Des peuples de Clavel et Guilloux

  • About the Peoples of Clavel and Guilloux

DOI : 10.58335/rec.144

p. 81-98

Index

Mots-clés

Clavel (Bernard), Guilloux (Louis), littérature prolétarienne, travail, marge

Keywords

Clavel (Bernard), Guilloux (Louis), proletarian literature, work, margin

Plan

Texte

L’échappée aux peuples imposés

On m’a dit souvent écrivain paysan [...] on m’a donné beaucoup d’étiquettes [...] j’aimerais bien un jour être écrivain tout court.1

[…] il y a deux littératures. Zola, par exemple, écrivain à tendances scientifiques et sociales, essaye d’interroger objectivement le monde. Il interroge, quant à moi, je m’interroge… ou je suis interrogé.2

On pourrait commencer par-là, l’examen de ces réductions et assignations, et les tentatives de s’y soustraire opérées par ceux qui en sont les objets.

Le premier, Bernard Clavel répondant en 1980 à Jacques Chancel, égrène quelques-uns des qualificatifs qui lui ont été à différentes reprises attribués, contestant ce qu’il identifie comme une minoration de son travail d’écriture. « Paysan », « jurassien », « lyonnais » … La liste n’est pas close et la tentation grande de le considérer comme tel, singulièrement d’en faire un représentant du « roman de terroir », et de voir prédominer dans ses textes la présence d’un territoire entendu comme un espace circonscrit, spatialement délimité par des frontières, construit dans une durée qui lui donne corps, habité par des hommes et des femmes formant une communauté dotée de traits culturels localisés qu’il s’agit de célébrer. « Un écrivain du peuple jurassien » annonce un journal à diffusion départementale en 2023, année de célébration du centenaire de sa naissance. Soit dans une vue substantialiste, l’écrivain de la mise en présence d’un peuple au sens de l’ethnos ou de la Volk3 mais aussi comme identité sociale4.

Face à cela, l’échappée clavelienne entend opérer par une revendication en universalité de ses univers de significations. Ainsi, la portée des Colonnes du ciel, pour son auteur, réside moins dans la narration d’une guerre régionale historiquement située (des Jurassiens fuyant tout à la fois la peste, la guerre de Trente Ans et Richelieu), que dans l’incarnation d’une condition socio-politique qui excède ce moment-là, moins dans la localisation d’une identité que dans celle d’une expérience humaine instruite par une mobilité forcée et sous le registre du crime d’État. « C’était déjà la guerre de 39-40 » dit-il à Bernard Pivot en 19775. Ou, plus tard, répondant à Adeline Rivard :

J’ai vu au Bengale ce qui s’est passé dans la Franche-Comté de 1639. Quand on tue des hommes, peu importe la façon dont on les tue, à la lance ou à la bombe atomique, dans tous les cas, c’est horrible. La résistance du XVIIe siècle n’a rien à envier à la résistance des années 40.6

Encore dans un texte précédant une réédition de poche de La Saison des loups :

Ce roman, qui n’a aucune prétention historique, peut donc être reçu comme un épisode de l’histoire d’un crime commis par un roi de France et son ministre, mais il doit l’être surtout comme une aventure humaine, hélas ! encore actuelle pour l’essentiel.7

La même remarque pourrait être formulée à propos d’autres écrits parfois, à notre sens, mal compris. À sa parution, par exemple, Les Petits Bonheurs est saisi par le critique de L’Express comme une opération de résurrection d’un monde disparu, une image d’Épinal compassée. Certes, on peut ainsi le lire, reste que son auteur place la leçon de ceux qu’il évoque – les « humbles » – à la hauteur de Sénèque : une conduite envers la vie ancrée dans la réalisation et la condition de celle-ci, une attitude qu’il entend faire partager parce qu’elle aurait valeur au-delà du monde historique où elle s’actualise8. Comme l’extension d’une économie morale9 ou plutôt la fabrique d’un universel à partir de celle-ci, avec l’écriture comme dispositif de composition.

Le second, Louis Guilloux, se voit parfois tout aussi assigné à une glue documentaire qui l’installe dans le paradigme de la représentation.

À suivre là aussi la piste des évènements historiques, l’une des parties de son roman La Maison du peuple est qualifiée, dans les travaux de l’historien Alain Prigent, de « récit » d’un « invraisemblable épisode de la vie politique briochine » :

À la veille des municipales de mai 1908, à Saint-Brieuc le fossé semble profond entre Boyer et les ouvriers briochins. La liste dite de représentation proportionnelle, composée de libéraux, de radicaux et de socialistes ou d’ouvriers obtient un succès éphémère car les lendemains de cette victoire électorale sont douloureux, les tractations en coulisse faisant voler en éclats l’unité́ ouvrière. Georges Le Mercier, responsable du groupe socialiste opposé à Boyer, accepte le poste de maire avec l’appui des libéraux. Rapidement il est exclu du parti puis contraint à la démission devant les violences perpétrées en séance municipale par Boyer brandissant une énorme cloche et renversant les tables de la salle du conseil devant plusieurs centaines de citoyens rassemblés. Ces élections portent un coup d’arrêt à une hypothétique progression des idées socialistes. Dans une ambiance de confusion totale, le parti prononce l’exclusion de Boyer.10

Dans le mouvement de cette assignation, l’opération d’écriture de Louis Guilloux devient une modalité de la description d’un réel déjà là et jugée au critère de l’adéquation avec un prototype. L’assignation au quasi-documentaire, à la référentialité, opère aussi sur d’autres plans et selon différents moyens. Des lectures du Sang noir peuvent associer la figure du professeur François Merlin à celle du philosophe George Palente (1862-1925). Les traits d’un Saint-Brieuc passé et présent sont cherchés dans ceux d’une ville de fiction qui n’est pas nommée et des pharisiens qui alors la peuplent, des expériences briochines de vie mises en relation avec Belzec, ville de l’arrière durant la première guerre mondiale dans L’Indésirable et sa « guerre de taupes ». Dans La Maison du peuple peut se voir l’aventure de la Maison du peuple inaugurée plus tard, en 1932. Avec ces lectures, le peuple que Guilloux se voit attribuer est tout à la fois sociologique – les ouvriers et artisans urbains –, rapporté à un territoire mais pouvant aussi s’inscrire dans une polarisation politique.

Reprenons : « Zola, par exemple, écrivain à tendances scientifiques et sociales, essaye d’interroger objectivement le monde. Il interroge, quant à moi, je m’interroge… ou je suis interrogé »11. Selon les lectures qui en sont faites, l’appréciation de l’intensité et des modalités de l’adhésion au positivisme d’Émile Zola varie, voire de la connaissance réelle qu’il pouvait en avoir par ses seules références à Littré12. Peu importe que in fine la littérature zolienne corresponde ou non à sa volonté d’une « quête inépuisable de la vérité »13 d’un monde, le romancier revendique la méthode expérimentale de Claude Bernard et son déplacement de la connaissance d’une vie physique dans le champ de la vie intellectuelle et sociale. Soit le choix d’un mode de véridiction. Le naturalisme revendique de faire expérience dans le roman et cette direction expérimentale est considérée comme participant elle-même du mouvement de la science, dans des rapports dressés à la biologie, à la sociologie et au darwinisme14. Le romancier naturaliste est « fait d’un observateur et d’un expérimentateur »15 et Zola citant Claude Bernard « l’observateur constate purement et simplement les phénomènes qu’il a sous les yeux […]. Mais une fois le fait constaté et le phénomène bien observé, l’idée arrive, le raisonnement intervient et l’expérimentateur apparaît pour interpréter le phénomène »16. Les modalités du rapport qu’entretient Zola avec les mondes sociaux s’équipent d’une technologie matérielle17 – enquête et observation – et d’une technologie littéraire. Elles sont parentes, dans le moment de l’observation, de la figure épistémologique du « témoin modeste » – dressée par Donna Haraway18 à partir des travaux de Shapin et Schaeffer19 – dont l’invisibilité dans le monde qu’il investigue vaudrait garantie d’objectivité et dont les récits, à cette condition, seraient crédités d’un statut de « miroirs de la réalité »20. Une scission caractéristique du paradigme de la représentation entre le « sujet » et « l’objet », entre l’homme sujet dans le monde et l’homme objet de sa connaissance, sans participation au monde ou plutôt sans y prendre place21. Une politique de la vérité.

Guilloux, lui, inscrit une présence dans le monde sans le détachement d’une position d’observateur ni l’absence désirée d’un jugement moral. Le monde n’est pas ce qu’il va constituer sous les auspices du positivisme comme un « laboratoire spéculatif »22 mais ce avec quoi il va réfléchir. – « Je m’interroge… je suis interrogé »23 –, un milieu dans lequel penser à son propos et au-delà.

Entre Bernard Clavel et Louis Guilloux a priori il y aurait peu de commun, mis à part leur assimilation à la littérature prolétarienne et le fait d’avoir été, tous deux, lauréat du Prix du roman populiste, l’un en 1962 pour La Maison des autres, l’autre en 1942 pour Le Pain des rêves24. Pour autant ce premier geste l’est, ce refus de se voir imposer des peuples dont ils seraient les « greffiers »25 et de se laisser enfermer dans des modes de véridiction.

Ce serait la scène première d’une gestualité qui leur serait commune, la scène étant entendue là, au sens de Jacques Rancière, non comme l’illustration d’une idée mais en tant que « petite machine optique qui nous montre la pensée »26. Ici celle d’une échappée à des peuples et des postures imposés.

Sous les auspices de cette machine qui ouvre à ce que sont les peuples de Clavel et Guilloux mais aussi au-delà, poussant des positions revendiquées au romanesque, il s’agira ici de cheminer dans une approche de la littérature qui se ferait sous les auspices d’une anthropologie politique, postulant d’abord que la littérature relève d’une existence suspensive qui vient « déranger le rapport entre l’ordre des propriétés et l’ordre des dénominations »27. La considérant ensuite comme une hypothèse sur la nature et l’organisation du monde humain28.

Des collectifs contre l’ordre du monde

S’ils ne peuvent être inscrits dans les coordonnées de communautés substantielles – ethniques ou sociales –, ni saisis dans le mouvement d’un transport positiviste et expérimental dans un texte, alors de quoi sont faits les peuples des romans de Guilloux et Clavel ? Deux autres scènes d’identification, parmi d’autres, peuvent être déployées. D’abord celle des modes de composition des collectifs et de leurs relations à l’ordre du monde. S’agissant de Clavel il s’agira de reprendre à nouveaux frais l’examen de ce que recouvre les peuples qui lui sont attribués, leur encodage dans les modalités d’une économie morale oppositionnelle. L’espace urbain, pour Louis Guilloux, est l’emplacement où se joue un passage entre une police, entendue au sens de Jacques Rancière, soit un ordre qui repose sur une hiérarchie, des places et des fonctions, et une politique c’est à dire un processus par lequel une part non comptée vient faire entendre un tort subi, et l’évènement reconfigurer les êtres et les relations.

Des peuples en vies critiques

La question du travail est pour Clavel primordiale – du moins on peut l’énoncer ainsi de façon provisoire – et les mondes romanesques qu’il dessine sont peuplés de collectifs qui se forment autour et par l’initiation ou la pratique de gestes laborieux qui autorisent la fabrication d’un commun, un langage collectif comme la possibilité d’agrégation à un ensemble d’humains déjà là.

En 1991, il publie Meurtre sur le Grandvaux, petite région du Haut-Jura où, durant l’hiver, les hommes pratiquent l’activité de roulier, conduisant leurs voitures et guidant les chevaux qui les tirent dans toute l’Europe. Dans la bouche de l’un d’eux, Ambroise Reverchon, la qualité d’autochtonie est un préalable au devenir roulier. « Y’a qu’une chose que t’aurais sans doute du mal à apprendre, c’est le roulage à grande distance. Pour ça faut être Grandvallier de naissance et même plus que ça »29 dit-il à son gendre Léon. Un jour, alors qu’il lui raconte l’un de ses transports en Russie, les yeux de ce dernier « disent qu’il donnerait gros pour en savoir davantage »30. Plus loin, lui répondant en quelque sorte : « Tu peux apprendre. C’est un bon métier. » 31. Ou encore il confie au prêtre du village : « Tu me croiras si tu veux. Il est devenu comme mon garçon »32. Ce rapprochement et cette presque commune appartenance se dessinent dans les moments de travail, des expériences partagées qui se créent quand Léon s’emploie habilement à sculpter le bois ou à faire son travail de boisselier.

Le 14 avril 1959, Clavel achève L’Espagnol. Comme dans Meurtre sur le Grandvaux surgit l’en-dehors – Pablo et Enrique, des réfugiés espagnols – dans un collectif humain préconstitué – le vignoble jurassien. Bernard Clavel fait subir à ses personnages une série d’épreuves, les redéfinissant et les dotant de qualités nouvelles. Ainsi en va-t-il des apprentissages que requiert la pratique d’un nouveau monde de travail. « … l’homme employait des mots curieux pour désigner un outil ou un objet. »33. Clavel nomme les outils (bouille, seille, fût, foudre, bigot, puisoir, plantée, couloir), décrit les différentes tâches que Pablo doit apprendre (galérer, sarmenter, sapine, ranche…), les gestes à faire (la façon de vider les seaux dans la bouille, de porter celle-ci et de la vider, le déchargement de la vendange…) ou à éviter (enlever les toiles d’araignée de la cave…), les modes de vinification, le nécessaire dressage du corps et sa résistance à la souffrance au moment des vendanges.

Dans cette ferme habitée par un « patron » estropié à la suite d’un accident et qui mourra de ses abus de boisson, par un vieux journalier qui lui aussi claudique, par une fille simplette et « la patronne », Pablo devient un « bon commis » puis prend la place du patron, incitant à l’achat de vignes plutôt que de garder des liasses de billets dans une armoire. Il tient aussi le rôle du fils parti à la guerre quand, découvrant dans la chambre de celui-ci ses cours d’agriculture, il plaide pour une modernisation de l’exploitation.

Le travail est aussi l’opérateur par lequel Bernard Clavel écrit des mondes qui parfois peuvent sembler loin de ceux qu’il traite habituellement. En 1967 un journal lui demande un reportage sur les 24 heures du Mans, ce qu’il accepte quoique doutant de sa capacité à saisir la course. Si ce monde l’intéresse, c’est qu’à ses yeux il réunit une corporation soudée autour d’un des métiers les plus difficiles et passionnants au monde. « La vie » écrit-il34. Une fois les articles publiés, il reste sur sa faim, et craignant d’avoir manqué l’essentiel, entend alors faire un livre nourri de l’amitié et de la fraternité de ses rencontres.

L’Alpine Renault, numéro 47 des 24 heures du Mans, n’est pas seulement une masse de métal, de caoutchouc, d’huile et d’essence. Elle est un composé d’émotions, d’angoisses et d’espoirs, d’amours et d’amitiés. Sa mise en œuvre résulte de l’action du pilote mais aussi d’un collectif de travail temporaire, vivant là tout à la fois des instants merveilleux et de pénibles moments. Les uns, des « hommes-autos », font corps avec la machine, d’autres qui l’attendent dans les stands en connaissent chacun des organes. Son anatomie est gravée dans leur mémoire, ils l’auscultent dans une sorte de médecine préventive des pannes, mobilisant aussi bien leur cerveau que leurs mains.

Autour d’une masse de métal enveloppée d’une coque de matière plastique se forge une famille dont l’âme est un immense espoir partagé. Toutes les volontés convergent vers ce même but à atteindre, et c’est peut-être pourquoi la course automobile est une telle école de solidarité, de courage, de franchise et de foi en son travail.35

Celui de pilote réclame capacité de jugement et précision, justesse d’exécution, toutes « qualités humaines que la pratique constante d’un métier développe chaque jour davantage »36. Pour Clavel, comme le paysan sent le temps, le boulanger la farine, le forgeron le métal, et le menuisier le bois, le pilote accomplit des choses qui semblent surnaturelles, grâce à un « sixième sens »37.

Le travail en tant qu’il est incarné est ce par quoi s’examinent les choses et les relations entretenues avec elles, une partie indétachable de leur être-concret. Composées par des êtres humains singuliers, leur valeur – faut-il employer ce mot – ne peut être pensée à l’aune de l’équivalent général qu’est la monnaie. Le faire est venir fracturer les communautés humaines préexistantes.

Dans Les Petits Bonheurs Clavel raconte l’histoire d’un couple de tonneliers qui ont bâti une « longue demeure de bois »38 sur un terrain dont il se révèle qu’il ne leur appartient pas et que son nouveau propriétaire entend vendre. Soit l’introduction d’une forme-marchandise et l’abstraction appliquée à la forme d’existence des choses39 qui alors ne sont plus que porteuses d’une valeur d’échange. « La terre porte bien des loups »40 dit la femme avant de, plus tard, geste extrême de défection, mettre le feu à la maison de bois et y mourir. Une façon de se rendre ingouvernable. Le même jugement, sur la valeur des choses et la voracité humaine, pourrait être fait lorsque dans L’Espagnol, le fils de la ferme, démobilisé, décide de la vendre, ou dans Maudits Sauvages, à propos du sort réservé aux Indiens expropriés de leurs terres pour construire un barrage hydraulique41.

Les choses sont chargées de leur poids d’humanités, et de moments de vie qui les accompagnent. Le travail en tant qu’il ne prend pas la forme d’une sphère séparée dans le champ des activités humaines rend difficile l’utilisation même de ce terme pour désigner les processus de production présents dans les romans évoqués jusque-là. En ce sens, ils engagent une charge contre cette « catégorie capitaliste »42  que ce soit par l’organisation précapitaliste des mondes portés par Clavel ou les personnages qui s’agitent autour de l’Alpine sans que la valeur de telle ou telle pièce mécanique ne soit calculée ou précisée43. Humaniser ici veut dire refuser le réglage de la valeur des choses au prix de la dépréciation du monde des hommes. C’est de fait, dans un autre vocabulaire, refuser l’aliénation c’est-à-dire une situation et une condition où le travail existe « indépendamment de [l’ouvrier], étranger à lui, et devient une puissance autonome vis-à-vis de lui, [et où] la vie qu’il a prêtée à l’objet s’oppose à lui, hostile et étrangère »44.

Spatialisations

Dans La Maison du peuple, l’un des processus par lequel le politique tout à la fois s’exprime et se réalise est une spatialisation, la transformation du lieu en espace45 produite par des opérations et des mouvements. Certaines de ces opérations qui autorisent – mais ne la produisent pas nécessairement – une telle conversion sont des manifestations de rue. Elles sont plurielles, de différents ordres et effets.

Celle du 1er Mai s’inscrit dans une double temporalité, cyclique dans son principe puisqu’il s’agit d’une fête annuelle, mais aussi dans un temps linéaire, celui de la vie de la mère du narrateur sortie de l’hôpital après y avoir été soignée, durant plusieurs semaines, de la typhoïde. Depuis le lit d’hôpital, la manifestation est inscrite dans le temps d’une attente, plutôt vue comme un spectacle et dans un registre esthétique et festif. La sortie de la maladie, d’un état mauvais ou difficile donc, est en conjonction avec celle de l’hiver et l’arrivée du « beau temps »46, avec la célébration ouvrière de ce début Mai. Le « soleil tremblait dans le feuillage des grands arbres »47 au lieu de rassemblement. La mise en relation d’une vie nouvelle avec le renouveau de la nature vaut aussi pour l’avènement espéré du socialisme. Le cortège s’annonce par le son, le chant entendu qui vient célébrer le 1er Mai mettant en parallèle fin de l’hiver et fin de la « souffrance »48 assimilée à l’âpre saison.

D’entrée de jeu une solennité est annoncée par une similitude faite avec la procession de la Fête-Dieu « quand la ville est tendue de blanc, qu’il y a des reposoirs, et, aux fenêtres, des bannières »49. Moment où l’église semble s’étendre à l’ensemble de l’espace urbain. Aussi, la « ville entière était là »50 et il est difficile de se déplacer. Par la comparaison, la dimension rituelle et réitérative est soulignée. La manifestation est ordonnée en différentes séquences comme venant faire réinscription narrative dans le lieu. Au début du cortège la musique est suivie par une bannière rouge frangée or avec l’inscription Les Enfants du Peuple. Les enfants, conduits par Le Braz – initiateur d’un Théâtre du Peuple, en costume d’atelier –, chantent un hymne à la fraternité. Puis suit le drapeau de la Bourse du travail, « large et flottant doucement »51, porté avec fierté par Pélo, un plâtrier, entouré de ses camarades. Au premier rang le Docteur notable et candidat à l’élection municipale. Ils chantent Le Drapeau Rouge.

Puis arrive le char avec des couleurs identiques à celles de la bannière des Enfants du peuple, les roues garnies de feuillage et sur l’avant, lui donnant une dimension héroïque, deux forgerons et leur enclume, une belle jeune fille assise sur un trône, vêtue de blanc et tenant un sceptre à la main. « – Comme c’est beau »52 dit la mère. Le spectacle fait mouche et vient affirmer la dimension millénariste de la manifestation, soit « la promesse d’un salut terrestre et collectif » associé à « la nécessité d’une catastrophe pour atteindre le nouvel univers »53. À suivre la théorie sartrienne des groupes54, la manifestation est un groupe organisé, des fonctions y apparaissent et produisent une distinction entre les uns et les autres.

Si le parcours n’est guère décrit – il doit traverser la ville et le cortège s’ébranle depuis le jardin public –, l’intensité sémantique de la manifestation gagne de la puissance par son ordonnancement, par les chants qui annoncent la fin d’une souffrance ouvrière, qui mettent en avant fraternité et préparation au combat à venir, et dressent l’horizon d’un nouvel ordre. Cette intensification inscrit la manifestation dans des expressions qui la précèdent au sens qu’elles existent avant elle55.

Dans La Maison du peuple il y a d’autres manifestations de rue. La première intervient à l’occasion d’un évènement dont l’inhabituel est souligné. « Un soir, en rentrant de son travail, mon père annonça joyeusement : – Les boulangers sont en grève… […] Une grève n’était pas chose commune chez nous. »56.

Le motif de la défection n’est pas donné comme si l’importance était son existence même, la mise en mouvement dans la brèche ouverte par l’historicité de la situation, la redite de la singularité du moment ou encore le surgissement de la politique avec l’accession d’une conscience de soi dans la conscience de la domination. Cette manifestation est vue et mise en mots depuis la fenêtre de l’appartement où se trouvent la mère et les enfants. Son arrivée est annoncée par l’intermédiaire du son qui manifeste sa proximité. « Elle prêtait l’oreille en nous faisant signe de nous taire. Nous la regardions sans bouger. »57 On l’attend. « – Ils viennent ! Ils viennent ! Ne vous penchez pas… »58. Jusque-là les sons entendus dans le roman étaient ceux des cloches, « chant triste »59 qui sonne dans une ville « grise et sans ouverture »60, le vent et le son « rauque »61 d’une sirène de bateau porté jusqu’à la ville.

Ce qui est conduit par la rumeur c’est L’Internationale, chant traversé par des cris et longs coups de sifflet. Ce qu’on y voit c’est le drapeau rouge, le père n’est pas discernable, « – Avec eux, par là… »62. Il n’est même pas boulanger et c’est un collectif d’un autre ordre qui se dessine : les ouvriers. La foule « bouillonnait »63 avant de disparaître dans la nuit « aussi brusquement qu’elle était arrivée »64 une fois le réverbère passé.

Ce bouillonnement est comme une réponse au dialogue entre le père du narrateur et son propre père, au début du roman, à propos du devenir des ouvriers, c’est-à-dire un avenir qui se déduirait de leur situation présente et l’inscrirait dans une répétition sans fin.

La manifestation forme un groupe constitué autour d’une communauté d’action et d’une praxis commune, d’un sort et de buts pensés comme tels. Elle vient répondre à la situation de face-à-face individuel que le grand-père institue avec M. Sarir, le bon travailleur face au bon patron, elle est sortie d’une condition sérielle c’est-à-dire d’une collection d’individus. Le groupe est totalisation65 c’est-à-dire un processus et non une chose déjà faite, naturalisée. Il passe, en action, et aucune fonction singulière ne peut y être distinguée.

La manifestation n’a pas de parcours et aucun des points traversés n’est nommé, pas même visibles par l’écriture. Aussi rien n’est rejoué, pas de valeur sémantique du défilé au motif d’une succession de lieux symboliques et dont l’articulation ferait sens, pas de toponymes qui viendrait réactualiser un mythe déjà là. Pas plus de grands hommes. Autrement dit cette manifestation n’est pas la mise en espace d’un récit comme si celui-ci n’était pas écrit ou encore à inventer. D’ordre il n’y en a pas, l’équipement sémiologique est minimal. Le drapeau rouge, et un chant. « L’expressif est premier par rapport au possessif, les qualités expressives, ou matières d’expression sont forcément appropriatives et constituent un avoir plus profond que l’être » écrit Gilles Deleuze. Et de poursuivre que ces qualités sont « la marque constituante d’un domaine, d’une demeure »66. La manifestation passe trouant l’ordre et un temps linéaire, comme inaugurant un nouveau langage.

Au-delà du mouvement de l’apparaître puis du disparaître, la fenêtre refermée, le son parvient encore. Comme une rémanence. À l’intérieur de l’appartement, « fait étrange »67, la mère forme une ronde avec les trois enfants Anne, Louise et le narrateur, accélérant au fur et à mesure danses et paroles comme dans un excès. La figure du gueux est convoquée, que l’on peut confronter à celle du prolétaire de l’Internationale. Si la seconde indique tout à la fois un partage du social – « Pour que le voleur rende gorge » –, une volonté d’hégémonie politique et d’universel68 – « nous ne sommes rien soyons tout », « L’internationale sera le genre humain »69 – la première relève de la limite ou de la marge. Le gueux peut être une figure extrême de la pauvreté, mais aussi une figure active et dangereuse marquée négativement et qui ne rentre pas dans le monde social ni ne revendique une centralité hégémonique70. Il renvoie au geste de toute culture qui rejette quelque chose qui devient une limite ou une marge (le pauvre) ou un extérieur (le gueux)71. Il n’a rien à perdre : « Je n’ai pas peur de perdre mon bien » chante la mère72.

Avant que la manifestation ne passe sous les fenêtres, expression et expérience d’une communauté ouvrière en train de se fabriquer, elle racontait, tout en raccommodant une couverture – du fil de la parole et de la couture73 – à ses enfants, des destins familiaux singuliers marqués par des tentatives individuelles d’enrichissement qui se terminent par des disparitions. Il y a, avec la manifestation, comme une rupture dans l’histoire familiale et, du côté de l’espace domestique, sa fréquentation nouvelle par les camarades du père qui se voit obligé d’abandonner son échoppe jusque-là espace de civilité délibérante et démocratique. Avec le déplacement de son atelier c’est le nouvel appartement que la famille occupe qui désormais joue ce rôle, et là que se font « les causeries avec les camarades »74.

Des peuples de côté

Une expérience tient dans les textes de Clavel et Guilloux une place particulière, celle de la limite et de l’extériorité, qu’elle se déploie dans une temporalité, comme le passage entre mondes sociaux, ou dans un espace comme des marges territoriales, les deux pouvant d’ailleurs s’articuler. Elle peut avoir une dimension biographique mais concerne aussi le destin des mondes qu’ils mettent en écriture. Sur cette seconde scène d’identification, celle des rapports entre marges et centralité politiques, ce seront deux figures qui seront évoquées.

Dans Meurtre sur le Grandvaux, absent plusieurs mois, Ambroise Reverchon est de retour. Sa fille, Émilienne, lui apprend sa grossesse alors qu’elle n’est pas mariée. Pressée de questions sur l’identité du géniteur, elle désigne Léon, un boisselier travaillant dans une fabrique locale75. Dolois, il « n’est pas du plateau »76. Ramené à coups de fouet par le père, il consent à la réparation matrimoniale. Plus tard, la fille, devenue épouse, avorte d’un fœtus que la sage-femme trouve « très avancé pour sept mois »77, et alors que le père a ses voitures prêtes à partir, à la première station de son voyage, un forgeron lui apprend qu’un bûcheron se vante d’entretenir avec sa fille une relation entamée avant son mariage. Le roulier fait demi-tour et, les surprenant dans son propre lit, comme souillant et salissant le lieu de perpétuation de la lignée, tue l’amant. Émilienne se voit contrainte de creuser un trou dans un pré, sous un arbre, avant que son père ne la tue sous l’œil de son mari. Une fois les corps recouverts, il fait là paître son taureau pour qu’il tasse la terre.

Dans la lecture de ce roman, il nous faut prêter attention à l’épigraphe, ce « bord d’œuvre »78 qui vient donner sens.

Ce livre est un roman, donc une œuvre d’imagination. Pourtant, je connais fort bien le lieu où sont enterrés mes personnages. Je vais souvent me recueillir au fond de la combe où ils dorment dans l’oubli. Je le fais la nuit, en cachette, car personne que moi ne sait qu’ils ont vécu là et qu’ils y sont encore.79

Le roman se compose à partir de phénomènes de parenté, à la fois colonne vertébrale et lieu de la désintégration d’une société. Mais alors que chez d’autre auteur, maurrassien80, le lieu de recueillement est le cimetière où reposent les morts qui, dans le temps long des générations, ont fait la « race » grandvallière, Clavel va loin des tombes se recueillir là où sont ceux qui auraient, du point de vue du premier, empêché une continuité de la lignée : la fille, l’amant et l’avorton. Dix ans avant Meurtre sur le Grandvaux, Clavel publie Arbres. L’un des textes de ce recueil est l’histoire d’un couple de jeunes gens qui, dans un monde mort de béton et de métal, d’eau canalisée, décident de se suicider faute de trouver un lieu pour s’aimer. Un vieillard les arrête, les conduit dans une petite cour où il y a un arbre et de la terre, matière qu’ils n’avaient jamais vue. Les amoureux se couchent, sous l’un et sur l’autre, regardent à travers ses feuilles qu’ils découvrent vivantes comme le devient le ciel à travers elles. « Les amoureux n’ont plus envie de s’en aller. Ils demeurent immobiles. »81. La comparaison entre ces textes, l’attention portée à l’avant-roman, éclairent différemment Meurtre sur le Grandvaux, qui apparaît comme une attention aux gestes qui débordent ce qui fait la centralité du lieu et la disqualifie. Clavel oppose les désirs et aspirations d’êtres singuliers à l’impératif de perpétuation de la « race » du Grandvallier-type – à propos du père sa fille dit à Léon : « Il n’est pas seul comme ça. C’est un Grandvallier »82 –, tout comme lui-même tient son cimetière secret face à celui des ancêtres façonneurs du présent, renversant les hiérarchies qui étaient celles de la célébration maurrassienne de la petite patrie. Reverchon, dans le double meurtre qu’il perpétue, fait deux parts des vivants qui l’entourent, ceux dont le comportement atteste qu’ils sont grandvalliers, ceux qui ne sont pas ou plus d’ici. Bernard Clavel va sur la « tombe » – ou plutôt son absence – des seconds ; de ceux qui, comme son propos liminaire, sont à la marge, voire en dehors.

Cette question de la marge signifiante caractérise d’autres textes, différemment posée, ainsi le destin de Pablo dans L’Espagnol. Le fils qui souhaite vendre la ferme et s’installer à Lyon avec sa future épouse lui conteste son nouvel état de vigneron et, dans la joute orale qui les oppose, le ramène à un statut de force de travail d’appoint, voire de planqué et de profiteur alors que lui-même était mobilisé durant la drôle de guerre. Comme en un renversement, Pablo devient le défenseur des valeurs du monde dans lequel il s’est inscrit et dont le fils s’est détaché. Dans Le Silence des armes, la maison de Pablo réapparaît, à la marge du pays, envahie par la végétation, abandonnée. Personne ne comprenait celui qui, maintenant mort, l’habitait, précise l’un des personnages. Un être redevenu invisible parce que socialement aphone, un homme à qui « la guerre avait tout pris »83. Personne ne le comprenait sauf un habitant du village, le père du narrateur, pacifiste et antimilitariste, distribuant des prospectus « d’un petit homme qui s’appelait Louis Lecoin »84. Il apportait à l’Espagnol des ouvrages de Romain Rolland ou des textes de Gandhi, et échangeait des propos sur « la paix du monde et le bonheur des hommes »85. Une marge villageoise comme lieu de résidence de celui qui incarne la localité, et d’élaboration d’un sens de l’humanité et de son cours possible.

Dans La Maison du peuple, après les élections municipales, le père et ses amis se trouvent définitivement dans le camp des vaincus, parfois sans travail. « Ils sentaient qu’ils étaient battus pour longtemps. »86 L’ancien maire a repris sa place et « [t]out allait comme autrefois »87. Dans la reconfiguration stratégique de la situation qu’ils opèrent, l’idée d’autonomie fait son chemin, avec celles d’un déplacement du champ d’affrontement et de l’instauration d’une autre temporalité que celle dictée par la compétition électorale. « Ne croyons qu’à nous-mêmes… »88. L’hiver et le printemps passés l’idée de Maison du Peuple, déjà discutée et imaginée, ressurgit.

Il nous faut une maison… une Maison du peuple !… […] – Mais il faut la bâtir nous-mêmes […] – Avec nos bras, camarades, on peut bâtir. En y mettant chacun du sien, on peut trouver un peu d’argent et acheter le terrain. […] – […] Pour combattre la bourgeoisie, il faut être instruit comme elle. C’est par là que nous commencerons la révolution…89

Soit une opération de soustraction et une politique des savoirs. « – Chez nous, nous serons libres. Nous ne devrons rien à personne. »90. De l’argent est collecté et un terrain acheté. Il y a là comme une refondation stratégique, d’abord l’instruction via la Maison du peuple puis la révolution qui s’ensuivra.

Le beau temps revenu, le dimanche, ils commencent les travaux de fondation. Une carrière est aménagée pour plus tard en tirer du sable. Les registres d’action changent, la parole publique devient moins importante. « On ne peut leur faire comprendre »91 dit Le Braz. L’accent est mis sur la propagande « de bouche en bouche […] la meilleure propagande »92, sur les lieux de travail, l’atelier ou le chantier. Si le beau temps est revenu, il est bien autre chose que celui du 1er Mai et la revendication d’une quelconque téléologie.

La maison se construit à la limite de la ville, près de l’ancienne du narrateur et du tertre de la Vierge. L’espace urbain n’est plus une centralité dans laquelle il s’agirait de conduire des opérations de spatialisation. L’actualité est à construire un lieu en propre, tout comme elle s’est caractérisée par le refus de suivre Rébal dans l’affirmation de son autorité. Une défection en somme.

L’action se réalise dans un faire où s’organise la coopération et s’actualise une force productive collective dont les fruits ne sauraient être confisqués comme dans le cas du processus électoral. On peut y voir à l’œuvre la VIe thèse sur Feurbach de Marx selon laquelle l’essence humaine est, dans la réalité, l’ensemble des relations sociales93. Que certains interprètent ainsi : ce sont les pratiques qui font des hommes ce qu’ils sont. Il y a sur le chantier du commun à l’œuvre, et de la transformation humaine.

– Pourvu qu’ils ne se découragent pas. Qu’ils reviennent ainsi chaque dimanche, et nous serons sauvés.
– Ils reviendront, dit mon père. Regarde donc un peu comme ils travaillent.
– Oui. […].

De temps en temps [Bahier] s’arrêtait, regardait les camarades ; sa figure s’éclairait.94

C’est un peu la revanche des mains sur les paroles. Et il faut souligner que dans le roman le mot peuple n’est employé seul que par celui qui le trahit, allié au clan des puissants, le Docteur Rébal. Il ne semble prendre sens qu’articulé à celui de Maison, soit dans la constitution d’une relationnalité et d’une action.

Dans cette pratique du commun la présupposition égalitaire95 est mise en œuvre, dans le mouvement et le concret venant déconstruire l’idée d’une abstraction du commun. Il est fondateur, par opposition à son absence lors du processus électoral. Pour chacun il s’agit de « faire sa part comme les autres »96. Pourtant tous ne font pas le même travail, ni n’ont les mêmes capacités. Le narrateur manipule maladroitement la pelle, tandis qu’un autre se révèle habile à la manœuvre de la brouette, qu’un autre encore réfléchit. Pour reprendre les mots de Gilles Deleuze, ici par la politique de l’égalité « le plus petit devient l’égal du plus grand dès qu’il n’est pas séparé de ce qu’il peut »97 et qu’il pousse ses limites.

Échapper au descriptif. Entrer dans le politique

À prendre à revers la vision esthétisante de l’œuvre littéraire d’une part98, à faire travailler d’autre part la catégorie de politicité s’inspirant de l’usage qu’en fait, dans une toute autre situation de recherche, Denis Merklen lorsqu’il conteste l’expression de « rapport au politique » qui de celui-ci fait une extériorité substantialisée, un après-coup ou un effet99 ; ce sont d’autres peuples qu’identitaires ou réduits à leurs conditions d’existence qui sont actualisés au cœur des textes de Clavel et Guilloux. Des peuples critiques du travail et de la valeur qui viennent briser les communautés humaines100, des peuples s’engouffrant dans des brèches tactiques pour échapper à un monde insupportable, aux centralités hégémoniques de son récit ou de sa contestation.

Annexe

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Notes

1 Radioscopie de Jacques Chancel avec Bernard Clavel, 08/05/1980, France-Inter. Retour au texte

2 Bibliothèques municipales de Saint-Brieuc, Fonds Louis Guilloux, LGO inter 01 01 09. Retour au texte

3 Soit un peuple qui reposerait sur la communauté d’une langue, d’une attitude morale, de terre ou de sang. On pourra se reporter à la discussion du Discours à la nation de Fichte par É. Balibar, Cosmopolitique. Des frontières à l’espèce humaine. Écrits III, Paris, La Découverte, 2022. Retour au texte

4 Ce qui a parfois conduit à construire, empruntant les voies de l’objectivisme naïf, des parentés entre l’écriture de Clavel et la description ethnographique, en l’absence de toute prise en considération de l’historicité d’une telle catégorie. Retour au texte

5 N. Ribowski, Bernard Clavel combattant de la paix, Paris, Antenne 2, 1977. Retour au texte

6 A. Rivard, Bernard Clavel qui êtes-vous ? Entretiens avec Bernard Clavel, Paris, Pocket, p. 167. Retour au texte

7 B. Clavel, Les Colonnes du ciel. I La Saison des loups, Paris, J’ai lu, 1981, p. 7. Retour au texte

8 B. Clavel, Les Petits Bonheurs, Paris, Pocket, 2001 (1999), p. 10. Retour au texte

9 Sur la notion d’économie morale, voir D. Fassin, « Les économies morales revisitées », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2000, 6, p. 1237-1266. Retour au texte

10 A. Prigent, « Le Socialisme dans les Côtes-du-Nord avant 1920. Origines et paradoxes d’une implantation », dans Ch. Bougeard (dir.), Un siècle de socialisme en Bretagne. De la SFIO au PS (1905-2005), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 47. Retour au texte

11 Bibliothèques municipales de Saint-Brieuc, Fonds Louis Guilloux, LGO inter 01 01 09 Retour au texte

12 R. Ripoll, « Zola et le modèle positiviste », Romantisme, 1978, 21-22, p. 125. Retour au texte

13 É. Piton-Foucault, Zola ou La fenêtre condamnée. La crise de la représentation dans “Les Rougon-Macquart”, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015. Retour au texte

14 D. Massonnaud, « Zola romancier à « l'âge de l'enquête ». Dialogues Mulhousiens, 2020, 4, ⟨halshs-02965014⟩ Retour au texte

15 É. Zola, Le Roman expérimental, Paris, Charpentier, 1881, p. 7. Retour au texte

16 Ibid., p. 6. Retour au texte

17 Voir par exemple É. Zola, Carnets d’enquête. Une ethnographie inédite de la France, Paris, Plon, 1987. Ou encore Émile Zola, Les manuscrits et les dessins de Zola. Notes préparatoires et dessins des Rougon-Macquart, éd. établie et commentée par O. Lumbroso, Paris, Éd. Textuel, 2002. Au-delà du seul naturalisme, sur la prégnance de l’enquête au XIXe siècle, voir D. Kalifa « Enquête et “culture de l’enquête” au XIXe siècle », Romantisme, 2010, 149, p. 3-23. Retour au texte

18 D. Haraway, Manifeste cyborg et autres essais. Sciences, fictions, féminismes, Paris, Exils, 2007. Retour au texte

19 S. Shapin et S. Schaeffer, Léviathan et la pompe à air, Paris, La Découverte, 1993. Retour au texte

20 M. Puig de la Bellacasa, Les savoirs situés de Sandra Harding et Donna Haraway, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 180. Retour au texte

21 D. Massonnaud fait erreur lorsqu’il assigne Zola à une position d’observation participante faisant relation avec la situation ethnographique, op. cit., p. 9. Retour au texte

22 Ph. Sabot, « Que nous apprend la littérature ? Bouveresse, Zola et l’“esprit éthique” », dans D. Lorenzini et A. Revel (dir.), Le travail de la littérature. Usages du littéraire en philosophie, Presses universitaires de Rennes, 2012, p. 144. Retour au texte

23 Bibliothèques municipales de Saint-Brieuc, Fonds Louis Guilloux, LGO inter 01 01 09. Retour au texte

24 En 1927 le critique d’art belge Louis Lemonnier publie Un manifeste littéraire : le roman populiste. « Nous voulons peindre le peuple, mais nous avons surtout l’ambition d’étudier la réalité » écrit-il dans L’Œuvre du 27 août 1929. Le Prix, fondé en 1931, entend récompenser un texte romanesque qui « préfère les gens du peuple comme personnages et les milieux populaires comme décors à condition qu’il s’en dégage une authentique humanité ». Cité dans Ph. Roger, « Le roman du populisme », Critique, 776-777, 2012, p. 7. Retour au texte

25 Ph. Sabot, op. cit., p 142. Retour au texte

26 J. Rancière, Aisthesis. Scènes du régime esthétique de l’art, Paris, Galilée, 2011, p 12. Retour au texte

27 J. Rancière, Aux bords du politique, Paris, Gallimard, 2004, p. 190-191. Retour au texte

28 Th. Pavel, La Pensée du roman, Paris, Gallimard, 2003. Retour au texte

29 B. Clavel, Meurtre sur le Grandvaux (1991) dans Œuvres 6, Paris, Omnibus, 2009, p. 165. Retour au texte

30 Ibid., p. 168. Retour au texte

31 Ibid., p. 214. Retour au texte

32 Ibid., p. 220. Retour au texte

33 B. Clavel, L’Espagnol (1959) dans Œuvres 1, Paris, Omnibus, 2003, p. 349. Retour au texte

34 B. Clavel, Victoire au Mans (1968) dans Œuvres 2, Paris Omnibus, 2003, p. 1045. Retour au texte

35 Ibid. Retour au texte

36 Ibid., p. 1122. Retour au texte

37 Ibid., p. 1101. Retour au texte

38 B. Clavel, Les Petits Bonheurs, op. cit., p. 56. Retour au texte

39 G. Debord, La Société du spectacle, Paris, Gallimard, 1992 [1967], § 29 : « l’abstraction de tout travail particulier et l’abstraction générale de la production d’ensemble se traduisent parfaitement dans le spectacle, dont le mode d’être concret est justement l’abstraction ». Retour au texte

40 B. Clavel, Les Petits Bonheurs, op. cit., p. 68. Retour au texte

41 B. Clavel, Maudits Sauvages, Paris, Albin Michel, 1989. Retour au texte

42 A. Jappe, Les Aventures de la marchandise. Pour une critique de la valeur, Paris, La Découverte, 2017, p. 120. Retour au texte

43 « Si dans une usine d’automobiles l’atelier de pare-chocs envoie cent pare-chocs dans l’atelier de montage et demande simultanément deux tonnes d’aluminium au magasin, on ne calcule pas si ces quantités d’objets ont la même “valeur”. En effet, les ateliers ne payent pas pour les matériaux qu’ils reçoivent » note Anselm Jappe, ibid., p.56. La situation est la même chez ceux qui s’affairent dans le stand des 24 heures du Mans. Retour au texte

44 K. Marx, Manuscrits de 1844. Économie politique & philosophie, Paris, Éditions sociales, 1972, p. 58. Retour au texte

45 Au sens de Michel de Certeau : « Est espace l’effet produit par les opérations qui l’orientent, le circonstancient, le temporalisent et l’amènent à fonctionner en unité polyvalente de programmes conflictuels ou de proximités contractuelles. […] À la différence du lieu, il n’a donc ni l’univocité ni la stabilité d’un “propre” », L’Invention du quotidien. 1. Arts de faire, Paris, Union Générale d’Éditions, 1980, p. 208. Retour au texte

46 L. Guilloux, La Maison du peuple, dans D’une Guerre l’autre. Romans, Récits, Paris, Quarto Gallimard, 2009, p. 156. Retour au texte

47 Ibid. Retour au texte

48 Ibid. Retour au texte

49 Ibid. Retour au texte

50 Ibid. Retour au texte

51 Ibid. Retour au texte

52 Ibid., p. 157. Retour au texte

53 J. P. Sironneau, Sécularisation et religions politiques, Paris/La Haye/New-York, 1982, p. 216-217. Retour au texte

54 Voir Jean-Paul Sartre Critique de la raison dialectique (précédé́ de Questions de méthode). Tome 1. Théorie des ensembles pratiques, Paris, Gallimard, p. 379-755. Retour au texte

55 On se reportera à Louis Marin, « Une mise en signification de l’espace social : manifestation, cortège, défilé, procession », dans L. Marin, De la représentation, Paris, Gallimard/Le Seuil, 1994 Retour au texte

56 L. Guilloux, op. cit., p. 124 et p. 125. Retour au texte

57 Ibid., p. 126. Retour au texte

58 Ibid. Retour au texte

59 Ibid., p. 115. Retour au texte

60 Ibid. Retour au texte

61 Ibid. Retour au texte

62 Ibid. Retour au texte

63 Ibid. Retour au texte

64 Ibid. Retour au texte

65 J. -P. Sartre, op. cit. Retour au texte

66 G. Deleuze et F. Guattari, Capitalisme et schizophrénie 2. Mille plateaux, Paris, Les Éditions de minuit, 1980, p. 389. Retour au texte

67 L. Guilloux, op. cit., p. 126. Retour au texte

68 Au sens de Marx ou d’Hegel, pour lesquels l’universel est pensée de l’hégémonie. On se reportera à É. Balibar, Des Universels. Essais et conférences, Paris, Galilée, 2016. Retour au texte

69 C’est bien le sens de la critique marxiste aux saint-simoniens ou aux fouriéristes dans le Manifeste de 1848. Il ne peut y avoir de postulat d’une harmonie sociale préétablie dans laquelle viendrait se dissoudre la réalité de la lutte des classes. Retour au texte

70 V. Meyer, « La représentation de la souffrance sociale dans la gravure parisienne (1635-1660) », dans F. Chauvaud (dir.), Histoires de la souffrance sociale : XVIIeXXe siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007. doi :10.4000/books.pur.6684 Retour au texte

71 Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972. Sur cette question, on se reportera aussi à E. Balibar, « Esser principe, esser populare : l’épistémologie conflictuelle de Machiavel », dans Passions du concept. Épistémologie, théologie et politique. Écrits II, Paris, La Découverte, 2020, p. 105-125. Retour au texte

72 L. Guilloux, op. cit., p. 127. Retour au texte

73 Voir Y. Verdier, Façons de dire, façons de faire. La laveuse, la couturière et la cuisinière, Paris, Gallimard, 1979. Retour au texte

74 L. Guilloux, op. cit., p. 142. Retour au texte

75 Le personnage a été évoqué plus haut. Retour au texte

76 B. Clavel, Meurtre sur le Grandvaux (1991), dans Œuvres 6, Paris, Omnibus, 2009, p. 135. Retour au texte

77 Ibid., p. 174. Retour au texte

78 G. Genette, Seuils, Paris, Éd. du Seuil, 2002, p. 147. Retour au texte

79 B. Clavel, Meurtre sur le Grandvaux, op. cit., p. 129. Retour au texte

80 Il s’agit d’Auguste Bailly (1878-1967). Retour au texte

81 B. Clavel, Arbres, Paris, Berger-Levrault, 1981, p. 24. Retour au texte

82 B. Clavel, Meurtre sur le Grandvaux, op. cit., p. 170. Retour au texte

83 B. Clavel, Le Silence des armes (1974), dans Œuvres 3, op. cit., p. 393. Retour au texte

84 Ibid., p. 394. Louis Lecoin (1888-1971) est un militant pacifiste et libertaire. Clavel a écrit des articles dans sa revue L’Union pacifiste de France, lui a dédié son roman Le Silence des armes et soutenu son combat pour le droit à l’objection de conscience. Il a préfacé également certains de ses textes. Voir B. Clavel, « Pour Louis Lecoin », dans Œuvres 3, Paris, Omnibus, 2004, p. 961-966. Retour au texte

85 B. Clavel, Le Silence des armes, op. cit., p 394. L’antimilitarisme de Clavel est connu et présent dans différents de ses textes. On pourra aussi se reporter à son intervention lors d’un colloque sur Giono. Voir B. Clavel, « Giono et le refus de tuer », dans M. Sacotte (dir.), Giono, l’enchanteur, Paris, Grasset et Fasquelle, 1996, p. 13-19. Retour au texte

86 L. Guilloux, La Maison du peuple, op. cit., p. 168. Retour au texte

87 Ibid., p. 169. Retour au texte

88 Ibid., p. 169. Retour au texte

89 Ibid., p. 172. Retour au texte

90 Ibid., p. 172. Retour au texte

91 Ibid., p. 169. Retour au texte

92 Ibid., p. 172. Retour au texte

93 K. Marx, « ad Feuerbach », dans K. Marx, Œuvres III. Philosophie, Paris, Gallimard, 1982, p. 1032. Retour au texte

94 L. Guilloux, op. cit., p. 180. Retour au texte

95 J. Rancière, Le Maître ignorant. Cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle, Paris, Fayard, 1987, p. 78-79. Retour au texte

96 L. Guilloux, op. cit., p. 178. Retour au texte

97 G. Deleuze, Différence et répétition, Paris, Presses universitaires de France, 1968, p. 58. Retour au texte

98 Pour reprendre l’expression de J. -F. Hamel, « Émanciper la lecture. Formes de vie et gestes critiques d’après Marielle Macé et Yves Citton », Tangence [En ligne], 107, 2016. Retour au texte

99 D. Merklen, « Une nouvelle politicité pour les classes populaires. Les piqueteros en Argentine », Tumultes, 2, 2006, p. 173-197. Retour au texte

100 A. Jappe, op. cit. Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence papier

Noël Barbe, « Des peuples de Clavel et Guilloux », Revue d'études culturelles, 11 | 2024, 81-98.

Référence électronique

Noël Barbe, « Des peuples de Clavel et Guilloux », Revue d'études culturelles [En ligne], 11 | 2024, publié le 16 octobre 2025 et consulté le 11 décembre 2025. Droits d'auteur : Le texte seul, hors citations, est utilisable sous Licence CC BY 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont susceptibles d’être soumis à des autorisations d’usage spécifiques.. DOI : 10.58335/rec.144. URL : https://preo.ube.fr/rec/index.php?id=144

Auteur

Noël Barbe

Laboratoire d’anthropologie politique, EHESS-CNRS, France

Noël Barbe est anthropologue, chercheur au Laboratoire d’anthropologie politique (EHESS-CNRS). Ses travaux portent sur les formes de présence du passé et leur politisation, les formes d’allocation de la valeur patrimoniale, les politiques de l’art, l’épistémologie politique des savoirs ethnographiques, les expériences de l’anticapitalisme, une approche anthropologique de la littérature.

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