La série Patria : un lieu de mémoire pour le Pays basque ?

  • Patria: a site of memory for the Basque country?
  • Patria: ¿un lugar de memoria para el País Vasco?

La série TV Patria, sortie récemment en Espagne et en France (HBO 2020), propose un récit complexe et nuancé de ce que fut le terrorisme d’ETA au Pays basque espagnol. Adaptation fidèle du roman éponyme de Fernando Aramburu (2016), cette série se caractérise par sa contre-discursivité dans la mesure où elle présente le terrorisme etarra comme une guerre civile entre Basques et non plus, comme l’affirme la gauche abertzale, comme un conflit entre les Basques et les États espagnol et, dans une moindre mesure, français. Notre article propose une analyse des singularités de cette série vis-à-vis du roman de Fernando Aramburu et vise, principalement, à mettre en évidence son inscription dans le champ discursif des discours mémoriels sur la violence politique au Pays basque. La série présente une vision centrée sur les victimes de la violence mais a également recours à une humanisation partielle de la figure du terroriste au nom de la possibilité du pardon et de la réconciliation collective.

The TV series Patria, recently released in Spain and France (HBO 2020), offers a complex and balanced account of ETA terrorism in the Spanish Basque Country. A faithful adaptation of the novel of the same name by Fernando Aramburu (2016), the series is characterised by its counter-discursivity insofar as it presents ETA terrorism as a civil war between Basques and not, as proposed by the abertzale left, as a conflict between Basques and the Spanish and, to a lesser extent, French state. Our article analyses the singularities of this series in relation to Fernando Aramburu’s novel, and aims primarily to highlight its place in the discursive field of memorial discourses on political violence in the Basque Country. The series offers a vision centred on the victims of violence, but also presents a partial humanisation of the figure of the terrorist in the name of the possibility of forgiveness and collective reconciliation.

La serie de televisión Patria, recientemente estrenada en España y Francia (HBO 2020), ofrece un relato complejo y matizado del terrorismo de ETA en el País Vasco español. Adaptación fiel de la novela homónima de Fernando Aramburu (2016), la serie se caracteriza por su contradiscursividad en la medida en que presenta el terrorismo de ETA como una guerra civil entre vascos y no, como propone la izquierda abertzale, como un conflicto entre vascos y los Estados español y, en menor medida, francés. Nuestro artículo analiza las singularidades de esta serie en relación con el relato de Fernando Aramburu, y pretende ante todo destacar su forma de inscribirse en el campo de los discursos memoriales sobre la violencia política en el País Vasco. La serie ofrece una visión centrada en las víctimas de la violencia, pero también propone una humanización parcial de la figura del terrorista en nombre de la posibilidad del perdón y de la reconciliación colectiva.

Outline

Text

Le 20 octobre 2011, l’organisation terroriste et séparatiste Euskadi ta Askatasuna (ETA, « Pays basque et liberté ») annonce dans un communiqué l’arrêt de la lutte armée qu’elle avait engagée dès le franquisme tardif1 dans le but d’obtenir l’indépendance du Pays basque. Même si le désarmement et la dissolution d’ETA n’interviennent qu’en 2018, il apparaît clairement qu’une nouvelle ère s’ouvre dès 2011, dans laquelle la mémoire et l’oubli constituent des enjeux de taille, tant pour les générations présentes que celles à venir. Ce contexte de post-violence a eu des incidences notables sur les récits produits sur le terrorisme basque, notamment les récits filmiques et littéraires. Patria, le roman de Fernando Aramburu (2016), constitue l’archétype de ces récits de l’après de la violence politique, avec plus d’un million et demi d’exemplaires vendus, doublé d’un important succès critique2. F. Aramburu n’est pas le seul auteur basque à aborder cette question de la sortie de la violence et du travail de mémoire à opérer. Martutene de Ramon Saizarbitoria (2012 en basque, 2013 en castillan), El Comensal de Gabriela Ybarra (2015), Los turistas desganados de Katixa Aguirre (autotraduction en 2017 en castillan à partir de l’original Atertu arte itxaron paru en 2015), ou encore Mejor la ausencia d’Edurne Portela (2017) constituent d’autres exemples majeurs d’auteurs et d’autrices animés par cette réflexion. Sur le terrain du roman graphique, on peut également citer l’œuvre d’Alfonso Zapico, Los puentes de Moscú (2018), certes produite par un auteur non basque mais avec le souci de proposer un regard fidèle à l’expérience vécue depuis ce territoire, via le portrait croisé de deux figures culturelles et politiques importantes : le socialiste originaire de Bilbao Eduardo Madina, d’une part, et le musicien Fermín Muguruza, proche de la gauche abertzale3 et originaire d’Irún.

La rupture narrative est également observable sur le terrain du récit filmique, comme l’a observé à juste titre Ricardo Jimeno Aranda (2021 : 191), pour qui la sortie de Ocho apellidos vascos (2014) marque un tournant dans la mesure où l’humour, potache, autour du terrorisme basque devenait possible. Il remarque cependant que Borja Cobeaga, le co-scénariste du film, avait déjà osé user de l’humour pour parler d’ETA en tant que scénariste de la série Vaya semanita, diffusée sur la chaîne de télévision basque ETB24.

Dès le 2 octobre 2011, plusieurs semaines avant l’annonce de la fin de la lutte armée par ETA, le quotidien de la gauche abertzale Gara publiait un éditorial dans lequel il appelait à entreprendre une bataille narrative en des termes unamuniens : « Avis à ceux qui veulent un récit de vainqueurs et de vaincus : celui qui convaincra vaincra »5. L’interprétation à la fois historique et mémorielle de la violence politique, et singulièrement celle produite par ETA, est en effet devenue un enjeu majeur. Dès lors, il n’est guère étonnant que la « bataille pour la mémoire »6, la « bataille des récits »7, ou « la bataille pour le récit »8 constituent des expressions récurrentes pour interpréter les récits sur le passé violent du Pays basque et de l’Espagne.

La série Patria (2020), créée par Aitor Gabilondo et réalisée par Félix Viscarret (épisodes 1 à 4) et Óscar Pedraza (épisodes 5 à 8), semble s’inscrire pleinement dans cette vague de productions culturelles autour du terrorisme au Pays basque qui chercheraient à mener une forme de combat mémoriel, ici au service des victimes du terrorisme nationaliste. Cette adaptation particulièrement fidèle du roman de Fernando Aramburu a bénéficié du soutien de la chaîne HBO, en ce sens il s’agit d’une œuvre également commerciale et destinée à une diffusion de masse. Elle a connu depuis un succès critique et public notable, mais aussi des polémiques liées à la représentation de l’histoire du Pays basque et du terrorisme.

Dans ce cadre d’une bataille mémorielle concurrentielle liée à un conflit politique au long cours dont les blessures sont encore extrêmement vives, il s’agira ci-après de chercher à déterminer comment et pourquoi la série Patria pourrait apparaître comme un « lieu de mémoire » pour le Pays basque.

Ce questionnement implique une réflexion à la fois théorique, formelle et politique autour de cet objet télévisuel afin de dégager quelles représentations mémorielles sont véhiculées et dans quelle mesure ces représentations peuvent circuler et infuser au sein de la société basque.

1. Patria dans le champ des récits mémoriels sur le terrorisme basque

1.1. Lieu de mémoire et texte social

La notion de « lieu de mémoire », dans la perspective de Pierre Nora, désigne toute forme d’inscription, matérielle et/ou symbolique, autour de laquelle une mémoire collective peut se cristalliser (Nora 1984 : XVI-XLII). Le projet de la série d’ouvrages autour de cette notion visait à interroger la construction d’une communauté spécifique, la nation française, notamment par l’analyse de tout type de patrimoine à même de produire de la commémoration. Nous entendrons ci-après le récit filmique comme pouvant être le lieu de cristallisation d’une mémoire collective, d’une « co-mémoration ». On peut dès lors préciser notre questionnement : comment la série Patria peut-elle être en mesure de faire mémoire, notamment au Pays basque ? Dans quelle mesure peut-elle contribuer à construire une cristallisation mémorielle par-delà la fragmentation des perspectives et les divergences autour de l’interprétation du sens de la violence politique d’ETA au Pays basque ?

En ce sens, on ne peut que rejoindre la perspective théorique développée par les études italiennes pour traiter des années de plomb, à savoir l’idée que les productions culturelles constituent des « textes sociaux » (social texts)9. D’abord proposée par Beverly Allen (1997 : 54), elle a été glosée par Pierpaolo Antonello et Alan O’Leary (2009) afin de nous inviter à penser le texte filmique comme inscrit dans un nœud de relations sociales, d’où la nécessité de le penser dans son rapport à tout un champ socio-historique large, voire de concevoir l’acte de représenter comme un événement en interaction avec le passé historique effectif, notamment en termes interprétatifs, dans une « perméabilité ou dans [une] osmose réciproque entre les événements et les représentations »10.

Cette pensée implique donc de considérer la série Patria comme un « texte social », c’est-à-dire un acte qui vise à peser sur les interprétations mémorielles relatives au terrorisme basque, en interaction avec les événements, mais aussi avec les grandes catégories interprétatives qui permettent aujourd’hui de comprendre la violence politique produite par une partie de la gauche abertzale du franquisme tardif jusqu’en 2011.

Pour situer globalement Patria dans cette « bataille pour la mémoire », il convient donc de définir les diverses mémoires en présence avant de procéder à une description de la trame générale du récit de Fernando Aramburu, laquelle a été globalement reprise par Aitor Gabilondo dans la série, puis à une analyse filmique qui permettra d’affiner le propos.

1.2. Le récit des victimes face au récit du conflit

Les divers récits en présence ont été décrits par nombre de spécialistes en sciences sociales. La perspective de la géopolitologue Barbara Loyer décrit un champ structuré globalement entre deux pôles, entre lesquels des nuances sont bien sûr envisageables :

Deux représentations s’opposent aujourd’hui sur l’interprétation des actions passées de l’ETA : d’un côté, les nationalistes basques qui essaient d’imposer un récit du conflit qui légitime le terrorisme au nom de la liberté du peuple basque contre un régime oppresseur ; de l’autre, des groupes politiques ou civils qui luttent pour que l’ETA entre dans l’histoire comme une organisation totalitaire défaite par une société démocratique (Loyer 2015 : 17).

Deux remarques nous paraissent essentielles. En premier lieu, Barbara Loyer procède ici à une forme de simplification qu’il convient de nuancer. La légitimation du terrorisme a été majoritairement le fait d’une part notable de la gauche abertzale, même si le nationalisme basque de centre-droit du Parti nationaliste basque (historiquement au pouvoir dans la Communauté autonome basque depuis la Transition) a pu adopter des positions pour le moins ambiguës, notamment à l’occasion du pacte d’Estella (1998)11. En second lieu, l’interprétation d’ETA comme expression d’un totalitarisme est indissociable de la revendication d’un « récit des victimes ». Cette centralité des victimes est, par exemple, au cœur du rapport Foronda de Raúl López Romo (2015) ou du projet historiographique en 3 volumes Historia y memoria del terrorismo en el País Vasco sous la coordination de l’historien José Antonio Pérez Pérez (2021a ; 2022 ; 2023). Selon María Jiménez Ramos et al. (2022), le récit des victimes non seulement nie l’existence d’un « conflit », donc d’une guerre entre le Pays basque et l’Espagne, mais conteste également l’idée qu’ETA ait été une organisation antifranquiste. Cette version de l’histoire serait à présent défendue par une partie de l’historiographie contemporaine du Pays basque. Dans les pages de El País, Juan Pablo Fusi s’est par exemple montré partisan de cette interprétation (R. Aizpeolea 2018), de même que José Antonio Pérez Pérez ou José Luis de la Granja (Ormazabal 2018).

Les apports de l’historien Gaizka Fernández Soldevilla dans un article de la revue Ayer déconstruisent longuement le « récit du conflit basque » (2015) et permettent d’affiner la perspective proposée par Barbara Loyer12. Outre le récit de la gauche abertzale autour d’un conflit pluriséculaire entre l’Espagne et le Pays basque, Gaizka Fernández considère que d’autres grands récits interprétatifs existent. D’une part, il met en garde contre l’idée d’une causalité directe entre le nationalisme basque et l’activité terroriste d’ETA. D’autre part, il considère que le « récit du conflit » est aussi présent dans certains secteurs du PNV dans une version édulcorée, mais néanmoins problématique, qu’il associe au secteur du « troisième espace » et de « l’ethnopacifisme » qui tend à rendre équivalentes les violences d’ETA et celles produites par l’Espagne, ce qui revient selon lui à accepter les termes du débat posés par la gauche abertzale (Fernández Soldevilla 2015 : 239). Ce « troisième espace » qui adhérerait de manière plus subtile au « récit du conflit » tend à confirmer ce que l’écrivaine et essayiste Edurne Portela a clairement dénoncé, à savoir une forme d’hégémonie culturelle de la gauche abertzale au Pays basque. Cette dernière a exercé une grande influence sur le sens des mots, qu’il s’agisse du mot « conflit », des « souffrances », des « violences », des « victimes » ou encore du mot « Patrie ». En d’autres termes, l’influence de cette gauche nationaliste radicale sur l’imaginaire du Pays basque comme communauté culturelle et politique a été majeure. Le nationalisme modéré, celui du Parti nationaliste basque, a bien souvent repris les termes des nationalistes radicaux et violents nous dit l’essayiste Edurne Portela (2016 : 31-32).

2. Le récit des victimes de l’imposition identitaire

Le roman et la série Patria s’inscrivent globalement dans le « récit des victimes » dans la mesure où c’est ce point de vue qui est adopté et constitué comme légitime face à la barbarie d’ETA, qui n’en reste cependant pas moins une barbarie à visage humain. En ce sens, il s’agit de produire un contre-discours afin de désactiver et de déconstruire le récit du conflit qui est au cœur de la mémoire défendue par la gauche abertzale principalement.

Une première remarque tient à la temporalité choisie : toute l’histoire se passe après la transition vers la démocratie, à savoir entre la fin des années 1980 et 2011. La série Patria, à l’image du roman, fait le choix de ne pas montrer la naissance d’ETA durant le franquisme, comme si cette origine sous Franco importait peu, et comme s’il s’agissait de ne pas véhiculer l’imaginaire antifranquiste qui a pu être associé à ETA. En ce sens, il s’agit d’un parti pris diamétralement opposé à la série La línea invisible (Barroso 2020), sortie également en 2020, qui se concentre au contraire sur les premiers assassinats commis par ETA à la fin des années 1960.

Le titre Patria a ainsi une importance de taille puisqu’il s’agit d’une notion-clé pour l’indépendantisme de gauche au Pays basque. Comme le rappelle Edurne Portela dans son livre El eco de los disparos, sorti en 2016, la patrie constitue un objectif suprême pour le nationalisme ethniciste et violent et peut être résumé par l’expression Aberria ala hil, « la Patrie ou la mort » (Portela 2016 : 26), qu’ETA a vraisemblablement repris à Fidel Castro13. Le terme renvoie à la notion de construction d’un grand Pays basque, Euskal Herria dans le langage nationaliste, comme État-nation comprenant également la Navarre et le Pays basque français. En outre, au niveau du récit, l’idée de patrie renvoie à une autorité, diffuse et collective, qui impose une identité basque univoque.

Cette imposition a pour théâtre et pour creuset une bourgade anonyme où vivent les deux familles amies puis ennemies du roman et de la série, qui ont un patronyme spécifié uniquement dans la série là où le roman préfère s’en tenir à une nomination limitée aux seuls prénoms. Dans la série, Jesús María Lertxundi, « le Txato »14, est assassiné dès la séquence d’ouverture, dont un sous-titre nous indique qu’elle se déroule en 1990. Le motif de ce meurtre n’apparaît qu’ensuite : cet entrepreneur, relativement aisé, a été désigné à la vindicte populaire comme étant un « traître », un « oppresseur », une « balance », dans une campagne de dénigrement orchestrée au motif qu’il n’aurait pas payé « l’impôt révolutionnaire » exigé par ETA. Cet « impôt » n’est autre qu’une extorsion que le groupe terroriste a pratiquée afin de financer ses activités (voir infra). Au fil du récit, le spectateur apprend que le Txato a pourtant bien payé cet impôt dans un premier temps. Mais la seconde lettre de menace qu’il reçoit exige de lui un montant bien trop important. Le personnage ne constitue donc pas un opposant à ETA, mais bien un petit entrepreneur apeuré qui ne peut pas se résoudre à partir de son village pour tenter d’échapper à la menace d’ETA. Il faut également préciser que, dès le premier épisode, par le jeu des analepses, la mort du Txato est mise en parallèle de l’engagement politique et terroriste de Joxe Mari Garmendia, le fils des Garmendia, famille amie des Lertxundi, laissant ainsi entendre que Joxe Mari est impliqué directement dans l’attentat. C’est tout l’enjeu de l’enquête historique qu’entreprend dans le temps du récit premier15 Bittori, la veuve du Txato, à l’automne 2011, juste après avoir appris qu’ETA renonçait à la lutte armée : découvrir la vérité autour de la mort de son mari et savoir si Joxe Mari est l’assassin.

L’imposition culturelle, politique et sociale du nationalisme basque sature l’espace de la bourgade où se noue le drame. Don Serapio, depuis son église, défend la lutte armée et la politisation de la culture. Dès que son mari est menacé de mort et que des graffitis le désignant comme une cible apparaissent sur les murs de la ville, la femme du Txato ne peut plus mettre les pieds à la boucherie de son quartier. La rue est sans cesse occupée par des expressions publiques de soutien au nationalisme radical et aux terroristes d’ETA, qu’il s’agisse de manifestations, de pancartes ou d’affiches. Ce soutien apparaît dès la séquence d’ouverture, une fois de plus. Dès le deuxième plan, un plan général nous montre le futur lieu du crime, le village et le pont qui relie ses deux rives (fig. 1). On peut alors apercevoir une banderole favorable aux membres d’ETA, aux etarras, accrochée en bas de l’immeuble où vivent les Lertxundi. La banderole occupe le centre du plan suivant pendant de longues secondes (fig. 2), ce qui laisse le temps de la lecture : « Presoak kalera. Amnistia osoa », c’est-à-dire « les prisonniers dans la rue. Amnistie totale », des mots que l’on retrouve encore actuellement dans les manifestations en faveur des prisonniers d’ETA.

Figure 1

Figure 1

© Patria (2020), épisode 1, 00’24”, HBO

Figure 2

Figure 2

© Patria (2020), épisode 1, 00’28”, HBO

L’image du creuset se retrouve d’ailleurs dans les choix topographiques opérés dans la série. Le village des Lertxundi et des Garmendia n’est jamais nommé, mais Fernando Aramburu a précisé s’être inspiré du village d’Hernani, une bourgade connue pour être un bastion de la gauche abertzale et d’où sont originaires de nombreux etarras (Landaluce 2017). Le créateur de la série, Aitor Gabilondo, n’a cependant pas obtenu l’autorisation du maire d’Hernani pour y installer ses caméras, et c’est finalement le village de Soraluze, également dans le Guipúzcoa, qui a été choisi, bien que les scènes mettant en scène l’église du village aient été tournées à Elgoibar, une commune voisine. Le choix de Soraluze répond aussi à un motif esthétique et idéologique. Sur le plan général, on peut voir dans quelle mesure le village est enfermé dans la vallée, sur les rives du fleuve Deba. Cet enfermement topographique permet de faire écho à la condition vitale des personnages, qu’il s’agisse des Lertxundi mais aussi des Garmendia. Personne n’échappe à la pression sociale exercée par l’idéologie de la gauche abertzale. C’est ainsi que Gorka, le fils de Miren, qui refuse la violence, finit par participer à un acte de vandalisme contre l’entreprise du Txato. Dans le roman comme dans la série, les personnages qui s’opposent au nationalisme basque radical, souvent de manière passive, sont condamnés à la marginalisation, à l’ostracisme, à la mort ou à l’expulsion de la ville. C’est ainsi que Gorka part à Saint-Sébastien puis à Bilbao, qu’Arantxa se met en couple avec un jeune homme d’origine non basque et s’installe à Rentería – même si cette ville est aussi un bastion indépendantiste où se déroule ensuite un attentat contre un élu de la droite espagnole –, et que les Lertxundi partent finalement à Saint-Sébastien après l’assassinat du Txato.

L’enfermement est aussi signifié et dramatisé par l’écriture filmique qui privilégie les plans rapprochés et/ou fixes qui tendent à fixer les personnages dans leur destinée. Les plans dynamiques et ouverts, plus rares, produisent ainsi une intensité émotionnelle singulière, à l’image du travelling latéral de Bittori s’avançant parmi les tombes du cimetière de Polloe afin d’annoncer à la sépulture du Txato la vérité historique concernant sa mort et la demande de pardon de Joxe Mari dans l’épisode 8.

3. Émotion et raison, mémoire et histoire

3.1. La « mémoire émotionnelle »

Pour que ce récit des victimes puisse avoir des chances de circuler et de contribuer à configurer les mémoires, plusieurs ingrédients nous semblent constituer des conditions nécessaires, sans pour autant être suffisantes. Pour résumer notre propos, nous postulons la nécessité d’une articulation entre émotion et raison qui nous semble globalement à l’œuvre dans la série Patria.

Il est clair que l’émotion joue un rôle essentiel dans les processus d’identification avec les victimes. María Jiménez Ramos et ses collègues de l’Université de Navarre ont proposé en ce sens d’étudier la série sous le prisme de la notion de « mémoire émotionnelle ». Selon eux, le pouvoir du récit, dans le contexte d’expériences traumatiques non vécues ou héritées, réside dans son potentiel dramatique, dans sa capacité à véhiculer des émotions à même de favoriser des liens « entre les communautés ». De ce fait, le récit pourrait jouer un « rôle en tant qu’instrument de création d’identités collectives »16. À partir de ce postulat théorique, les auteurs dégagent un certain nombre de stratégies dramatiques dans Patria, et notamment la diversité des focalisations qui permet de mettre en regard le point de vue du bourreau, ici l’etarra Joxe Mari Garmendia, et celui des victimes, ici principalement le Txato et son épouse Bittori qui, avant le meurtre de son mari, est déjà soumise à un processus d’ostracisation analogue à celui vécu par le Txato. Est également mis en lumière le rôle de « boussole morale » jouée par le personnage d’Arantxa Garmendia, la sœur de Joxe Mari qui, bien que paraplégique suite à un AVC, joue un rôle d’adjuvant essentiel pour contribuer à la reconstitution du lien entre Bittori et les Garmendia, et plus précisément Miren, la mère de famille devenue pro-etarra et ancienne meilleure amie de Bittori, mais aussi Joxe Mari, depuis sa prison de Cadix.

L’approche par les émotions met en lumière les stratégies de dramatisation propres à la fiction, ce qui rappelle utilement la frontière entre le référent historique abordé et sa représentation fictionnelle. Cette frontière est d’autant plus importante que la série, financée par une grande multinationale audiovisuelle (HBO), constitue un produit qui a pour but d’être vendu et d’être vu. En ce sens se pose la question de la fonction première de l’émotion. Helena Media, la scénariste de la mini-série 23F: El día más difícil del Rey diffusée sur TVE en 2009, a par exemple reconnu que la dramatisation et la simplification au nom de la mise en intrigue et de la captation du spectateur l’avait emporté sur les considérations éthiques autour de la manipulation des référents historiques (Media 2013). On peut dès lors s’interroger sur l’articulation de la rigueur historique et de la dramatisation dans Patria.

3.2. Une authentique mémoire historique

Cette tension entre émotion et raison, liée à la fois au format de la mini-série et à son contexte de diffusion, nous amène à reformuler notre problématique initiale. Dans le cadre de la « bataille pour le récit », est-ce que l’émotion peut s’avérer suffisante pour faire mémoire ? La recherche en sciences sociales a développé un emotional turn qui relativise, voire conteste, l’opposition binaire entre émotion et raison, au point de faire des émotions « une forme de pensée et de connaissance »17. Cette symbiose semble s’appliquer à la série Patria comme l’a d’ailleurs magnifiquement synthétisé Luis R. Aizpeola, journaliste spécialiste d’ETA et du Pays basque, pour qui « Patria déborde de vérité »18 parce qu’elle éviterait selon lui une perspective manichéenne ainsi que l’équidistance au service de l’expérience vécue par les Basques, et singulièrement des victimes d’ETA tout en intervenant dans les enjeux politico-mémoriels du temps présent19.

Une des clés de cette vérité qui émane de la série dérive dans une certaine mesure du respect de certains partis pris de Fernando Aramburu qu’Aitor Gabilondo, le scénariste et producteur exécutif de la série, a su respecter et parfois actualiser au service de l’adaptation télévisée. Le roman Patria est « basco-centré » dans la mesure où il présente un récit qui se déroule intégralement au Pays basque, et principalement dans le Guipúzcoa, entre Saint-Sébastien et le village anonyme des Lertxundi et des Garmendia. Ce choix, repris dans la série, obéit à une réalité historique. Le Guipúzcoa est historiquement la zone la plus bascophone du Pays basque espagnol ; elle est aussi une zone d’influence majeure du nationalisme basque radical, c’est-à-dire actuellement de la coalition EH Bildu. Enfin, le territoire en question fait partie des plus meurtris par le terrorisme d’ETA, tout particulièrement la ville de Saint-Sébastien, où ETA a assassiné 105 personnes au cours de son histoire. La carte réalisée par Barbara Loyer et Xemartin Laborde pour le numéro 158 de la revue Hérodote l’illustre parfaitement (Loyer 2015 : 25).

Ce tropisme guipuzcoano a été approfondi par Aitor Gabilondo, qui est d’ailleurs lui-même originaire de Saint-Sébastien, tout comme Fernando Aramburu. On remarquera que le réalisateur des quatre premiers épisodes, Félix Viscarret, est originaire de Pampelune, autre territoire bascophone d’ailleurs perçu comme la capitale historique du Pays basque par la gauche abertzale. Mais l’essentiel est à chercher du côté de la distribution. D’une part, les acteurs choisis sont alors tous inconnus du grand public – la jaquette du DVD ne mentionne d’ailleurs aucun nom d’acteur par exemple. D’autre part, tous sont bascophones et, fait plus marquant encore, tous les membres des familles Lertxundi et Garmendia sont interprétés par des acteurs originaires du Guipúzcoa à l’exception notable de Susana Abaitua20, dans le rôle de Nerea Lertxundi, qui est native de Vitoria. L’absence d’acteurs connus faisait partie des exigences d’Aitor Gabilondo qui y voyait là une manière de renforcer l’illusion référentielle et le réalisme de la série – ceci marque une autre différence notable avec la série La línea invisible sortie la même année. Le choix des acteurs issus précisément du Guipúzcoa répond également à ce désir de vérité puisque, du fait de leur âge, tous ont connu directement le terrorisme et ses conséquences21, de même qu’Aitor Gabilondo qui a précisé qu’un de ses amis avait été assassiné par ETA et que certaines de ses connaissances étaient entrées dans cette organisation. Dans le making of de la série, certains des acteurs évoquent ponctuellement une réactivation de leur mémoire individuelle durant le tournage. Un tournage particulièrement éprouvant a été celui de la séquence de la kale borroka (« guérilla urbaine » en basque) durant laquelle Joxe Mari arrête le bus dans lequel Miren et Bittori tentent de partir de Saint-Sébastien, fait descendre les passagers dudit bus avant d’y mettre le feu à l’aide d’un cocktail molotov. Aussi bien Ane Gabarain, l’interprète de Miren, qu’Elena Irureta, l’interprète de Bittori, ont ainsi eu l’impression de revivre des événements qui ont fait partie de leur quotidien dans les années 1990. Le choix a été fait de tourner cette scène sur le Boulevard de Saint-Sébastien, par souci de rigueur historique, alors même que cette artère a été depuis piétonisée22.

On relève globalement un souci de rigueur historique particulièrement notable. Si les faits représentés relèvent de la fiction et font l’objet d’une mise en scène qui tend à dramatiser le récit, il y a dans le même temps une volonté de produire un réalisme historique aussi fidèle que possible au nom d’une exigence, celle du respect de la mémoire des victimes. Tout comme dans le roman, seule la représentation du meurtre du conseiller municipal Manuel Zamarreño (Parti populaire, parti conservateur espagnol) trouve une correspondance historique exacte (épisode 7 de la série). C’est pour cette raison qu’Aitor Gabilondo a demandé à la fille de cette victime d’ETA l’autorisation de reconstituer cet attentat pour l’intégrer dans la série (El País 2020).

4. Une archive de la violence politique

4.1. Un portrait exhaustif des violences

Faire mémoire autour des victimes de la violence implique de convaincre sur le plan de la raison et de l’émotion. Ceci rend nécessaire un discours acceptable par tous bien que situé dans la lignée du récit des victimes. En ce sens, le roman de Fernando Aramburu a pu aussi nourrir un certain nombre de critiques, notamment du fait de sa condition de roman à thèse. Du côté de la critique universitaire, Mari Jose Olaziregi regrette ainsi que les personnages soient stéréotypés, notamment les personnages féminins qui se nourrissent selon elle du cliché du matriarcat basque, et plus particulièrement de Miren, dont la « caractérisation si négative et stéréotypée […] transmet une vision criminalisée de la femme/mère basque des membres d’ETA »23. Le nationalisme basque, selon Mikel Lorenzo Arza (2020 : 102-103) est dépeint par Aramburu de manière caricaturale, en ce sens qu’il serait ridiculisé et réduit à une forme de sectarisme, sans nuance vis-à-vis de la complexité du phénomène nationaliste au Pays basque. Outre son opposition au « récit du conflit basque », le manichéisme du roman a en tout cas pu contribuer à sa réception négative dans le quotidien Gara, proche de la gauche abertzale. Il nous semble que la série propose, dans son adaptation du roman, une lecture souvent plus nuancée de la réalité basque, notamment en ce qui concerne la représentation de la violence politique.

Tout comme le roman, la série présente un portrait exhaustif des violences exercées au Pays basque jusqu’en 2011. L’ostracisme social auquel sont soumis les opposants à ETA et à la gauche abertzale a pour pendant, dans la série, l’injonction identitaire : celle d’adhérer au nationalisme basque et de soutenir la lutte armée des terroristes d’ETA, ou en tout cas de ne pas s’y opposer. Cette injonction s’incarne autour de deux centres : l’église du prêtre nationaliste don Serapio et le bar indépendantiste de Patxo, l’Arrano Taberna24. L’ostracisme, dans le cas du Txato, se matérialise dans les nombreux tags qui apparaissent sur les murs à la fin du troisième épisode. La dynamique se poursuit au début du quatrième épisode, lorsqu’un plan rapproché montre le Txato fermant le garage, tandis que derrière lui apparaît en arrière-plan, par le jeu du déplacement de la profondeur de champ, un graffiti représentant les contours d’une cible. Ce graffiti auréole d’abord imperceptiblement le personnage puis devient net au moment où celui-ci s’engouffre dans son véhicule. C’est alors que le spectateur comprend que la porte métallique du garage a été taguée : le tag « Txato » est entouré par une cible, faisant du personnage un objectif d’ETA et de la vindicte populaire (fig. 3). Ces images rappellent une pratique documentée (Ajuriaguerra Escudero 2022 : 267) et encore récemment utilisée contre certains membres du Parti populaire au Pays basque25.

Figure 3

Figure 3

© Patria (2020), épisode 27, 06’09”, HBO

L’« impôt révolutionnaire » dont est victime Txato constitue également une pratique attestée, qui a récemment fait l’objet d’un ouvrage collectif, Los empresarios y ETA (Juan José Álvarez et al. 2020), selon lequel dix mille chefs d’entreprises basques ont reçu une lettre de réclamation de paiement de cet « impôt » entre 1968 et 2011. Par ailleurs, trente-trois chefs d’entreprise ont été assassinés durant la période d’activité meurtrière d’ETA, à l’image du personnage du Txato, parfois après un enlèvement qui est d’ailleurs évoqué comme une piste par le commando Oria dont est membre Joxe Mari dans la série. Enfin, la représentation d’autres attentats, notamment d’hommes politiques, et de la kale borroka, c’est-à-dire la guérilla urbaine, renvoie à la stratégie employée par ETA de « socialisation de la douleur » à partir des années 1990.

4.2. Une barbarie à visage humain 

La singularité de la série par rapport au roman réside, selon nous, dans deux grands partis pris notables : d’une part, les formes de la représentation de l’attentat contre le Txato permettent à la fois de créer une intensité émotionnelle notable mais aussi de reprendre et d’approfondir le choix de la pluri-focalisation déjà présente dans le roman ; d’autre part, la série accorde dans ce cadre une place singulière à la figure du bourreau, à savoir Joxe Mari, qui se trouve ainsi fortement humanisé. Cette humanisation de Joxe Mari constitue une constante dans la série, dont il convient d’interroger les ressorts.

La scène de l’assassinat du Txato fait l’objet d’un récit répétitif. En effet, elle est représentée à quatre reprises et montre ainsi quatre points de vue différents : celui de Bittori, celui du Txato, celui de Joxe Mari, mais aussi, de manière plus implicite, celui du village tout entier. La montée de la tension dramatique est liée au maintien du moment de l’exécution dans le hors-champ jusqu’à la dernière occurrence de la scène, dans le dernier épisode de la série. Dans le premier épisode, l’attentat constitue la première séquence, posant un acte fondateur qui fait violence au spectateur. La scène prendra toute son ampleur à la fin de l’épisode par un plan séquence qui débute lorsque Bittori entend les coups de feu depuis le fauteuil du salon dans lequel elle est assoupie. La séquence, tournée en caméra à l’épaule, suit la descente précipitée de Bittori de la cage d’escalier jusque dans la rue. Courant sous le déluge, Bittori arrive auprès de son mari décédé au milieu du pont. Le choix du gros plan sur le visage ensanglanté du Txato donne une force dramatique, encore accentuée par la vision de Bittori bouleversée depuis plusieurs angles de vue, qui évoque l’iconographie de la Pietà. Ses appels à l’aide résonnent alors dans un village qui semble déserté, effet créé par la succession d’un plan d’ensemble tourné depuis le pont, puis d’un plan général où Bittori apparaît de longues secondes de dos sur le pont, intégralement visible et désert, nous offrant ainsi le point de vue potentiel d’un habitant regardant la scène depuis sa fenêtre.

Le troisième récit de l’attentat apparaît durant le quatrième épisode et nous propose le point de vue du Txato avant que la focalisation adopte le point de vue de Joxe Mari et son complice etarra en train de suivre l’entrepreneur. Une fois de plus, l’exécution intervient dans le hors-champ tandis que la caméra se fixe sur la rue déserte, alors que trois coups de feu résonnent. Ce n’est qu’à la dernière occurrence, dans l’épisode 8, que le point de vue du Txato et celui des terroristes sont à nouveau mis en scène et que l’exécution rentre dans le champ. L’image du meurtre est brutale. Le Txato apparaît face caméra transpercé par la balle tirée par Patxo, le complice de Joxe Mari, à bout portant, qui ensuite l’achève de deux balles dans le dos. La caméra se focalise ensuite sur un Joxe Mari perturbé (fig. 4) : le plan fixe sur son visage est intercalé par un plan rapproché du cadavre de Txato en plongée, c’est-à-dire tel que le voit Joxe Mari (fig. 5).

Figure 4

Figure 4

© Patria (2020), épisode 8, 29’41”, HBO

Figure 5

Figure 5

© Patria (2020), épisode 8, 29’43”, HBO

Alors que la séquence se poursuit avec l’arrivée de Bittori dans la rue, la voix off de Joxe Mari retentit, elle correspond au texte de la lettre que ce dernier a envoyé à Bittori en 2011 pour lui demander pardon et lui expliquer qu’il n’est pas l’auteur du meurtre, bien qu’il en soit le complice. Cette confluence des temps, alors que le visage du Txato apparaît en gros plan, enlacé par sa veuve éplorée, énonce cette vérité simple : le pardon n’efface pas la barbarie, mais il demeure essentiel.

4.3. Reconstruire des ponts

La place accordée ici à Joxe Mari est conséquente. Son visage, bouleversé et bouleversant, contraste avec la froideur meurtrière de Patxo ou le visage insensible et dur de Txopo, le dernier membre du commando Oria dont fait partie le jeune homme. De même, la voix de l’etarra sincèrement repenti qui se superpose à l’image du crime donne à la réconciliation une force notable. Le choix du pont comme lieu du crime semble d’ailleurs significatif à cet égard dans la mesure où il unit, symboliquement, des positions en apparence insurmontables. La voix de Joxe Mari retentit précisément alors que le pont semble brisé entre la gauche abertzale et le reste de la société basque représentée par les Lertxundi. Tout se passe comme s’il s’agissait de montrer qu’une reconstruction est possible depuis la mémoire des victimes de la violence, de la demande de pardon et de la réconciliation.

L’image du pont est d’autant plus évocatrice qu’elle a souvent été convoquée pour symboliser la possibilité de la réconciliation. On peut à ce titre évoquer le premier épisode du documentaire ETA. El final del silencio, réalisé par Jon Sistiaga et Alfonso Cortés-Cavanillas, intitulé Zubiak (« ponts » en basque) dont le résumé est éclairant : « Zubiak est un récit de mémoire et de dignité, de dialogue et de pardon, de repentance et de réconciliation au sein d’une Euskadi qui commence à reconstruire ses ponts et qui n’a plus peur de parler »26. Dans le même ordre d’idée, Los puentes de Moscú est un récit graphique de non-fiction d’Alfonso Zapico (2018) autour de la rencontre et du dialogue entre Eduardo Madina, homme politique lié au parti socialiste espagnol, et le musicien Fermín Muguruza, proche de la gauche abertzale. Dans ce récit, Muguruza commente son intervention dans le documentaire La pelota vasca (Medem 2003) en ces termes : « En nous rassemblant [dans ce documentaire], Julio Medem nous a donné l’opportunité de construire des ponts »27. La gauche abertzale a également utilisé cette image, par exemple lors des élections générales de novembre 2011, la coalition Amaiur avait alors eu comme slogan de campagne « construire des ponts » (« eraiki zubiak – tendiendo puentes »).

Dans Patria, le pont reste à construire, mais des espaces sont ouverts pour le dialogue. Si l’on peut regretter que les causes du terrorisme basque ne soient pas véritablement abordées ou pensées par-delà la représentation d’une pression sociale et culturelle, la série ne produit pas pour autant un discours anti-nationaliste basque. L’œuvre d’Aitor Gabilondo ménage, dans son humanisation de Joxe Mari, un regard sur la radicalité qui refuse de faire du terroriste un bourreau absolu. Plus largement, ce n’est pas le nationalisme basque qui est dénoncé mais bien l’usage de la violence. Ainsi, le personnage de Gorka, le frère de Joxe Mari, s’est réfugié dans une littérature apparemment apolitique, qu’il s’agisse de poésie ou de littérature pour enfants, mais il se pose en contre-modèle de promoteur de la culture basque face à son grand frère.

Conclusion

Selon la politologue Paloma Aguilar, la mémoire historique peut se définir comme étant l’ensemble des souvenirs partagés par une communauté donnée autour des faits historiques jugés importants, de sorte que ce partage favorise en retour la cohésion de ladite communauté, ce qui peut la rapprocher de l’idée de « mémoire nationale » (Aguilar 2008 : 52). Une autre perspective, complémentaire, est celle proposée par le mouvement citoyen autour des victimes du franquisme pour qui la mémoire historique consiste à ne plus passer sous silence certains pans de l’histoire, et singulièrement l’histoire de la violence politique exercée par le franquisme. Si l’on suit ces approches, on peut considérer que, pour ce qui concerne le Pays basque, la série Patria cherche à représenter, depuis l’émotion mais aussi depuis le respect historique, les victimes de la violence politique, principalement celle d’ETA, sans pour autant omettre la violence exercée par l’État espagnol durant cette période. Patria consacre une place non négligeable à la représentation de la violence policière, que ce soit par le biais de la séquence de la fouille de l’appartement des Garmendia – qui se transforme en saccage volontaire du logement par des forces policières vraisemblablement animées par un désir de vengeance et d’humiliation – ou au travers des scènes de torture subie par Joxe Mari à la caserne d’Intxaurrondo puis au siège de la Garde civile à Madrid par un groupe de tortionnaires sadiques bénéficiant par ailleurs de la complicité du personnel médical.

Il faut, une fois de plus, resituer ce discours depuis la perspective de la société basque. Au niveau étatique, les victimes d’ETA ont reçu une attention singulière de la part de forces politiques telles que le PP, qui s’oppose simultanément aux revendications liées à la mémoire républicaine et antifranquiste (Aguilar et A. Payne 2018 : 38). À l’inverse, au Pays basque, le récit des victimes a dû conquérir sa visibilité dans l’espace public. Dans le champ historiographique, José Antonio Pérez Pérez indique ainsi que les études universitaires sur les victimes du terrorisme d’ETA sont récentes, elles datent de la fin des années 2000, précisément lorsque la menace etarra semble alors s’éloigner (Pérez Pérez 2021b : 324-325). C’est bien dans ce continuum discursif qu’il convient d’inscrire le roman d’Aramburu et l’adaptation qu’en propose Aitor Gabilondo ; tant et si bien que l’on peut parler, à notre sens, d’œuvres destinées aux Basques et au reste du monde.

La réception médiatique de la série au Pays basque a été significativement contrastée. Les journaux proches de la gauche abertzale ont réinvoqué les mêmes arguments qu’au sujet du roman : il s’agirait d’un récit partiel et donc partial qui ne reconnaîtrait pas la pluralité des victimes du « conflit ». Il est pour autant notable que le reste de la presse, y compris celle proche du Parti nationaliste basque à l’image du journal Deia, a encensé la série du fait de sa vérité28. Comme on a essayé de le montrer ici, dans un Pays basque aux prises avec une véritable bataille mémorielle, Patria peut constituer un lieu de mémoire singulier dans la mesure où il propose un regard centré sur les victimes d’ETA sans cesser de déployer des ponts, au premier rang desquels figure le refus de déshumaniser la figure du terroriste sans cesser de dénoncer la barbarie de la violence politique.

Bibliography

Aguilar, Paloma, Políticas de la memoria y memorias de la política, Madrid : Alianza Editorial, 2008.

Aguilar, Paloma / A. Payne, Leigh, El resurgir del pasado en España. Fosas de víctimas y confesiones de verdugos, Madrid : Taurus, 2018.

Aguirre, Katixa, Los turistas desganados, Valencia : Editorial pre-textos, 2017.

Ajuriaguerra Escudero, Miguel Ángel, « Urbanismo y revolución. Pintadas, murales y carteles de ETA (1969-2011) », Araucaria. Revista Iberoamericana de Filosofía, Política, Humanidades y Relaciones Internacionales, 24/50, 2022, p. 255-284.

Allen, Beverly, « They’re not children anymore: the novelization of “Italians” and “Terrorism” », in : Allen, Beverly / Russo, Mary, Eds. Revisioning Italy: National Identity and Global Culture, Minneapolis : University of Minnesota Press, 1997, p. 52-80.

Álvarez, Juan José et al., Los empresarios y ETA. Una historia no contada, Muskiz : Nerea, 2020.

Antonello, Pierpaolo / O’Leary, Alan, « Introduction », in : Antonello, Pierpaolo / O’Leary, Alan, Eds. Imagining Terrorism. The Rhetoric and Representation of Political Violence in Italy 1969-2009, Oxford : Legenda, 2009, p. 1-15.

Aramburu, Fernando, Patria, Barcelone : Tusquets, 2016.

Barrenetxea Marañón, Igor, « La pelota vasca. La piel contra la piedra: historia de una polémica », Sancho el sabio: Revista de cultura e investigación vasca, 25, 2006, p. 139-164.

Blanco, Silvia, « La batalla por la memoria », El País, 17 juin 2016, document électronique consultable sur : https://elpais.com/politica/2016/06/15/actualidad/1466005719_044399.html. Page consultée le 7 août 2024.

Castells, Luis, « El largo camino hacia la civilidad », Grand place: pensamiento y cultura, 16, 2021, p. 13-39.

Delgado, Luisa Elena / Fernández, Pura / Labanyi, Jo, Eds. Engaging the emotions in Spanish culture and history, Nashville : Vanderbilt University Press, édition kindle, 2016.

El País, « Aitor Gabilondo, creador de la serie Patria analiza la secuencia del asesinato del concejal del PP Manuel Zamarreño », Youtube, 12 septembre 2020, document électronique consultable sur : https://youtu.be/mq90AW-SvEY. Page consultée le 9 janvier 2024.

Fernández Soldevilla, Gaizka, « Mitos que matan. La narrativa del “conflicto vasco”», Ayer. Revista de historia contemporánea, 98/2, 2015, p. 213-240.

Galarraga, Irene / Landaberea, Eider / Arrieta, Leyre, « Una realidad, múltiples relatos: Patria en la prensa vasca y española », Atlante, 19, 2023, document électronique consultable sur : https://doi.org/10.4000/atlante.30221. Page consultée le 9 janvier 2024.

Gara [éditorial], « Aviso a los que quieren un relato de vencedores y vencidos: el que convenza, vencerá », Gara, 2/10/2011, document électronique consultable sur : https://gara.naiz.eus/paperezkoa/20111002/294413/es/Aviso-que-quieren-relato-vencedores-vencidos-que-convenza-vencera?Hizk=eu. Page consultée le 7 août 2024.

H. Pizarroso, Jabo, « La literatura de la patria o la patria de la literatura », Estado Crítico, 18 janvier 2017, document électronique consultable sur : http://www.criticoestado.es/la-literatura-de-la-patria-o-la-patria-de-la-literatura/. Page consultée le 9 janvier 2024.

Jiménez Ramos, María / Castrillo Maortua, Pablo / Labiano Juangarcía, Roncesvalles, « Una “memoria emocional” del terrorismo de ETA: representación de las víctimas en La línea invisible y Patria », Araucaria. Revista Iberoamericana de Filosofía, Política, Humanidades y Relaciones Internacionales, 24/50, 2022, p. 37-59.

Jimeno Aranda, Ricardo, « Imaginarios del terrorismo y sensibilidades sociales », in : Pérez Morán, Ernesto / Sánchez Noriega, José Luis, Eds. Resistencias y disidencias en el cine español: el compromiso con la realidad, Madrid : Ediciones Complutense, 2021, p. 177-204.

Labiano Juangarcía, Roncesvalles / Hernández Ruiz, Victoria / Urquía Uriaguereca, Íñigo, « La recepción de la novela Patria y la memoria del terrorismo en España: cobertura, tratamiento y valoración en la prensa nacional y regional vasca », Doxa Comunicación, 36, 2023, p. 43-64, document électronique consultable sur : https://doi.org/10.31921/doxacom.n36a1682. Page consultée le 9 janvier 2024.

Landaluce, Emilia, « Patria no cala en Hernani », El Mundo, 26 mars 2017, document électronique consultable sur : https://www.elmundo.es/espana/2017/03/26/58d6c418e5fdea69668b45ce.html. Page consultée le 9 janvier 2024.

López Romo, Raúl, Informe Foronda: Los contextos históricos del terrorismo en el País Vasco y la consideración social de sus víctimas, 1968-2010, Vitoria-Gasteiz : Instituto de Historia Social Valentín de Foronda, 2015.

López Romo, Raúl, « La época del conflicto vasco, 1995-2011: aplicación de un mito abertzale », in : Rivera Blanco, Antonio, Ed. Nunca hubo dos bandos: violencia política en el País Vasco, 1975-2011, Grenade : Comares, 2019, p. 141-174.

Lorenzo Arza, Mikel, « La narrativa del conflicto vasco en Patria (2016) », Sancho el sabio: Revista de cultura e investigación vasca, 43, 2020, p. 96-114, document électronique consultable sur : https://doi.org/10.55698/ss.v0i43.296. Page consultée le 20 juillet 2024.

Loyer, Barbara, « Conflit et représentations du conflit au Pays basque : la fin de l’ETA », Hérodote, 158/3, 2015, p. 16-38.

Luengo Teixidor, Félix, « Los símbolos del País Vasco. ¿Con cuáles nos quedamos? », in : Molina, Fernando Aparicio / Pérez Pérez, José Antonio, Eds. El peso de la identidad. Mitos y ritos de la historia vasca, Madrid : Marcial Pons, 2015, p. 57-80.

Media, Helena, « Ficcionar la historia: desafíos y responsabilidades », in : Mínguez, Norberto, Ed., Ficción y no ficción en los discursos creativos de la cultura española, Madrid : Iberoamericana / Francfort-sur-le-Main : Vervuert, 2013, p. 201-214.

Nora, Pierre, « Entre mémoire et histoire : la problématique des Lieux », in : Nora, Pierre, Ed., Les lieux de mémoire. I. La République, Paris : Gallimard, 1984, p. XVI-XLII.

Olaziregi, Mari Jose, « A vueltas con la madre patria », Passés futurs, 3, 2018, document électronique consultable sur : https://www.politika.io/fr/article/a-vueltas-con-madre-patria. Page consultée le 10 février 2025.

O’Leary, Alan, Tragedia all’italiana. Cinema e terrorismo tra Moro e memoria, Tissi : Angelica Editore, 2007.

Ormazabal, Mikel, « Historiadores contra el relato escolar sobre ETA », El País, 05 novembre 2018, document électronique consultable sur : https://elpais.com/politica/2018/11/04/actualidad/1541361689_226160.html. Page consultée le 7 août 2024.

Pérez Pérez, José Antonio, Ed., Historia y memoria del terrorismo en el País Vasco I (1968-1981), Almería : Confluencias, 2021a.

Pérez Pérez, José Antonio, « Terrorismo y violencia en el País Vasco », Ayer, 121, 2021b, p. 319-331.

Pérez Pérez, José Antonio, Historia y memoria del terrorismo en el País Vasco II (1982-1994), Almería : Confluencias, 2022.

Pérez Pérez, José Antonio, Historia y memoria del terrorismo en el País Vasco III (1995-2011), Almería : Confluencias, 2023.

Portela, Edurne, El eco de los disparos. Cultura y memoria de la violencia, Barcelone : Galaxia Gutenberg, 2016.

Portela, Edurne, Mejor la ausencia, Barcelone : Galaxia Gutenberg, 2017.

R. Aizpeolea, Luis, « ETA y los GAL se estudiarán en clase de Historia », El País, 24 septembre 2018, document électronique consultable sur : https://elpais.com/politica/2018/09/23/actualidad/1537720289_908274.html. Page consultée le 7 août 2024.

R. Aizpeolea, Luis, « Patria rezuma verdad », El País, 18 septembre 2020, document électronique consultable sur : https://elpais.com/television/2020-09-18/patria-rezuma-verdad.html. Page consultée le 7 août 2024.

Saizarbitoria, Ramon, Martutene, Saint-Sébastien : Erein, 2013.

Velasco, Sophie, « Le temps du récit cinématographique », Cahiers de Narratologie, 7, 1996, document électronique consultable sur : https://doi.org/10.4000/narratologie.11799. Page consultée le 9 janvier 2024.

Ybarra, Gabriela, El comensal, Barcelone : Caballo de Troya, 2015.

Zaldua, Iban, « La literatura ¿sirve para algo? Una crítica de Patria, de Fernando Aramburu », Viento Sur, 22 mars 2017, document électronique consultable sur : https://vientosur.info/la-literatura-sirve-para-algo-una-critica-de-patria-de-fernando-aramburu/. Page consultée le 7 août 2024.

Zapico, Alfonso, Los puentes de Moscú, Bilbao : Astiberri, 2018.

Filmographie

Barroso, Mariano, La línea invisible, 2020 (DVD : Movistar +, 2020).

Bollaín, Iciar, Maixabel, 2021 (DVD : Divisa, 2022).

Gabilondo, Aitor, Patria, 2020 (DVD : Warner Bros / HBO, 2020).

Medem, Julio, La pelota vasca. La piel contra la piedra, 2003 (DVD : Alicia Produce, 2004).

Sistiaga, Jon et Cortés-Cavanillas, Alfonso, Zubiak [série ETA. El final del silencio], 2019, Movistar +, 2019.

Notes

1 ETA est fondée en 1958, mais ce n’est qu’en 1968 que l’organisation terroriste commet ses deux premiers assassinats, celui du garde civil José Pardines, dans un premier temps, puis celui du commissaire de police Melitón Manzanas. Return to text

2 Le roman a notamment reçu les prix littéraires suivants : le prix de la Critique 2017, le prix Ramón Rubial 2016, le prix Euskadi de littérature en castillan en 2017, le prix national de littérature en prose (Premio Nacional de Narrativa) en 2017. Return to text

3 Abertzale signifie « patriote » en basque, c’est-à-dire nationaliste basque, par opposition, notamment, au nationalisme espagnol. Le terme est d’un usage courant au Pays basque espagnol et, plus largement, en Espagne, notamment dans le champ médiatique et politique. Par l’effet d’un raccourci impropre, le terme est souvent employé comme synonyme de la « gauche abertzale », indépendantiste, par opposition au Parti nationaliste basque (dont le signe en espagnol est PNV). Il est à noter que ce dernier est actuellement autonomiste et centriste, mais qu’il fut d’abord un parti conservateur et clérical, notamment sous la Seconde République (1931-1936). Il est à noter aussi que dans son histoire récente, le PNV a pu se rapprocher de l’indépendantisme, notamment en étant co-signataire avec ETA du pacte d’Estella-Lizarra en 1998 qui avait pour but d’aboutir à « une structure institutionnelle unique et souveraine » qui correspondrait à un grand Pays basque, Euskal herria dans le vocabulaire nationaliste, incluant la communauté autonome basque, la Navarre et le Pays basque français. Return to text

4 Mentionnons, à titre d’exemple et pour notre part, les sketchs suivants : « Los tres de Oiartzun » (ETB2, 20 octobre 2006) (« Les trois d’Oiartzun ». Traduction de l’auteur) ; « Gran reserva etarra » (ETB2, 9 avril 2011) (« Grande réserve de militants d’ETA »). Ces courts-métrages peuvent être facilement visionnés en ligne sur le site d’ETB ou sur YouTube. Return to text

5 « Aviso a los que quieren un relato de vencedores y vencidos: el que convenza, vencerá » (Gara 2011). Traduction de l’auteur. On reconnaît ici une réécriture du célèbre « vous vaincrez mais vous ne convaincrez pas » (« venceréis pero no convenceréis ») que Miguel de Unamuno adressa le 12 octobre 1936 à Millán Estray, à Carmen Polo et à nombre de phalangistes réunis dans l’aula magna de l’Université de Salamanque. Return to text

6 « La batalla por la memoria » (Blanco 2016). Traduction de l’auteur. Return to text

7 « batalla por las narrativas » (Jiménez Ramos et al. 2022 : 42). Traduction de l’auteur. Return to text

8 « Actuellement, une des principales batailles politiques se trouve être la bataille pour le récit » (« A día de hoy una de las batallas políticas principales es la batalla por el relato »), affirma Hasier Arraiz, alors président du parti de gauche indépendantiste Sortu, en novembre 2013. Cité par Gaizka Fernández Soldevilla (2015 : 238). Il est à noter que l’historien Gaizka Fernández Soldevilla perçoit dans ces expressions la persistance de la rhétorique du « conflit basque », c’est-à-dire l’interprétation historique qui a permis de légitimer le recours à la violence politique par ETA. Return to text

9 On emprunte cette référence aux études culturelles et filmiques à María Jiménez Ramos, Pablo Castrillo et Roncesvalles Labiano Juangarcía (2022). Return to text

10 « permeabilità o dell’osmosi reciproca tra eventi e rappresentazioni » (O’Leary 2007 : 55). Traduction de l’auteur. Return to text

11 Aussi connu sous le nom de pacte de Lizarra. Sur ce point, on peut consulter Luis Castells (2021 : 21-27). Return to text

12 On pourra également consulter, à ce sujet, les travaux de Raúl López Romo, et notamment son article consacré à l’usage de la notion de « conflit basque » par la gauche abertzale durant les années 1995-2011 (2019). Return to text

13 Cette expression a été prononcée pour la première fois par Fidel Castro le 5 mars 1960. Il l’emploiera par la suite de manière récurrente pour conclure ses discours. Return to text

14 Le personnage est appelé aussi bien dans la série que dans le roman « le Txato », forme basquisée de « chato », surnom habituel en espagnol qui désigne généralement une personne ayant le nez camus. Return to text

15 Dans la mesure où les analepses se déroulent en référence à l’année 2011 à partir de laquelle Bittori entreprend son enquête, nous considérons en termes narratologiques que ce moment correspond au récit premier. Nous suivons ici le raisonnement proposé par Sophie Velasco (1996). Return to text

16 « lazos entre las comunidades » ; « las emociones jugarían […] un papel como instrumento de creación de identidades colectivas » (Jiménez Ramos et al. 2022 : 43-44). Traduction de l’auteur. Return to text

17 « A form of thought and knowledge » (Delgado et al. 2016 : emplacement kindle 136). Traduction de l’auteur. Return to text

18 « Patria rezuma verdad » (R. Aizpeolea 2020). Traduction de l’auteur. Return to text

19 Il est à noter que ce regard n’est pas partagé, puisque d’autres journalistes ont au contraire reproché à Patria de proposer un regard manichéen. Il en fut de même pour le roman. Une analyse globale de la réception médiatique du roman, menée par Roncesvalles Labiano et al. (2023) a montré que le roman est perçu comme présentant une vision « partiale » de la réalité historique par Gara, le journal de la gauche abertzale, et par certains articles parus dans Deia, proche du PNV, et que Labiano et al. associent à la perspective dite du « troisième espace ». Return to text

20 Les acteurs natifs du Guipúzcoa : Elena Irureta (dans le rôle de Bittori), Ane Gabarain (Miren), Mikel Laskurain (Joxian Garmendia), Loreto Mauleón (Arantxa Garmendia), Eneko Sagardoy (Gorka Garmendia), Íñigo Aranbarri (Xabier Lertxundi), Jon Olivares (Joxe Mari Garmendia), José Ramón Soroiz Ormazabal (Jesús María « el Txato » Lertxundi). Il est à noter que ce dernier, José Ramón Soroiz, est le beau-frère d’une victime d’ETA, Juan María Jáuregui, homme politique socialiste assassiné en 2000. Le film Maixabel de Icíar Bollaín (2021), récompensé par trois Goya, relate son destin et celui de sa veuve Maixabel Lasa, pionnière de la justice restaurative au Pays basque, puisqu’il s’agit d’une des premières victimes à avoir accepté de rencontrer les assassins de son mari. Une question qui est aussi au cœur de Patria. Return to text

21 Aitor Gabilondo l’a d’ailleurs précisé lors d’un entretien organisé par l’Académie des arts et des sciences cinématographiques d’Espagne le 9 octobre 2020 (document électronique consultable sur : https://youtu.be/gLkC0JouDQo. Page consultée le 20 janvier 2024). Return to text

22 Remarquons d’ailleurs que l’adaptation diffère significativement du roman dans lequel Miren et Bittori ne se trouvent pas dans le bus, celui-ci ne peut pas emprunter le boulevard, car il est alors occupé par la manifestation de la gauche abertzale (Aramburu 2016 : 165-169). Return to text

23 « La caracterización tan negativa y estereotipada de Miren transmite una visión criminalizadora de la mujer/madre vasca de los miembros de ETA » (Olaziregi 2018). Traduction de l’auteur. Mari Jose Olaziregi, dans son texte, mentionne d’autres articles critiques avec le roman, publiés par H. Pizarroso (2017) et Zaldua (2017) dans des revues culturelles. Return to text

24 Arrano Taberna signifie « bar de l’aigle » en basque, il s’agit d’une référence à un des symboles de la gauche abertzale, l’aigle noir (Arrano Beltza) sur fond jaune, en référence au sceau qu’utilisait le roi Sanche VII de Navarre, entre 1194 et 1234, période mythifiée dans la mesure où le royaume de Navarre d’alors intégrait l’ensemble des territoires bascophones. À ce sujet, on peut consulter Félix Luengo Teixidor (2015). Return to text

25 Le 16 avril 2019, divers médias espagnols signalaient que des graffitis « Gora ETA » (vive ETA) figurant l’inscription PP au milieu d’une cible étaient apparus à Errandio, en Biscaye. Return to text

26 « Zubiak es un relato de memoria y dignidad, de dialogo y perdón, de arrepentimiento y reconciliación en una Euskadi que está empezando a reconstruir sus puentes y que ha perdido el miedo a hablar ». Traduction de l’auteur. En basque, Zubiak signifie « les ponts ». Le résumé provient du site web des prix Goya (2020), le documentaire n’a pas fait l’objet d’une sortie en DVD. Return to text

27 « Al juntarnos allí, Julio Medem nos dio la oportunidad de construir puentes » (Zapico 2018 : 153). Traduction de l’auteur. Il est à noter que La pelota vasca, lors de sa sortie, provoqua une polémique notable. Le documentaire fut notamment critiqué par l’Association des victimes du terrorisme (AVT), du fait du point de vue adopté par Julio Medem, jugé trop proche du nationalisme basque. Pour un retour sur cette polémique, voir l’article d’Igor Barrenetxea Marañón (2006). Return to text

28 Sur la réception médiatique de Patria, voir l’étude d’Irene Galarraga, Eider Landaberea et Leyre Arrieta (2023). Return to text

Illustrations

References

Electronic reference

Lucas Merlos, « La série Patria : un lieu de mémoire pour le Pays basque ? », Textes et contextes [Online], 19-2 | 2024, 15 December 2024 and connection on 12 March 2025. Copyright : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.ube.fr/textesetcontextes/index.php?id=5208

Author

Lucas Merlos

Univ. Côte d’Azur – LIRCES

Copyright

Licence CC BY 4.0