’héritage du sang – autant de formations identitaires dangereusement essentialisantes, voire autoritaires. Ega écoute la Brésilienne sans parler sa langue, comprend ses pleurs, reconnaît sa voix et y répond, la prolongeant de ce même fait. On peut les entendre ensemble, Ega construisant un discours fondé sur le dialogisme, sur la relation à l’autre, en direction de l’altérité, comme l’a conceptualisé Mikhaïl Bakhtine (1984). En prêtant attention à leurs textes, en éveillant nos sens, on entend leurs chants qui réclament des mondes dans lesquels les femmes noires ont toute leur place.

Cette généalogie révèle donc à la fois une continuité et une rupture : si Ega s’inscrit assurément dans une tradition littéraire épistolaire, autobiographique et testimoniale, elle innove par son approche et son regard qui s’intéresse à la condition des travailleuses domestiques et propose une critique incisive des inégalités contemporaines. Mais surtout, ses récits s’inscrivent dans une autre lignée, rendue plus visible au cours des dernières décennies, notamment à travers la question formulée par Gayatri Chakravorty Spivak dans Les Subalternes peuvent-elles parler ? (2020). On fait référence à des récits tels que ceux de De Jesus, une femme immigrée, noire, travailleuse et mère, qui écrit « de l’intérieur » (de dentro, Dalcastagnè 2012 : 39).

4. Habiter, écrire, résister : la ville et le foyer chez Ega et De Jesus

Dans Lettres à une Noire, le travail domestique est pour la narratrice l’occasion de se livrer à un examen attentif, une restitution sensible et une analyse critique de sa société. En effet, en mettant en récit son vécu professionnel – comme aide-ménagère, vendeuse sur les marchés, couturière ou encore assistante dans une charcuterie –, Françoise Ega fait entendre les trajectoires partagées par de nombreuses migrantes confrontées aux mêmes conditions. On peut ainsi affirmer que la protagoniste joue un rôle d’espionne dans la famille bourgeoise française (Carneiro, Machado Campello 2021 : 246). Dans Infiltrating Culture, Rosello considère Maméga comme une infiltrée au sein de la famille bourgeoise (personnifiée par la figure des patronnes et patrons). Il s’agit, pour elle, d’une posture de dénonciation (Rosello 1996 : 58-59). Elle assimile de ce fait le travail de la femme de ménage à celui d’une enquête de terrain, resignifiant ainsi cette méthodologie anthropologique héritée du XIXe siècle, légitimatrice du racisme moderne, puisque la bourgeoisie européenne devient l’objet d’étude du récit (Rosello 1996 : 60-71). Cette interprétation se confirme dans Lettres à une Noire : Maméga choisit d’être domestique pour observer, décrire et analyser ce monde aisé dont elle fait son terrain d’écriture. Par la pratique de l’observation ethnographique, le roman subvertit la logique de l’anthropologie européenne du XIXe et du début du XXe siècles et, par conséquent, celle du colonialisme et de son héritage.

Une autre forme de subversion, cette fois littéraire, émerge dans le choix de Maméga de faire de son quotidien matière à narration. Dès lors qu’elle accepte d’exercer des travaux subalternes, elle devient écrivaine. Son écriture, tout comme celle de Carolina Maria de Jesus, remet en question la distinction entre l’espace de la création et celui du travail subalterne. Cette discussion renvoie au texte « Les femmes et le roman », où Virginia Woolf s’interroge sur les femmes qui écrivent :

La femme extraordinaire dépend de la femme ordinaire. C’est seulement quand nous savons quelles étaient les conditions de vie de la femme moyenne — combien elle avait d’enfants, si elle avait de l’argent à elle, si elle avait une chambre à elle, si elle avait des domestiques, de quelle part du ménage elle était chargée — c’est seulement quand nous pouvons nous représenter le mode de vie de la femme ordinaire, savoir quelle expérience de la vie il lui était possible d’avoir, que nous pouvons nous expliquer le succès ou l’échec de la femme extraordinaire comme écrivain (Woolf 1963 : 82).

Woolf plaidait pour que les femmes aient davantage accès à l’argent et aux loisirs, et pour qu’elles subissent moins de contraintes sociales, afin qu’elles puissent se consacrer à l’art avec autant de liberté que les hommes. Or ces conditions restent hors de portée pour une majorité de femmes, notamment celles issues des classes populaires ou racisées. Les publications d’individus issus de groupes économiquement et socialement subalternéisés révèlent une diversité d’expériences qui remet en question toute correspondance supposée entre la typologie d’un texte et le champ d’activité de la personne qui l’a écrit.

Dans ce contexte, où la création littéraire est souvent conditionnée par des inégalités persistantes, certaines autrices ont choisi de faire de leur position sociale et de leur vécu un point de départ pour penser autrement la littérature, non pour accéder à des espaces déjà établis, mais pour en redessiner les contours. C’est ainsi que des autrices comme bell hooks – qui dit avoir appris à l’école que le canon était un groupe « composé d’écrivaines et écrivains que la culture occidentale considérait comme “formidables” » (composed of the writers Western culture deemed “great”, hooks 2010 : 103) – ou encore Françoise Ega font de l’expérience personnelle un levier d’invention esthétique et de résistance. En dénonçant l’hégémonie d’un canon fondé sur l’expérience et les valeurs d’hommes blancs issus des classes moyennes et supérieures, hooks souligne la nécessité de revaloriser les récits venus d’en-bas, marqués par des existences que l’histoire littéraire a souvent marginalisées.

Dans ce cadre, l’écart entre les conditions rêvées par Woolf et les réalités vécues par les femmes racisées se révèle être un terrain fertile de création. L’écriture n’y est pas le fruit du loisir ou d’un isolement protégé, mais d’une lutte quotidienne pour préserver un espace mental et corporel propre, aussi réduit et précaire soit-il. Cette dynamique transforme les contraintes en force d’invention : le manque de temps, de silence, de reconnaissance ou même d’instruction formelle deviennent des données constitutives d’un mode d’écriture situé, vibrant, capable de dire l’intime et le politique à la fois.

C’est précisément ce que souligne Gloria Anzaldúa lorsqu’elle évoque les lieux inattendus où elle parvient à écrire – « dans la cuisine », « dans la salle de bains », « dans le bus ou dans la file d’attente pour les aides sociales, au travail ou pendant les repas, entre le sommeil et le réveil » (in the kitchen ; in the bathroom ; on the bus or the welfare line, on the job or during meals, between sleeping or waking, Anzaldúa 2009 : 31). Loin de la chambre silencieuse et bourgeoise imaginée par Woolf, ces espaces ordinaires deviennent des lieux d’expression puissants. Ils donnent naissance à des formes littéraires fragmentées, nomades, parfois orales, empreintes de l’expérience incarnée des autrices.

Il est alors crucial de reconnaître ces « femmes hors du commun qui émergent parmi les femmes ordinaires » (mulheres incomuns que despontam mesmo no universo das mulheres comuns, Machado Campello, 2022 : 205), en particulier celles issues des milieux populaires, celles qui, malgré un quotidien rythmé par la maternité et de longues journées de travail, trouvent un moyen d’écrire. Leurs écrits témoignent d’un effort de création enraciné dans les gestes de la vie quotidienne. Souvent, elles travaillent pour d’autres femmes, généralement blanches, les aidant à s’occuper de leurs maisons et de leurs enfants. Malgré tout, elles écrivent. Dans Lettres à une Noire, l’espace domestique devient ainsi le lieu de la confrontation politique, celui où se révèlent les oppressions de classe, de race et de genre. La narration de la ville est traversée par la description des conditions de vie des femmes antillaises employées comme femmes de ménage dans les maisons bourgeoises : « En effet, il y a beaucoup de filles que l’“on fait venir” à Marseille. Elles laissent les îles pour une destinée meilleure. Je les vois, et c’est toujours la même chose, elles sont achetées presque pour un certain temps » (Ega 1978 : 13).

Les lieux d’exploitation se cachent souvent dans les caves ou les petites chambres au fond des maisons des familles blanches et aisées. Les personnages des jeunes Antillaises occupent ces lieux clos et secrets à l’intérieur des appartements et des demeures provençales dont Maméga entrebâille les rideaux :

Moi, fille du vent et des espaces libres, je suis obligée de tourner en rond dans un vaste appartement aux volets clos. Quand j’entre dans les chambres des jeunes fûles, la nausée me saisit, je me précipite aux fenêtres que j’ouvre si la maîtresse de maison ne fait pas le guet, car elle a horreur de la lumière du jour. Dans ces conditions, je ne pense qu’au mistral qui soufflerait pour assainir ce logement calfeutré. Je passe l’aspirateur et mes boyaux se tordent, la nausée me gagne avec toutes ces odeurs mélangées, parfum, transpiration, cuisine (Ega 1978 : 16).

Loin de l’idéal promis, elles découvrent un quotidien fait d’isolement et d’exploitation. Attirées par les promesses d’une vie meilleure et d’un voyage payé, elles se retrouvent enfermées. La description des appartements clos révèle donc bien plus que l’aménagement intérieur ; elle dévoile les relations de travail entre patronnes et domestiques. Peu d’entre elles, voire aucune, n’avaient la possibilité d’ouvrir les fenêtres comme le faisait Maméga. Beaucoup restaient prisonnières de situations rappelant l’esclavage : « Comme je plains les Antillaises qui sont obligées de rester 24 heures par jour avec ces lunatiques à qui elles servent de cobayes ! » (Ega 1978 : 42).

Pour Maméga, qui rentre chez elle à la fin de la journée, retrouver le contact avec la nature – dont ces maisons finissent par l’éloigner – devient une manière de renouer avec un autre monde. « Fille du vent », elle pense au mistral – « le vent qui passe par le Mont Ventoux avant de se ruer sur Marseille » (Ega 1978 : 60) – et à sa Martinique natale – « J’ai même chaud au cœur en pensant à mon pays sans caves ! » (Ega 1978 : 22). Cette oscillation entre le dehors naturel et l’intérieur bourgeois renforce la tension entre exil et enfermement.

La ville décrite par Maméga reflète cette tension, selon que la narratrice entre ou non dans les maisons bourgeoises. Elle souligne également un mode de vie occidental fondé sur une séparation entre l’homme et le monde naturel. En cherchant à retrouver sa condition originelle de personne intégrée à la nature, elle ouvre les fenêtres, contrastant ainsi avec la patronne qui « déteste la lumière du soleil ». Cette opposition évoque deux modèles de rapport au monde : l’un organique et vivant, l’autre répressif et clos.

Parallèlement, Maméga critique aussi les Antillais mieux insérés dans les structures économiques et sociales, qui méprisent les femmes antillaises pauvres. Elle note que certains hommes « installés » en France regardent avec condescendance celles qui occupent des emplois précaires, comme si leur réussite les autorisait à juger les autres. Cette attitude met au jour les tensions internes à la diaspora antillaise, où les hiérarchies de classe se reproduisent et se croisent avec les oppressions raciales et genrées : « Il y a bien des filles du pays à Marseille, sachant laver le linge de Madame ou cuisiner la soupe de Monsieur, mais de celles-là les dirigeants antillais ne veulent pas » (Ega 1978 : 50). En rendant visibles ces mécanismes de domination entre membres d’un même groupe d’origine, le texte donne à voir la complexité des rapports sociaux dans les sociétés postcoloniales. Maméga ne se contente pas de dénoncer l’injustice de la société française ; elle remet en question les logiques de distinction au sein des populations marginalisées. La narratrice met par ailleurs en évidence les préjugés de classe et de genre qui affectent les relations entre compatriotes dans les bals antillais de Marseille. L’Antillais aisé, comme le raconte Maméga, cherche à s’intégrer à l’identité française par la négation des signes identitaires antillais. Il rejette les vêtements traditionnels, la langue locale, espérant se faire passer pour un Français de métropole et niant ainsi son statut de sujet décalé, pas à sa place.

Dans cette perspective, le texte d’Ega dépasse le simple témoignage individuel pour devenir un outil d’analyse critique mêlant observation sociale, vécu personnel et posture politique située. La force de son écriture réside dans sa lucité et sa capacité à inscrire le quotidien dans une conscience collective élargie. Lettres à une Noire transforme cet espace domestique contraignant en lieu de résistence et de réflexion, sur elle-même et sur toutes les femmes de ménage.

Maméga se sent enfermée dans le monde du travail, et son aliénation se traduit dans ses descriptions des espaces : le « vaste appartement aux volets clos » (Ega 1978 : 16), « un vrai musée » (Ega 1978 : 56), les « véritables greniers » (Ega 1978 : 32). Ces lieux deviennent le symbole d’un confinement physique et social imposé aux femmes antillaises, souvent cantonnées à des chambres de bonne ou à des espaces invisibles. Face à cela, Maméga cultive une liberté intérieure nourrie par le souvenir de son « pays sans caves » (Ega 1978 : 22).

Le récit d’Ega rejoint les analyses d’Édouard Glissant sur l’exil structurel de la jeunesse antillaise absorbée par la métropole (Glissant 2011 : 13-26). Les femmes antillaises sont embauchées à bas coût, sans perspective de progression sociale. Ega montre que ce système reproduit une logique coloniale, dans laquelle le travail domestique devient une forme d’aliénation. Maméga, consciente de cette situation, choisit néanmoins d’être journalière : une décision qui lui permet de préserver une part d’autonomie : « J’aurais pu m’en aller, mais si je pars, je ne saurai jamais jusqu’où peut aller une dame, en face d’une bonne noire. C’est mieux que ce soit moi qui le constate, d’autant plus que je peux rire de tout mon saoul avec les miens, en arrivant chez moi le soir » (Ega 1978 : 38). Ce refus d’une servitude complète se manifeste aussi dans son rapport critique à la sottise sociale : « Si je reste chez moi, je ne pourrai jamais voir jusqu’où peut aller la bêtise humaine. » (Ega 1978 : 14).

L’espace domestique est ainsi, chez Ega, un lieu d’observation sociale et de résistance, réconfiguré en espace de création politique. Au-delà de l’analyse des hiérarchies domestiques, Lettres à une Noire soulève la question de la légitimité des voix noires féminines dans le champ littéraire. En assumant simultanément les rôles de femme de ménage et d’écrivaine, Ega propose une écriture transgressive, valorisant l’expérience subalterne comme source de connaissance et d’autorité narrative. Elle montre que l’espace domestique peut être reconfiguré comme lieu de résistance et de création politique.

Cette politisation du quotidien trouve un écho dans l’œuvre de Carolina Maria de Jesus, bien que leurs contextes diffèrent – à savoir, les favelas de São Paulo et les quartiers populaires de Marseille. Les autrices partagent une même volonté d’autonomie et réinventent le travail pour en faire un outil d’affirmation de soi. Elles refusent l’assujettissement traditionnel des femmes pauvres et reconfigurent leur quotidien urbain à partir des marges. Malgré l’exploitation qu’elles subissent, elles restent en ville. De Jesus construit sa baraque à São Paulo, où elle élève ses enfants. À Marseille, Maméga offre à ses enfants un avenir qu’elle n’a pas eu en Martinique. Toutes deux publient leurs livres dans ces villes, lieux de contradictions mais aussi de création.

Les trajectoires de ces deux femmes incarnent ainsi des stratégies divergentes mais complémentaires face au patriarcat et à l’oppression économique. L’une préserve son autonomie en restant seule ; l’autre trouve dans sa famille un point d’ancrage. En affirmant leur droit à la parole depuis des espaces traditionnellement dévalorisés, ces autrices redéfinissent les contours de la légitimité littéraire. Elles montrent que les femmes noires peuvent faire de leur expérience un lieu de connaissance et de création.

Par exemple, dans Lettres à une Noire, Ega explore les tensions entre celles et ceux qui maîtrisent l’écrit et celles et ceux qui en sont exclus, rejoignant l’analyse d’Ángel Rama dans La ciudad letrada (1984)4. Elle transpose cette réflexion en France postcoloniale, en soulignant l’interface improbable entre domesticité et littérature. En effet, la domesticité apparaît dans son ouvrage comme un lieu de friction sociale autant que d’invention poétique. Cette articulation entre violence domestique et potentiel poétique constitue l’un des axes fondamentaux de son écriture. Dans Lettres à une Noire, Maméga dénonce la violence structurelle du travail domestique, qu’elle compare à une forme contemporaine d’esclavage : « Est-ce la traite ? Est-ce la traite qui recommence ? Mon Dieu, dites-moi que j’exagère ! Mon Dieu, dites à ces filles qui arrivent par pleins bateaux au Havre, à Cannes ou à Marseille, “Quo vadis ?” » (Ega 1978 : 35). Ce cri, à la fois personnel et collectif, marque la tension constante entre aliénation et agentivité. Malgré tout, elle choisit ce travail ponctuel, qui lui permet au moins de rentrer chez elle quand elle le souhaite. Ce choix lui ouvre paradoxalement un espace de retrait et de réflexion, qu’elle transforme en laboratoire d’écriture. À l’instar de Carolina Maria de Jesus, qui écrit depuis sa baraque dans la favela, Ega transforme un espace de marginalité en poste d’observation critique et en atelier littéraire. En exposant les violences symboliques et matérielles associées à la pauvreté, à la race et au genre, l’une comme l’autre révèlent l’ampleur des obstacles à surmonter pour que leurs voix, trop souvent marginalisées dans le champ littéraire, soient enfin entendues et légitimées. Ce processus critique s’exprime de manière saisissante dans les mots de Maméga elle-même : « Ainsi je fais l’expérience qu’il y a vraiment de sots métiers, puisque, selon que tu es femme de ménage ou femme de lettres, tu passes de la condition de bête de somme à celle de créature humaine » (Ega 1978 : 151). Ici, la voix narrative utilise la polysémie pour souligner l’écart entre la reconnaissance accordée à l’écriture et le mépris réservé aux tâches domestiques – deux réalités que tout oppose en apparence, mais que Maméga entrelace dans sa double posture de travailleuse ménagère et d’autrice. Une posture singulière, mais qui n’est pas isolée ; c’est ce que démontre l’entrée en scène de Carolina Maria de Jesus, qui conjugue, elle aussi, plume et travail manuel socialement méprisé. Même si elle exerce un métier peu valorisé, elle se donne les ressources nécessaires pour documenter l’injustice et l’épuisement de ses compagnes. Le texte agit à deux niveaux : d’un côté, il décrit l’exécution concrète de son métier ; de l’autre, il donne lieu à une élaboration critique par l’écriture, une dénonciation de l’indignité des conditions imposées (Carneiro : 2024). Cette double opération du texte est étroitement liée à la destinataire des lettres. La correspondance fictive devient un instrument de dialogue transatlantique, une manière de collectiviser l’expérience tout en affirmant une individualité littéraire. C’est à travers la découverte du texte de Carolina Maria de Jesus – à la fois miroir et déclencheur – que Maméga trouve une légitimation à sa propre prise de parole, même si elle sait que leurs chemins ne se croiseront jamais : « Carolina, tu ne me liras jamais, je n’aurai jamais le temps de te lire, je vis au pas de course, comme toutes les ménagères occupées, je lis des livres condensés, tout change trop vite autour de moi » (Ega 1978 : 10). Cette proximité se manifeste à partir du moment où la narratrice reconnaît dans le texte de Carolina Maria de Jesus une parole subversive, apte à déconstruire les rapports de pouvoir. C’est un objectif qu’elle poursuit elle aussi dans sa démarche littéraire.

Si Maméga affirme ne pas avoir le temps de lire De Jesus, son accès fragmentaire aux livres, par le biais de condensés, révèle une volonté de se rapprocher de cet univers lettré. Cette pratique de lecture, bien que contrainte, témoigne d’une reconnaissance. En raison de sa condition sociale et des circonstances dans lesquelles elle lit – dans le bus, entre un klaxon et un frein, et à la maison, entre la cuisine et le coucher des enfants –, la narratrice pratique ce que Pierre Bayard (2007) appelle une lecture « non-lectrice ». Selon lui, on lit de différentes manières : en choisissant des fragments au hasard ; en nous penchant sur des chapitres pertinents pour notre recherche ou des passages cités ; en feuilletant une publication qui nous intéresse, et même en écoutant quelqu’un parler d’une œuvre. Tous ces exemples illustrent des pratiques de « non-lecture » – c’est-à-dire, certes non-linéaires et non-exhaustives, mais nous permettant de commenter les œuvres et, surtout, de créer à partir de ce que nous lisons. Il convient ici de rappeler que ce n’est qu’à travers les sept pages de l’article de Paris Match que Maméga s’est familiarisée avec l’œuvre de Carolina Maria de Jesus (Carneiro, Machado Campello 2021 : 249-250). Ce geste de lecture, même fragmentaire, initie un véritable dialogue littéraire à travers l’Atlantique. Ega reconnaît en De Jesus une sœur d’écriture, une voix diasporique porteuse d’une trajectoire qui résonne avec la sienne. C’est pour cette raison qu’elle a choisi de raconter à De Jesus l’histoire d’autres femmes migrantes, marquées par leur condition de classe, de race et de genre, tout en partageant son propre parcours.

Ensemble, Françoise Ega et Carolina Maria de Jesus ont construit un espace de résistance littéraire et d’émancipation politique partagé, réaffirmant le droit des femmes noires à raconter leur vie. Il convient dès lors de revaloriser l’ensemble de l’œuvre des deux femmes, en considérant leurs textes non seulement comme des documents autobiographiques, mais aussi comme des espaces de construction de subjectivités politiques, à la croisée de la diaspora, de la critique sociale et d’une esthétique de l’émancipation. De plus, leur ouvrage se caractérise par un excédent de sens, qui se constitue dans l’espace intertextuel où résonnent des voix historiquement étouffées. De ce fait, leurs écrits fondent une généalogie : dans une sorte d’écho transatlantique, leurs récits tissent une cartographie de résistances féminines noires, imprégnées d’une conscience diasporique et d’une identité narrative en construction. Pour saisir la portée politique et symbolique de cet échange imaginaire, il faut prendre en considération la dimension de l’inspiration ou de la figure de référence : c’est depuis les marges urbaines brésiliennes qu’apparaît une voix littéraire ayant nourri l’élan créatif d’Ega et son désir de faire reconnaître son travail (Carneiro, Machado Campello 2021 : 250). Comme le dit Maméga : « Nous n’avons pas le même langage parlé, c’est vrai, mais celui de notre cœur est le même et il fait bon se retrouver quelque part, là où nos âmes se rejoignent Aujourd’hui, j’ai repris ma sérénité et je bavarde avec toi, je me sens reposée » (Ega 1978 : 24). À travers leurs récits, il est possible d’appréhender la dimension collective de leur condition humaine tout en reconnaissant l’unicité de leurs réalités marginalisées, qu’il s’agisse des bidonvilles ou des périphéries où elles vivent. Pour Ega et De Jesus, écrire devient « une manière de réaffirmer leur présence dans le monde » (uma maneira de reafirmar sua presença no mundo, Dalcastagnè : 2017), d’affirmer leur existence au-delà des tâches domestiques et des oppressions de classe. Lorsqu’elles rencontrent d’autres femmes ayant vécu des expériences similaires, elles se sentent renforcées par cette reconnaissance mutuelle, à même de favoriser un sentiment de communauté.

Le roman épistolaire de Françoise Ega met en lumière le potentiel que renferme cette forme littéraire pour articuler une politique de l’intime, profondément liée aux espaces domestiques d’où elle émerge. En adressant ses lettres à une figure absente, Ega instaure un dialogue fictif qui interroge à la fois la forme et l’énonciation de son récit : qui parle à qui, et pourquoi ? L’absence de réponse de la destinataire souligne le caractère intransitif et performatif de cette correspondance, la faisant apparaître comme une sorte d’insurrection artistique. Comme le montre Vanessa Massoni da Rocha, c’est une écriture qui se construit consciemment, en jouant sur la « mise en scène » de soi et de l’Autre. L’échange imaginaire qui en découle permet de réinventer à la fois l’intimité et le collectif (Massoni da Rocha 2012 : 20). À travers cette correspondance, Ega enrichit la tradition de l’écriture féminine de nouvelles dimensions esthétiques et politiques. Elle crée des « facettes sociales » (Massoni da Rocha 2012 : 20) – des rôles performatifs que des femmes comme De Jesus et elle peuvent incarner (Massoni da Rocha 2012 : 20). En ancrant son récit dans une réalité transnationale et diasporique, elle fait du foyer un lieu de résonance qui dépasse les frontières géographiques et connecte ses luttes personnelles à celles d’autres femmes marginalisées. Dans une sorte d’effet de miroir, la figure de Carolina Maria de Jesus, ancrée dans la favela brésilienne, fait écho aux défis rencontrés par Ega, Martiniquaise en France métropolitaine.

Bien que fictif, le dialogue avec De Jesus permet à Ega de dénoncer les inégalités de genre, de classe et de race dans l’espace domestique. Celui-ci devient dans Lettres à une Noire un lieu de parole insoumise et de production d’une subjectivité politique nouvelle. En même temps, Ega instaure une dimension fictionnelle dans son récit de soi, remettant ainsi en cause la dimension de témoignage tout en la renforçant. La correspondance investit Carolina Maria de Jesus d’une « présence spectrale », renforçant ce lien intime et solidaire qui dépasse la simple relation épistolaire (Machado Campello 2022 : 109). Ainsi, la forme de la lettre, loin d’être spontanée, devient un outil pour questionner les rôles assignés aux femmes dans les espaces intimes, invitant la personne qui la lit à reconsidérer l’espace domestique comme un lieu de production du politique.

Conclusion

À la lumière des interactions textuelles entre Lettres à une Noire de Françoise Ega et le récit de vie de Carolina Maria de Jesus, cet article a exploré comment l’espace domestique, traditionnellement associé à la sphère privée et à l’invisibilisation des travailleuses subalternes, devient un lieu de production littéraire et politique. En puisant dans la pratique ethnographique pour subvertir les dynamiques de pouvoir et en intégrant la dureté des tâches ménagères au processus de création, Ega a ouvert la voie à une redéfinition de la littérature. Ce choix d’écrire depuis l’espace domestique traduit une prise de pouvoir symbolique où l’espace clos se transforme en un site d’observation et de critique des hiérarchies de classe, de race et de genre.

Le parallèle entre Ega et De Jesus est fondamental pour appréhender ce geste littéraire dans une perspective décoloniale. Ega, consciente de la portée sociale et politique de son écriture, s’inspire de l’expérience de l’autrice brésilienne pour exprimer une voix antillaise, résolument enracinée dans la réalité métropolitaine française.

En croisant ces deux trajectoires, le présent article a également montré comment l’écriture située de ces femmes noires, issues des périphéries urbaines, engage une pensée de la résistance ancrée dans le quotidien et fait émerger un espace littéraire transatlantique alternatif. Cette démarche, qui dépasse les limites géographiques et sociales, interpelle la lectrice et le lecteur sur les liens entre oppression et créativité littéraire, et invite à une reconnaissance de l’importance des femmes issues des milieux populaires, souvent reléguées à la périphérie de la scène littéraire, comme actrices essentielles de la critique sociale.

En fin de compte, l’œuvre de Françoise Ega, à travers sa correspondance fictive avec Carolina Maria de Jesus, établit un espace transatlantique de solidarité et de résistance. Elle révèle en quoi le témoignage de vies marginalisées peut être un acte subversif, porteur de revendications légitimes : la redéfinition du canon littéraire et, par extension, la déconstruction des dynamiques de pouvoir qui structurent nos sociétés. Ce faisant, elle rend visibles les conditions matérielles et symboliques de l’écriture subalterne et souligne la puissance d’un savoir situé, forgé à même les marges. Par ce biais, Lettres à une Noire invite les destinataires d’aujourd’hui à se pencher sur l’héritage littéraire des voix subalternes et à considérer ces œuvres comme des contributions fondamentales à la littérature et à la critique sociale du XXe siècle.

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Notes

1 “Forget the room of one’s own – write in the kitchen, lock yourself up in the bathroom. Write on the bus or the welfare line, on the job or during meals, between sleeping or waking.” Les traductions des citations sont de notre responsabilité. Return to text

2 Une première analyse du reportage a été présentée en français dans l’article « Dialogue et hybridisme entre les œuvres de Françoise Ega et Carolina Maria de Jesus » (Carneiro : 2024). Return to text

3 Pour une première version du résumé de ce roman, voir « Dialogue et hybridisme entre les œuvres de Françoise Ega et Carolina Maria de Jesus » (Carneiro : 2024). Return to text

4 Ce rapprochement entre les œuvres de Ega, De Jesus et Rama a été développé dans l’article « Dialogue et hybridisme entre les œuvres de Françoise Ega et Carolina Maria de Jesus » (Carneiro : 2024). Return to text

References

Electronic reference

Vinícius Carneiro and Maria Clara Machado Campello, « Entre lieux domestiques et espaces urbains : une correspondance intransitive entre Françoise Ega et Carolina Maria de Jesus », Textes et contextes [Online], 20-1 | 2025, 15 July 2025 and connection on 14 October 2025. Copyright : Le texte seul, hors citations, est utilisable sous Licence CC BY 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont susceptibles d’être soumis à des autorisations d’usage spécifiques.. URL : http://preo.ube.fr/textesetcontextes/index.php?id=5438

Authors

Vinícius Carneiro

Enseignant CDI, Cecille ULR 4074, Université de Lille, Faculté des Langues, Cultures & Sociétés, 42 Rue Paul Duez, Lille, France

Maria Clara Machado Campello

Post-doctorante, Unifesp, École de Philosophie, Lettres et Sciences Humaines, 333 Estrada do Caminho Velho, Jd. Guarulhos/SP, 07252-312, Brésil

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