Du recueil à l’opéra : transferts et mutations de la ballade

  • From Collection to Opera: Transfers and Metamorphoses of the Ballad 

DOI : 10.58335/rec.176

p. 113-130

Index

Mots-clés

ballade, expérimentation poétique, genre populaire, opéra, romantisme

Keywords

ballad, poetic experimentation, popular genre, opera, romanticism

Plan

Texte

La seconde moitié du xviiie siècle est marquée par un vaste mouvement de redécouverte et de réévaluation d’une poésie dite « populaire » en Angleterre et en Allemagne, qui s’étend, au xixe siècle, à l’ensemble des territoires européens. La ballade, en particulier, suscite l’intérêt des écrivains romantiques qui, après la publication en recueils de ballades anciennes et « populaires », voient en elle un espace d’expérimentation poétique, libéré des contraintes de la poésie savante. Parallèlement, les compositeurs s’emparent de ces « textes » qu’ils mettent en musique dans des compositions vocales ou instrumentales – la forme la plus fréquente étant la ballade pour voix et piano. Cette forme est également introduite à l’opéra, circulant ainsi des anthologies ou recueils de poésie à la scène lyrique. Cependant, par-delà la pluralité des objets esthétiques auxquels il renvoie, le terme générique de « ballade » est toujours lié à une certaine conception – plus ou moins fantasmatique – du « populaire ». Après avoir examiné les éléments du discours critique romantique sur la ballade et les « chants populaires », nous voudrions ici nous interroger sur ce que représente l’insertion de ballades dans des œuvres lyriques. Quelles formes prend le « populaire » sur la scène de l’Opéra ou de l’Opéra-Comique (qui mêle parlé et chanté) ? Quels sont les enjeux du transfert de la ballade à l’opéra ?

La revalorisation d’une poésie « populaire » à l’époque romantique : éléments d’un discours critique

Le contexte

Le contexte de redécouverte et de réévaluation des productions « populaires » à la fin du xviiie siècle a déjà été largement analysé par la critique1 ; c’est pourquoi nous nous contenterons d’en rappeler ici les traits principaux. L’intérêt pour les productions « populaires » intervient dans un contexte d’essoufflement de la création poétique au xviiie siècle. Certains auteurs, comme Alexander Pope, William Collins ou Jacques Delille perpétuent des formes héritées de l’Antiquité gréco-latine (odes, épîtres, élégies, églogues2), mais celles-ci sont de plus en plus perçues comme des formes creuses, à la rhétorique artificielle. Pour les auteurs des pays du Nord (Angleterre, Allemagne et, plus tard, pays scandinaves), cette tradition poétique est, par ailleurs, progressivement ressentie comme étrangère, tandis qu’émerge le désir de renouer avec des sources nationales. C’est dans ce contexte qu’intervient la publication des œuvres d’Ossian par James Macpherson, dont le retentissement a été analysé par Bernard Traimond3. Dès les années 1750, l’auteur entreprend de recueillir par écrit des ballades et chansons traditionnelles écossaises, « dans le but de les sauvegarder d’une disparition qu’il pensait inéluctable »4. Il les rassemble dans un premier volume intitulé Fragments of Ancient Poetry Collected in the Highlands of Scotland and Translated from the Galic or Erse Language (1760). Dans la préface à la seconde édition, rédigée par Hugh Blair, professeur de rhétorique à l’université d’Édimbourg, les fragments sont présentés comme des documents utiles à la connaissance de la civilisation celtique antique ; ces traces écrites apparaissent alors comme un rare témoignage d’une culture oubliée, car transmise oralement, contrairement à la culture gréco-latine. Dans cette préface, Hugh Blair va plus loin et suggère qu’il pourrait s’agir de fragments « d’une vaste œuvre qui racontait les guerres de Fingal »5 : « Si l’ensemble était recueilli, il éclairerait les antiquités écossaises et irlandaises sous un jour nouveau »6. Cette idée est rapidement exploitée par James Macpherson qui publie, dans les années qui suivent, Fingal, an Ancient Epic Poem (1762) et Temora (1763), en y intégrant les fragments qu’il avait d’abord recueillis. Ces poèmes épiques connaissent un succès retentissant, et ce en dépit du soupçon de supercherie qui les entoure dès leur parution.

L’entreprise de Macpherson suscite « la recherche et la fabrication de monuments littéraires des anciennes civilisations paysannes »7 dans toute l’Europe, à commencer par l’Angleterre et l’Allemagne. Un courant primitiviste se développe en effet, initié par Thomas Percy et les « Antiquaires » anglais, rapidement relayés par Johann Gottfried von Herder. En France, une attention nouvelle est portée aux cultures régionales, comme en témoignent les travaux de l’Académie celtique8 (1805-1812) et la publication des Ballades et chants populaires de la Provence de Marie Aycard (1826) ou du Barzaz Breiz de La Villemarqué (1839). Les textes publiés dans des recueils tels que les Reliques of Ancient Poetry de Thomas Percy (1765) et les Volkslieder (1778-1779) de Herder sont cependant très hétérogènes, et posent la question de ce que l’on entend alors par poésie « populaire ».

Les contours d’un art « populaire »

Comme l’a observé Bernard Mouralis dans Les Contre-Littératures, le discours sur les œuvres « populaires » s’apparente à certains égards au discours sur l’exotisme, qui s’est développé en Europe à partir du xvie siècle.

En effet, tous deux ont en commun de constituer une tentative visant à intégrer dans le champ littéraire des éléments extérieurs, jusqu’alors ignorés ou méprisés. Mais, cette fois, la problématique qui se manifeste est beaucoup plus complexe car tout se passe à l’intérieur même de la société globale. Le travail qui s’opère tente de mettre en lumière et de valoriser ce que l’on pourrait appeler une différence du dedans, par opposition à la différence lointaine, sur laquelle s’interrogeait le discours exotique9.

Cette « différence du dedans » est d’abord une différence de classe, les auteurs des xviiie et xixe siècles désignant comme « populaires » les œuvres d’auteurs qui ne sont pas issus de la culture lettrée, que ces derniers soient identifiés ou anonymes, individuels ou collectifs. Ainsi, lorsque Herder, en 1771, appelle ses contemporains à collecter des chants « populaires », à l’instar des Anglais et des Écossais, il se réfère avant tout au monde rural et à des professions spécifiques :

Dans plus d’une province, je connais des chants populaires, des chants provinciaux, des chants de paysans, qui n’ont rien à envier à beaucoup de ces derniers au point de vue de la vivacité, du rythme, de la naïveté, de la force de la langue. Mais qui les collecte ? Qui s’en soucie ? Dans les ruelles, les rues et les marchés aux poissons ? Qui se préoccupe des chansons non savantes des gens de la campagne ?10

Cette réduction du « peuple » au monde rural est ancienne et remonte, en réalité, au xvie siècle, lorsque Montaigne commente, dans ses Essais, les qualités des chansons de sa Gascogne natale. Dans le chapitre « Des vaines subtilités », le philosophe établit ainsi une tripartition de la poésie, et rapproche la poésie « naturelle » de la poésie « parfaite selon l’art » :

La poësie populaire et purement naturelle, a des naïvetés et graces, par où elle se compare à la principale beauté de la poësie parfaitte selon l’art : comme il se void ès villanelles de Gascongne et aux chansons, qu’on nous rapporte des nations qui n’ont cognoissance d’aucune science, ny mesme d’escriture. La poësie mediocre, qui s’arreste entre deux, est desdaignée, sans honneur, et sans prix11.

Ces deux formes de poésies sont ainsi opposées à une forme intermédiaire, qui ne viserait qu’à satisfaire l’esprit et serait par là sans valeur. Si cette réflexion semble isolée au xvie siècle, elle est largement reprise et développée dans les préfaces des recueils de chants « populaires » publiés à l’époque romantique12 et, plus largement, dans le discours critique qui entoure ces productions. Dans son article consacré aux « vieilles ballades françaises » (1842), Gérard de Nerval suggère ainsi un possible effet de reconnaissance à la lecture des chants « populaires », comme s’ils représentaient une voie d’accès à un fonds culturel et linguistique commun : « la langue du berger, du marinier, du charretier qui passe, est bien la nôtre »13.

Ce propos permet d’entrevoir une autre dimension de la réflexion romantique sur les chants « populaires ». Au-delà de la classe sociale, le « peuple » peut désigner une collectivité, qui subsume l’ensemble des classes sociales, voire une nation. La poésie « populaire », chez les penseurs allemands en particulier, est en effet conçue comme émanation d’un collectif (« das Volk »). Lorsque Herder découvre et commente les poésies d’Ossian, c’est précisément cet aspect des productions « populaires » qu’il met en avant : « Je voudrais seulement vous rappeler que les poésies d’Ossian sont des chants, des chants d’un peuple sauvage mais sensible, qui se sont transmis oralement de génération en génération depuis très longtemps »14. Dans Extrait de la correspondance sur Ossian comme dans les Volkslieder quelques années plus tard, Herder met en avant la diversité des cultures et pense le peuple comme une entité dotée d’une culture et d’un art spécifiques, qui s’oppose à la culture des lettrés. Cette reconnaissance de la valeur du « peuple » se manifeste largement au xixe siècle, quoique sous des formes diverses : valorisation d’un art « naturel », des croyances et des coutumes « populaires », voire reconnaissance d’un savoir spécifique, en lien avec la « nature ».

La publication de ces chants, enfin, donne lieu à des commentaires sur le style simple et « naïf » de la poésie « populaire », systématiquement opposée à la poésie savante. Ainsi Herder esquisse-t-il, dans la préface des Volkslieder, une réflexion sur la genèse et la nature de la poésie primitive :

Il n’est pas douteux que, au début, la poésie et en particulier la chanson ont été tout à fait populaires, c’est-à-dire faciles, simples, s’inspirant des objets communs et du langage de la foule, ainsi que de la nature féconde et sentie par tous15.

Les traits associés au peuple à l’époque romantique sont ainsi la simplicité, la naïveté, la spontanéité, la pureté, l’authenticité. Xavier Marmier voit par exemple dans la poésie « populaire » primitive « un cri de l’âme, une émanation libre et spontanée de la pensée », et non un objet d’étude « astreint à des règles précises »16. Cette réflexion s’étend parfois à la musique. Ainsi lit-on sous la plume de George Sand :

Il y a une musique qu’on pourrait appeler naturelle, parce qu’elle n’est point le produit de la science et de la réflexion, mais celui d’une inspiration qui échappe à la rigueur des règles et des conventions. C’est la musique populaire : c’est celle des paysans particulièrement.17

Elle évoque ensuite les « ballades » que ces « artiste[s] inconnu[s] » transmettent à d’autres musiciens, qui les colportent de village en village, créant un réseau qui échappe complètement « aux musiciens formés aux règles de l’art »18, peu soucieux d’en conserver la trace. Pourtant, dans le même temps, la culture et la musique populaire s’introduisent sur la scène lyrique, témoignant de l’intérêt, voire de la fascination pour le « populaire ».

L’intégration du « populaire » à l’opéra

Une altérité codifiée

La porosité entre musique populaire et art lyrique marque les débuts du genre de l’opéra-comique au xviiie siècle, les compositeurs puisant fréquemment dans le répertoire des musiques populaires, sur lesquelles le librettiste écrivait un autre texte. Au xixe siècle, cette porosité se manifeste dans des genres supposés plus « nobles », comme le « grand opéra » ; l’insertion d’éléments « populaires » devient un phénomène courant et presque un attendu du public, au point que certains feuilletonnistes s’amusent ou s’irritent de ce qu’ils perçoivent comme un lieu commun, à l’instar de Berlioz :

C’est un opéra de paysans, on n’y voit que des paysans, on n’y entend que des paysans, on s’y dit de grosses injures de paysans, on s’y donne de gros coups de poing, on s’y exècre avec toute la grosse vilaine passion des hommes simples, des hommes des champs, des hommes de la nature, des paysans.19

Dès le début du xixe siècle, le goût pour les légendes et cultures du Nord laisse son empreinte sur le répertoire du début du siècle, comme l’observe Guillaume Bordry : « Le surnaturel s’enrichit d’emprunts à des littératures et des imaginaires nouveaux, comme dans Ossian ou les Bardes (O. 1804) de Le Sueur. Féeries, ballets, rêves forment le cadre de ces apparitions »20. Dans les décennies qui suivent, le genre français du « grand opéra » fait une place importante au pittoresque et aux éléments de couleur locale. Jöel-Marie Fauquet souligne ainsi que « l’opéra dans son acception générique la plus large, relève d’une poétique de la distance »21. Il établit une distinction entre un « exotisme exogène », lié aux grandes découvertes et au développement de la pratique du voyage, et un « exotisme endogène », témoin de la fascination pour les cultures propres à certaines aires géographiques à l’intérieur du territoire français – les régions privilégiées étant la Bretagne et l’Occitanie. Nombreux sont les opéras sont l’action se situent dans un cadre rural : Le Pardon de Ploërmel de Meyerbeer ou Le Roi d’Ys de Lalo ; « ce standard champêtre est transposable d’une région à l’autre, mais aussi d’une nation à l’autre »22, comme le montre l’opéra-comique de François-Adrien Boieldieu, Le Nouveau Seigneur du village (1813), dont l’action se situe en Allemagne et s’ouvre sur un décor représentant « une salle de verdure touchant à un château qu’on voit sur le côté, à gauche de l’acteur. Le village est censé à la droite, et c’est de ce côté qu’arrivent tous les paysans »23.

Les modalités d’intégration d’éléments « populaires » à l’opéra sont diverses. L’insertion de personnages incarnant une culture « populaire » est fréquente : paysans et paysannes, bûcherons, pêcheurs, chevrières, servantes, baillis sont autant de figures que l’on trouve aussi bien dans l’opéra-comique que dans le « grand opéra ». À ces derniers viennent s’ajouter les bardes, sorciers et ménestrels réputés posséder une forme de savoir spécifique et renvoyant à des croyances ou des superstitions « populaires ». Le texte du livret intègre dès lors des éléments de parler « populaire », servant à la caractérisation des personnages au même titre que les costumes ou les décors dans lesquels ils évoluent24. Ainsi, observe-t-on fréquemment l’élision du « e » muet, marqueur d’oralité que l’on retrouve aussi bien dans les passages parlés que dans les passages chantés à l’opéra-comique ; dans Le Nouveau Seigneur du village, par exemple, Blaise chante à la scène 1 :

Comme ell’ l’écoute gentiment !
Ell’ m’écoute moins bien la friponne…25

Le monologue parlé qui suit immédiatement cette scène, quant à lui, fait entendre la forme orale du démonstratif féminin « cette » : « Mais comment l’avoir, c’te ferme ?... »26.

Sur le plan musical, l’intégration du « populaire » relève parfois de la citation (d’un timbre, d’un air connu) ou de l’emprunt à des genres ou des formes « populaires », telles que la chanson, la romance ou la ballade. Mais elle peut également prendre une forme plus symbolique, quand elle repose sur le recourt à des instruments spécifiques : la harpe ou la cornemuse, par exemple27. Enfin, les ballets intercalaires ou passages dansés peuvent aussi être le lieu de surgissement de la culture « populaire » et du pittoresque : à l’acte I de La Muette de Portici, par exemple, la foule danse la « guaracha » (littéralement « sandale » en espagnol) et le boléro pour célébrer le mariage d’Elvire avec le duc d’Arcos, des danses sur un rythme ternaire, évoquant les danses de bal espagnoles. Toutes les ressources de l’opéra – art plurimédiatique par excellence – sont ainsi exploitées pour créer des effets de couleur locale au xixe siècle.

La ballade, entre littérature et musique

L’emprunt à des formes « populaires » est un élément récurrent dans l’opéra du xixe siècle. C’est dans ce contexte que nous voudrions examiner le rôle joué par les ballades insérées à l’opéra. Quelle forme prennent-elles ? Quel rôle jouent-elles ? Quel imaginaire s’y rattache ? Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de revenir brièvement sur ce que les auteurs du xixe siècle mettent derrière le mot « ballade ». Une difficulté apparaît ici : le paratexte (préfaces ou avant-propos, notamment) des recueils de chants « populaires » ou de recueils poétiques faisant référence à la ballade28 est marqué par un grand flottement terminologique et une forme de renoncement à toute tentative de définition. Pourtant, en regardant les poèmes présentés comme des « ballades », il est possible d’en identifier les principaux traits. C’est ce que Jean-Louis Backès s’est efforcé de faire dans Le Poème narratif et dans un article plus spécifiquement consacré à la ballade29. Celle-ci se présente tout d’abord comme un récit relativement bref, structuré en strophes (souvent des quatrains avec, dans la poésie anglaise et germanique notamment, une alternance de vers longs – tétramètres – et de vers courts – trimètres). C’est à ce modèle de la ballade « populaire » que se réfère Castil-Blaze, dans le Dictionnaire de musique moderne :

On entend par ballades, en Angleterre, des chansons ou espèces d’odes à plusieurs couplets ou strophes que l’on chante ordinairement, mais qui servent aussi quelquefois d’airs de danse, comme les vaudevilles. Il y a de ces ballades très anciennes, qui sont fameuses et méritent de l’être par leur simplicité, la naïveté et le pittoresque des pensées ; telle est la ballade des deux enfants dans le bois (The two children in the vood [sic]).30

Ces premiers éléments de caractérisation expliquent que la ballade apparaisse comme une modalité de la narration dans les œuvres lyriques. Comme le rappelle Carolyn Abbate, en effet,

dans l’opéra classique et romantique, la narration disposait de deux modes de présentation traditionnels et musicalement distincts : le récitatif et la chanson narrative strophique, habituellement insérée dans l’œuvre sous le titre de « ballade », « romance », « Lied » ou « Canzona ».31

La ballade se présente comme un récit, inséré dans la trame dramatique, et chanté par l’un des personnages. Mais ce premier élément ne suffit pas à distinguer la ballade des genres voisins qu’évoque ici la critique, comme la « romance » ou la « chanson ». Dans l’imaginaire des auteurs romantiques, la ballade est associée aux littératures du Nord, par opposition à celles du Midi, auxquelles se rattacherait la « romance ». Comme le rappelle Jean-Louis Backès, la « romance » est en effet considérée comme une forme poétique d’origine espagnole32, dont la ballade serait en quelque sorte l’équivalent nordique. Mais elle comporte surtout, aux yeux des auteurs romantiques, une dimension surnaturelle, légendaire ou fantastique, qui la distingue de la romance. La ballade de la Lénore (1774) de Gottfried August Bürger, qui marque le point de départ du réinvestissement de cette forme poétique en Allemagne, est archétypale de ce point de vue, et marque très profondément les représentations romantiques de la ballade, même si cette dimension fantastique n’est pas toujours reprise par les auteurs souhaitant s’illustrer dans ce genre33.

Ce dernier point explique que l’on retrouve des ballades insérées avant tout dans les opéras dits « fantastiques ». La ballade apparaît comme un moyen privilégié par les compositeurs pour exposer une situation dramatique (souvent au début de l’opéra) en rappelant une légende ancienne ou un fait passé qui, comme on le verra, est appelé à se répéter dans le présent du drame. Pour analyser les enjeux de l’insertion de la ballade à l’opéra, nous avons choisi de porter notre attention sur trois d’entre elles34 : la ballade de Jenny, (« D’ici voyez ce beau domaine »), dans La Dame blanche (1825), la ballade de Raimbaut (« Jadis régnait en Normandie ») dans Robert le Diable (1831) et, enfin, la ballade de Ziska dans l’opéra de Limnander Les Monténégrins, composé sur un livret de Nerval et Alboize de Pujol (1849). Ces opéras forment un groupe cohérent dans la mesure où ils voient apparaître un être surnaturel dans le monde des humains : le fantôme d’une châtelaine errant dans un château abandonné (La Dame blanche, Les Monténégrins) ou le fils du diable et d’une mortelle dans Robert le Diable. L’inscription de ces ballades dans le cadre d’opéras-comiques (La Dame blanche, Les Monténégrins) ou d’un « grand opéra » tel que Robert le Diable entraîne-t elle une dilution des éléments « populaires » de la ballade ou les préserve-t-elle, au contraire, en les exploitant ?

Faire entendre la voix des peuples ? La ballade insérée dans l’opéra

Situation des ballades insérées

Dans chacune des œuvres lyriques considérées, la ballade intervient dans la première partie de l’opéra et s’apparente de ce point de vue à une ballade d’exposition35. La situation dramatique est similaire dans La Dame blanche et Monténégrins, où c’est l’arrivée ou la présence d’un étranger (Georges, dans l’opéra de Boieldieu ; Sergis, dans celui de Limnander) qui justifie le récit des événements que contient la ballade. Dans Robert le Diable, celle-ci est présentée comme un divertissement qu’offrent des jongleurs au voyageur qu’est Robert. Les ballades sont chantées par des personnages réputés « populaires » : Jenny, une fermière, dans La Dame blanche ; un barde, Ziska, dans Les Monténégrins ; et un troubadour, Raimbaut, dans Robert le Diable. Elles sont par ailleurs présentées comme telles, suggérant qu’à cette forme est attaché un horizon d’attente du spectateur-auditeur au xixe siècle ; ainsi Ziska se présente-t-il comme un chanteur itinérant, conformément à la figure « populaire » du barde, « pénétr[ant] […] partout en chantant [s]es ballades »36, accompagné de sa guzla. Celle qu’il chante pour Sergis « est faite depuis plus de deux cents ans, et tout le pays ne la chante qu’avec terreur »37, prévient-il. Dans La Dame blanche, le librettiste Eugène Scribe semble même jouer de l’idée qu’il s’agit d’un morceau attendu, en faisant dire à Georges : « Ah, il y a une ballade ? »38. La ballade de Raimbaut, quant à elle, est désignée comme telle dans le livret d’Eugène Scribe et Germain Delavigne, tandis que le menestrel annonce qu’il racontera « l’histoire épouvantable / De notre jeune duc, de ce Robert le diable »39.

La « ballade » est ainsi supposée susciter le frisson, voire la terreur chez l’auditeur. À cette forme est associée, dans l’imaginaire de l’époque, une atmosphère angoissante, voire fantastique. De fait, si l’on s’attache au contenu de ces ballades, l’on constate qu’elles ont toutes pour fonction de rapporter une légende locale, à caractère surnaturel : l’histoire de la dame blanche dans l’opéra éponyme de Boieldieu, celle de Robert-le-Diable chez Meyerbeer ou celle d’Hélène, vampire ayant « vend[u] son âme / pour garder sa beauté »40 et hantant le château de la Maladetta (château maudit, comme l’indique son nom), dans Les Monténégrins. Le récit marque une pause dans le drame, les personnages devenant alors des spectateurs-auditeurs internes, figés dans l’écoute de la légende41. Le refrain sonne comme une mise en garde qui leur est adressée :

Craignez, craignez Hélène, / La châtelaine / Errante sur la tour. (Les Monténégrins)

Prenez garde ! / La Dame blanche vous regarde, / La Dame blanche vous entend ! (La Dame blanche)

Dans les trois œuvres considérées, l’auditeur fait part de son incrédulité, soit avant même d’avoir entendu la ballade, soit après l’avoir entendue. La ballade est alors qualifiée systématiquement de « conte »42, récit auquel on n’accorde aucun crédit. Or ces ballades ont un caractère proleptique et annoncent, dans un récit condensé, les événements au cœur de l’opéra.

Du texte à la musique : quelles traces du « populaire » ?

Les ballades insérées dans l’opéra jouent avec l’atmosphère fantastique associée au genre et sont systématiquement présentées comme la trace d’un savoir ou de croyances « populaires ». Reste à savoir si le texte et/ou la musique présente des marqueurs d’un style « populaire ». Le texte, tout d’abord, conserve à l’évidence la structure des ballades « populaires », en faisant alterner couplets et refrain, dynamique qui, dans le cadre d’une œuvre lyrique, permet d’établir un dialogue entre le personnage chantant la ballade et un ensemble (chœur ou groupe de personnages figurant la foule des auditeurs) qui reprend le refrain. Les strophes présentent une prosodie et une structure identiques, que vient renforcer le retour du refrain. Sur le plan lexical, on relève par ailleurs, dans le livret de La Dame blanche, l’introduction d’archaïsmes à consonance médiévale (tel que « castel » pour « château »), dont on ne trouve pas d’équivalent dans les deux autres ballades du corpus.

La forme strophique de la ballade se fond naturellement dans la structure de l’opéra à numéros, modèle dominant au cours de la période considérée, en particulier à l’Opéra-Comique. Elle constitue un morceau clos, qui laisse place au dialogue parlé dans La Dame blanche comme dans Les Monténégrins. Sur le plan musical, la ballade insérée se caractérise par une simplicité apparente : le syllabisme y domine, la clarté des paroles étant ainsi privilégiée, et la construction strophique du texte est soutenue par la récurrence de la mélodie. Cependant, comme l’a remarqué Carolyn Abbate, l’insertion de la ballade à l’opéra fait surgir une tension entre la linéarité des événements rapportés et la circularité de la forme strophique sur le plan musical, renforcée par la présence d’un refrain. Cette circularité renvoie symboliquement à la répétition des évènements racontés dans la ballade, faisant de cette dernière un espace réflexif. La ballade vient en effet creuser la temporalité du drame, en faisant ressurgir des événements passés, en même temps qu’elle annonce le drame qui va se jouer. Ainsi, de modalité du récit bref qu’elle était en littérature, la ballade insérée devient porteuse d’une double temporalité, à la fois linéaire et cyclique, ce qui amène Carolyn Abbate à dire que « la chanson narrative représente […], malgré sa simplicité musicale apparente, un des points de tension les plus élaborés de l’opéra »43.

Cette simplicité de la musique est par ailleurs à relativiser. En effet, si, dans la ballade Raimbaut, les couplets reprennent la même mélodie, celle-ci est de plus en plus ornée et l’instrumentation qui soutient la voix du chanteur est de plus en plus riche et travaillée, passant aux bois, aux cors et aux trompettes. Hector Berlioz, dans un article consacré à l’instrumentation de Robert le Diable, relève ainsi « l’orchestration pleine d’agitation et d’épouvante du troisième couplet de la ballade “Jadis régnait en Normandie” »44 et y voit un exemple de l’art musical moderne. Meyerbeer joue ainsi sur le contraste entre des couplets utilisant un chant simple, mais dont l’instrumentation évolue à mesure que progresse la narration, et un refrain à l’orchestration immuable et à la mélodie tourmentée. Il joue avec les codes du « populaire » et du fantastique et s’écarte de la simplicité de la ballade strophique. La ballade de Jenny dans La Dame blanche, quant à elle, est marquée par la présence d’arpèges de harpe en introduction, qui contrastent avec le grondement des violoncelles et des contrebasses venant soutenir l’avertissement porté par le refrain, une oscillation entre des tonalités majeures et mineures, le recours à des accords de septième diminuée sur le temps, etc. L’évocation musicale de la dame blanche s’écarte ainsi, là encore, de la simplicité attachée au genre de la ballade, en faisant émerger une rhétorique du fantastique dans le genre de l’opéra-comique45.

Ainsi la ballade insérée sur la scène lyrique reflète-t-elle les tensions et ambiguïtés inhérentes à la revalorisation et à l’intégration d’éléments « populaires » à l’opéra : elle participe à la création d’une atmosphère pittoresque, en faisant entendre la voix de figures « populaires » dotées d’une identité culturelle et d’un savoir spécifiques. Le récit légendaire trouve naturellement sa place dans le cadre d’œuvres faisant appel au fantastique. Il représente une stase dans l’action dramatique et permet l’exposition de données essentielles à la compréhension du drame. Les compositeurs explorent ainsi toutes les potentialités musico-dramatiques de la ballade : elle permet l’introduction d’une couleur locale, mais elle est aussi l’occasion pour eux d’explorer des moyens d’expression de l’orchestre. Enfin, la circularité de cette forme, brouillant la linéarité du récit, devient le support d’une réflexivité, préfigurant le drame qui va se jouer.

Annexe

1. La Dame blanche (1825), opéra-comique en trois actes de François-Adrien Boieldieu, livret d’Eugène Scribe.

                                                                                   JENNY.

Quand il doit arriver à cette famille quelque événement heureux ou malheureux, on est sûr qu’elle apparaîtra. On la voit errer sur le haut des tourelles, en longs vêtemens [sic] blancs, et tenant à la main une harpe qui rend des sons célestes ; et puis, comme dit la ballade…

                                                                                   GEORGES.

Ah ! il y a une ballade ?

                                                                                   DIKSON.

Et une fameuse ! qu’on chante dans le pays, mais quand on est plusieurs réunis, parce que sans cela ça fait trop peur !… Ma femme la sait.

                                                                                   GEORGES.

Eh bien ! Jenny, chantez-nous-la. Il me semble que nous pouvons l’entendre (montrant tous les convives) ; nous sommes en force.

                                                                                   COUPLETS.

                                                                                   JENNY.

                                                                                   PREMIER COUPLET.

D’ici voyez ce beau domaine,
Dont les créneaux touchent le ciel !
Une invisible châtelaine
Veille en tous temps sur ce castel.
Chevalier félon et méchant
Qui tramez complot malfaisant,
Prenez garde !
La dame blanche vous regarde,
La dame blanche vous entend. 

                                                                                   DEUXIÈME COUPLET.

Sous ces voûtes, sous ces tourelles,
Pour éviter les feux du jour,
Parfois gentilles pastourelles
Redisent doux propos d’amour.
Vous qui parlez si tendrement,
Jeune fillette, jeune amant,
Prenez garde !
La dame blanche vous regarde,
La dame blanche vous entend.

                                                                                   TROISIÈME COUPLET.

En tous lieux protégeant les belles,
Et de son sexe, ayant pitié,

                                                                                    (Regardant Dikson.)

Quand les maris sont infidèles,
Elle en avertit leur moitié.
Cœur volage, époux inconstant,
Qui manquez à votre serment,
Prenez garde !
La dame blanche vous regarde,
La dame blanche vous entend.

                                                                                   GEORGES.

Grand merci, ma belle enfant ;
Votre conte est charmant.

                                                                                   TOUS, effrayés

Un conte !

                                                                                   JENNY.

La dame blanche vous regarde !
Elle vous entend !

2. Robert le Diable (1831), opéra en cinq actes de Giacomo Meyerbeer, livret d’Eugène Scribe et Germain Delavigne.

          Ballade.
          Raimbaut.

          Premier couplet
Jadis régnait en Normandie
Un prince noble et valeureux.
Sa fille, Berthe la jolie,
Dédaignait tous les amoureux,
Quand vint à la cour de son père
Un guerrier, un prince inconnu !
Et Berthe, jusqu’alors si fière,
D’amour sentit son cœur ému.
Funeste erreur ! fatal délire !
Car ce guerrier était, dit-on,
Un habitant du sombre empire :
Foi de Normand c’est un démon !

          Chœur.
Ah ! le conte est fort bon ;
Comment ne pas en rire ?
C’est un démon
Oui, un vrai démon.

          Raimbaut.
C’est un démon !

          Deuxième couplet.
C’était le favori fidèle
De Satan le roi des Enfers.
Il tient sous sa garde éternelle
Tous les trésors de l’univers.
Aussi bientôt par sa richesse
Berthe et son père sont séduits
Et dans l’église de Sainte Adresse
En grande pompe ils sont unis.
Funeste erreur, fatal délire !
Car cet époux était, dit-on,
Un habitant du sombre empire :
Foi de normand, c’est un démon !

          Troisième couplet.
De cet hymen épouvantable
Vint un fils, l’effroi du canton !
Robert, Robert, le fils du diable,
Dont il porte déjà le nom.
Semant le deuil dans les familles,
En champ clos il bat les maris,
Enlève les femmes, les filles,
Et s’il paraît dans ce canton
Hélas fuyez, jeunes bergères,
Car c’est Robert : il a, dit-on,
Les traits et le cœur de son père,
Et comme lui, c’est un démon.

3. Les Monténégrins (1849), Opéra-comique en trois actes, livret de Jules-Édouard Alboise du Pujol et Gérard de Nerval, musique d’Armand Limnander.

          Ziska.
          Ballade

          Premier couplet.
Hélène était la dame
De ce lieu redouté :
Elle vendit son âme
Pour garder sa beauté.
Le temps qui nous dévore
Lui laissa de longs jours.
Au bout d’un siècle encore
On l’adorait toujours.
Craignez, craignez Hélène,
La châtelaine,
Errante sur la tour,
C’est un vampire
Qui vous attire
Avec des chants d’amour.

          ensemble.
C’est un vampire
Qui vous attire
Avec des chants d’amour.

          Ziska.

          Deuxième couplet.
De la magicienne
L’âme revient la nuit,
Son regard vous enchaîne,
Et sa voix vous séduit.
Des traits de son visage,
Vos yeux seront charmés,
Car c’est la douce image
De ce que vous aimez.

Craignez, craignez Hélène, etc.

           ensemble.
C’est un vampire
Qui vous attire, etc.

Notes

1 Voir les travaux d’Isabelle Durand-Le Guern, « Renaissance d’une forme poétique, la ballade », dans Le Moyen Âge des romantiques, Rennes, PUR, coll. « Interférences », 2001, p. 57-82 ; Dominique Peyrache-Leborgne, « Un mouvement de rénovation de la littérature par la ballade populaire et littéraire, depuis Percy et Herder », dans Judith Labarthe et Claudine Le Blanc (dir.), La Ballade (xviiie-xixe siècles). Littérature savante, littérature populaire et musique, Nantes, Cécile Defaut, 2008, p. 13-22 ; Alain Muzelle, « La Ballade allemande à l’époque romantique », La questione Romantica, Rivista interdisciplinare di studi romantici, Nuova Serie, vol. 1, n° 2, déc. 2009, p. 17-26 ; Gaëlle Loisel, « Le renouveau du genre de la ballade à l’époque romantique : théories et pratiques », dans Brigitte Buffard-Moret et Mireille Demaules (dir.), La Ballade, histoire et avatars d’une forme poétique, Paris, Honoré Champion, 2020, p. 179-196. Retour au texte

2 Alexander Pope écrit par exemple des Imitations d’Horace (1733-1738), tandis qu’en France, Jacques Delille traduit / imite Les Bucoliques et Les Géorgiques de Virgile, avant d’écrire L’Homme des champs, ou les Géorgiques françaises (1800). Sur la situation des genres poétiques à la fin du xviiie siècle, nous renvoyons à l’ouvrage dirigé par György M. Vajda, Le Tournant du siècle des Lumières (1760-1820). Les Genres en vers des Lumières au romantisme, Amsterdam / Philadelphia, John Benjamins, 1982. Retour au texte

3 Bernard Traimond, « L’effet Macpherson », dans La mise à jour : Introduction à l’ethnopragmatique, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2004 [en ligne]. URL : http://books.openedition.org/pub/32116. Retour au texte

4 Samuel Baudry, « Introduction », dans James Macpherson, Œuvres d’Ossian, éd. et trad. Samuel Baudry, Paris, Classiques Garnier, 2014, p. 8. Retour au texte

5 « Though the poems now published appear as detached pieces in this collection, there is ground to believe that most of them were originally episodes of a greater work which related to the wars of Fingal. » Ibid., p. 383. Retour au texte

6 « If the whole were recovered, it might serve to throw considerable light upon the Scottish and Irish antiquities. » Ibid., p. 385. Retour au texte

7 Bernard Traimond, « L’effet Macpherson », op. cit. Retour au texte

8 L’Académie celtique, fondée en 1805, se fixe pour objectif « 1°. de reproduire l’histoire des Celtes, de rechercher leurs monumens [sic], de les examiner, de les discuter, de les expliquer ; 2°. d’étudier et de publier les étymologies de toutes les langues de l’Europe, à l’aide du Celto-Breton, du Gallois, et de la langue Erse (…). » Mémoires de l’Académie celtique, « Discours préliminaire », Paris, Dentu, t. I, 1807, p. 4. Sur les travaux de l’Académie celtique, voir Nicole Belmont, « L’Académie celtique et George Sand. Les débuts des recherches folkloriques en France », Romantisme, 1975, n° 9, p. 30 et 31. Retour au texte

9 Bernard Mouralis, Les Contre-littératures [1975], Paris, Hermann, « Essais », 2011, p. 110. Retour au texte

10 « In mehr als einer Provinz sind mir Volkslieder, Provinziallieder, Bauerlieder bekannt, die an Lebhaftigkeit und Rhythmus, und Naivetät und Stärke der Sprache vielen derselben gewiß nichts nachgeben würden; nur wer ist, der sie sammle, der sich um sie bekümmre? auf Strassen, und Gassen und Fischmärkten? im ungelehrten Rundgesange des Landvolks? » (Johann Gottfried von Herder, Auszug aus einem Briefwechsel über Ossian und die Lieder alter Völker, in Herders Werke in fünf Bänden, Wilhelm Dobbek (éd.), Berlin-Weimar, Bibliothek Deutscher Klassiker, 1964, t. II, p. 222. Sauf mention contraire, les traductions sont de l’autrice de l’article. Retour au texte

11 Michel de Montaigne, Essais, I, 54, éd. Jean Balsamo, Michel Magnien et Catherine Magnien-Simonin, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2007, p. 332. Retour au texte

12 Dans Voyage en Suisse, par exemple, Xavier Marmier reprend les propos de Montaigne : « La poésie populaire avait de nouveau fixé l’attention ; on se mit à l’étudier, et plus on l’étudia, plus on y découvrit de sources fécondes et de rameaux chargés de fleurs. / “La poésie populaire, dit le bon Montaigne, qui l’avait comprise avant que les critiques s’en occupassent, la poésie populaire et purement naturelle a des naïfvetez et grâces par où elle se compare à la principale beauté de la poésie parfaicte selon l’art, comme il se veoid ez villanelles de Gascoigne, et aux chansons qu’on nous rapporte des nations qui n’ont cognoissance d’aulcune science, ni mesme d’escripture”. » Xavier Marmier, Voyage en Suisse, Paris, Morizot, 1862, p. 279-280. Retour au texte

13 Gérard de Nerval, « Les Vieilles Ballades françaises », dans Œuvres complètes, éd. Jean Guillaume et Claude Pichois, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1989, 3 vol., vol. 1, p. 754. Retour au texte

14 « Ihnen wollte ich nur in Erinnerung bringen, daß Ossians Gedichte Lieder, Lieder des Volks, Lieder eines ungebildeten sinnlichen Volks sind, die sich so lange im Munde der väterlichen Tradition haben fortsingen können […]. » Johann Gottfried von Herder, Auszug aus einem Briefwechsel über Ossian und die Lieder alter Völker, op. cit., p. 194. Retour au texte

15 « Es ist wohl nicht zu zweifeln, daß Poesie und insonderheit Lied im Anfang ganz Volksartig d. i. leicht, einfach, aus Gegenständen und in der Sprache der Menge sowie der reichen und für alle fühlbaren Natur gewesen. Gesang liebt Menge, die Zusammenstimmung vieler, er fodert das Ohr des Hörers und Chorus der Stimmen und Gemüter. » Johann Gottfried von Herder, Volkslieder, Volkslieder, Leipzig, Weygand, 1779, 2 vol., t. 2, p. 3. Trad. Émile Bréhier in Herder, Préface de la deuxième partie des Volkslieder [1779], Paris, La Renaissance du livre, coll. « Les cent chefs-d’œuvre étrangers », [1925], p. 59. Retour au texte

16 Xavier Marmier, Chants populaires du Nord, Paris, Charpentier, 1842, p. xii. Retour au texte

17 George Sand, Consuelo, chap. LV, éd. Robert Sctrick, Paris, Phébus, 1999, p. 422. Retour au texte

18 Ibid. Retour au texte

19 Hector Berlioz, « Première représentation des Saisons, opéra-comique en trois actes de MM. Jules Barbier et Carré, musique de M. Massé », Journal des débats, 31 décembre 1855, dans Hector Berlioz, Critique musicale, éd. Anne Bongrain et Marie-Hélène Coudroy-Saghaï, Lyon, Symétrie, 2016, vol. 8, p. 562. Retour au texte

20 Guillaume Bordry, « Les formes lyriques de l’altérité et de l’ailleurs. Un autre monde : surnaturel et fantastique », dans Hervé Lacombe (dir.), Histoire de l’opéra français. Du Consulat aux débuts de la IIIe République, Paris, Fayard, 2021, p. 937. Voir aussi Cf. Matthias Brzoska, « Ossian de Le Sueur : la mythologie celtique à l’opéra » (Ibid., p. 216-218). Retour au texte

21 Joël-Marie Fauquet, « Les formes lyriques de l’altérité et de l’ailleurs. L’exotisme régional », dans Hervé Lacombe (dir.), op. cit., p. 941. Retour au texte

22 Ibid., p. 943. Retour au texte

23 Le Nouveau Seigneur du village, opéra-comique en un acte ; paroles de MM. …, Musique de M. Boieldieu, Paris, Barba, 1813, p. 3. Retour au texte

24 Dans Le Pardon de Ploërmel (1859) de Meyerbeer, par exemple, le décor de l’acte I plonge le spectateur dans « la chaumière de Corentin », située au premier plan et décrite en ces termes : « Porte à droite. Au fond une fenêtre basse. À gauche, un vieux fauteuil, table et buffet rustiques. » La végétation environnante renvoie aux caractères physiques de la Bretagne (climat et végétation) : « Ça et là des touffes de bruyère, quelques arbres tordus par le vent etc... » Le Pardon de Ploërmel, livret de Barbier et Carré, musique de Meyerbeer, 1859. Joël-Marie Fauquet note que « l’opéra du xixe siècle a pour cadre récurrent celui que lui offre le paysage rural : village, château, ferme, intérieur rustique, etc. » (op. cit., p. 943). Retour au texte

25 Le Nouveau Seigneur du village, op. cit., scène I, p. 3. Retour au texte

26 Ibid., scène II, p. 6. Retour au texte

27 Dans Le Pardon de Ploërmel, le personnage de Corentin entre en scène (acte I, scène 3) avec sa cornemuse et joue un air de danse pour conjurer sa peur des korrigans, lutins légendaires de Bretagne. Retour au texte

28 Dans le premier groupe, on peut citer Thomas Pinkerton, Dissertation on the Tragic Ballad (1781) ; dans le second, les Lyrical Ballads (1798) de Coleridge et Wordsworth, Ballady i romanse (1821) d’Adam Mickiewicz, les Odes et Ballades (3e édition, 1826) de Victor Hugo. Retour au texte

29 Jean-Louis Backès, Le Poème narratif dans l’Europe romantique, Paris, Presses universitaires de France, 2003 ; « Ballade et romance. Questions de terminologie », dans Judith Labarthe et Claudine Le Blanc (dir.), La Ballade, XVIIIe-XXe siècles, op. cit., p. 117-133. Retour au texte

30 Castil-Blaze, « Ballade », Dictionnaire de musique moderne, Paris, Au magasin de musique de la Lyre moderne, 1821, 2 vol., vol. 1, p. 43-44. The Children in the wood est une ballade publiée pour la première fois en Angleterre en 1595. Elle est aussi connue sous le titre The Babes in the Wood. Elle constitue le point de départ de l’opéra de Samuel Arnold (The Children in the wood, 1793) et reste très populaire au début du xixe siècle. Retour au texte

31 « Historically, narration in Classical and Nineteenth-century opera had two traditional and musically dissimilar modes of presentation: recitative and inserted storytelling song, a song in repeated verses usually called a “Ballade”, “Romanze”, “Lied”, or “Canzone”. » Carolyn Abbate, Unsung Voices. Opera and musical narrative in the Nineteenth Century, Princeton, Princeton University Press, 1991, p. 69 ; traduction française : Voix hors-chant. Opéra et récit musical au XIXe siècle, trad. David Fiala, Paris, Van Dieren, 2016, p. 101. Retour au texte

32 Loève-Veimars écrit ainsi : « L’Espagne est peut-être le pays natal de la ballade ». François-Adolphe Loève-Veimars, « Préface », Ballades, légendes et chants populaires de l’Angleterre et de l’Écosse, par Walter-Scott, Thomas Moore, Campbell et les anciens poètes, Paris, Antoine-Augustin Renouard, 1825, p. 4. Retour au texte

33 Dans les Lyrical Ballads (1798), William Wordsworth privilégie des sujets empruntés au quotidien. Sur le projet esthétique des Lyrical Ballads, voir D. Peyrache-Leborgne, « Wordsworth et le genre de la ballade dans les Lyrical Ballads (1798-1800) », dans Judith Labarthe et Claudine Le Blanc (dir.), La ballade, XVIIIe-XXe siècles, op. cit., p. 39-73. Retour au texte

34 On trouve d’autres ballades insérées dans Le Vaisseau fantôme (1843) de Wagner (ballade de Senta), le Faust (1859) de Gounod (Ballade du « Roi de Thulé »), par exemple. Retour au texte

35 La ballade se situe à l’acte I, scène 2 chez Meyerbeer, à l’acte I, scène 5 chez Boieldieu et à l’acte I, scène 7 dans Les Monténégrins. Retour au texte

36 Les Monténégrins, opéra-comique en trois actes, paroles de MM. E. Alboize et Gérard, musique de M. Limnander, Bruxelles, J.-A. Lelong, 1849, acte I, scène 2, p. 10. Retour au texte

37 Les Monténégrins, op. cit., acte I, scène 7, p. 28. Retour au texte

38 La Dame blanche, acte I scène 5. Retour au texte

39 Robert le Diable, acte I, scène 2. Retour au texte

40 Les Monténégrins, op. cit., acte I, scène 7, p. 28. Retour au texte

41 Chaque ballade est précédée d’un appel à l’écoute : Dans Robert le diable : « Écoutons, mes amis ! » ; Dans La Dame blanche : « Chut ! / Écoutons » ; Les Monténégrins : « J’écoute ». Retour au texte

42 Dans La Dame blanche, Georges réagit ainsi : « Grand merci, ma belle enfant ; / Votre conte est charmant. » Dans Robert le Diable, c’est le chœur qui chante, après chaque couplet : « Ah ! le conte est fort bon ; / Comment ne pas en rire ? / C’est un démon / Oui, un vrai démon. » Dans Les Monténégrins, Sergis déclare avant d’avoir entendu Ziska : « Oh ! oui… des vampires qui vous tuent rien qu’en vous regardant, des fantômes qui trainent des chaînes… J’ai été bercé avec ces contes-là. » (Les Monténégrins, op. cit. p. 52) Avoir avoir écouté la ballade, il ajoute « gaiement » : « Bravo ! bravo ! maître Ziska ; c'est magnifique !... mais je n’en crois pas un mot. » (ibid., p. 53) Retour au texte

43 « Narrative song, despite its apparent musical simplicity, thus represents one of opera’s most elaborate points of tension. » (Carolyn Abbate, Unsung voices, op. cit., p. 69. Traduction : Carolyn Abbate, Voix hors-chant, op. cit., p. 101-102). Retour au texte

44 Hector Berlioz, « De l’instrumentation de Robert le Diable », Gazette musicale de Paris, 12 juillet 1835, dans Critique musicale, éd. Yves Gérard, Marie-Hélène Coudroy-Saghaï et Anne Bongrain, Paris, Buchet/Chastel, vol. 2, 1998, p. 211. Retour au texte

45 Sur ce point, nous renvoyons à l’article d’Olivier Bara, « Le fantastique à l’Opéra-Comique au XIXe siècle : une exception révélatrice ? », dans Timothée Picard, Hervé Lacombe (dir.), Opéra et fantastique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, p. 155‑168, [En ligne : http://books.openedition.org/pur/80160]. Retour au texte

Citer cet article

Référence papier

Gaëlle Loisel, « Du recueil à l’opéra : transferts et mutations de la ballade », Revue d'études culturelles, 11 | 2024, 113-130.

Référence électronique

Gaëlle Loisel, « Du recueil à l’opéra : transferts et mutations de la ballade », Revue d'études culturelles [En ligne], 11 | 2024, publié le 16 octobre 2025 et consulté le 11 décembre 2025. Droits d'auteur : Le texte seul, hors citations, est utilisable sous Licence CC BY 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont susceptibles d’être soumis à des autorisations d’usage spécifiques.. DOI : 10.58335/rec.176. URL : https://preo.ube.fr/rec/index.php?id=176

Auteur

Gaëlle Loisel

CELIS (UR 4280), Université Clermont Auvergne, France

Gaëlle Loisel est maîtresse de conférences en littératures comparées à l’Université Clermont Auvergne et membre du CELIS. Ses recherches portent sur l’histoire et les théories esthétiques des romantismes européens et sur les rapports entre littérature et musique. Elle est l’autrice de La Musique au défi du drame (Classiques Garnier, 2016) et a codirigé plusieurs ouvrages : Les Comédies de Shakespeare à l’opéra (Presses de l’Université de Saint-Étienne, 2017), Traduction et transmédialité (Lettres modernes Minard, 2021). Elle prépare actuellement un volume collectif consacré à Shakespeare et la danse (à paraître à Sorbonne Université Presses).

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