Iconomorphoses : appropriation, éthique et partage. Introduction

  • Iconomorphoses: Appropriation, Ethics and Sharing. Introduction

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Ce que le numérique (a) fait aux images : les images face aux enjeux de l’hybridité numérique

Le virage numérique a durablement affecté les images et les relations que nous entretenons avec elles, nos dépendances envers elles, nos velléités créatrices. Dématérialisées (ou présentées comme telles), ces images s’offrent ainsi au partage illimité : leur reproductibilité est parfois même virale, leurs traces sur les réseaux semblent ineffaçables. Elles sont à n’en pas douter un symptôme du bouleversement actuel dans les codes sociaux, dans les pratiques artistiques et dans les postures de réception. Si le numérique instaure de nouveaux modes de lecture des sources et de nouvelles pratiques regardantes, quelles interfaces et quelle interactivité reste-t-il pour la rencontre image / spectateur ? Les pratiques artistiques, muséales, entrepreneuriales et conversationnelles sont remises en question(nement) par ces technologies de partage d’image, et différents canaux sont affectés : diffusion, création, conservation, accessibilité…

Ce volume est issu du colloque international organisé à l’Université de Bourgogne par l’équipe Image et Critique du laboratoire TIL Centre Interlangues les 16 et 17 mars 2023. Il a pour objet d’interroger ces iconomorphoses, cette nouvelle relation aux images telles qu’elles sont définies par les pratiques techniques et matérielles contemporaines. Les neuf articles de ce numéro questionnent les intentions des artistes, auteurs et opérateurs de la numérisation, tout en réfléchissant aux postures de réception des spectateurs, aux contraintes des nouveaux supports, aux nouveaux modes d’appropriation, de partage et de travail plus collaboratif, et aux possibilités nouvelles de lecture et de regard.

Ce sont les réflexions de Sinéad Morrissey, poétesse nord-irlandaise contemporaine, qui inaugurent le volume. Dans ce texte inédit par sa nature et son format, à la croisée des visual et des cultural studies et mêlant analyses critiques et lecture poétique, Sinéad Morrissey nous invite à questionner la vérité des images. Qu’elles soient en noir et blanc comme les photographies des taudis de Belfast d’Alexander R. Hogg ou en couleurs comme celles de la Russie tsariste de Sergei Prokúdin-Gorsky, un processus de falsification de la réalité semble systématiquement à l’œuvre. La photographie, comme un langage et comme la lentille d’un appareil photographique, capture et « corrige » la réalité pour la rendre intelligible mais pas forcément plus authentique.

C’est précisément cette poétique de la trace qui se poursuit dans l’article d’Ali Hatapçi (« From the page to the web: a survey of digital illustration archives »). Partant du constat qu’au cours des dix dernières années, un nombre sans précédent d’ouvrages, de périodiques et de journaux a numérisé et rendu disponible en ligne des illustrations, permettant ainsi la création d’archives visuelles numériques, l’article souhaite en proposer une cartographie ainsi qu’un panorama critique, en se concentrant sur une série de projets entrepris depuis le début des années 2000.

L’article « Des images en partage dans le métro toulousain. Œuvres numériques et espace public » de Michèle Ginoulhiac explore les propositions artistiques de deux éminentes figures de l’art contemporain français, Sophie Calle et Pierrick Sorin. Aux stations Jeanne d’Arc et Trois Cocus de la capitale occitane, les œuvres numériques s’offrent à un dialogue avec les voyageurs. Ces spectateurs de passage sont invités à participer d’un sensible artistique en contribuant à la co-construction des images voire en les habitant. L’article analyse la réception, les fonctions et les usages de ces images « fluides » et furtives.

Une réflexion sur le furtif parcourt également l’article « Poétiques affectives des images » de María Jesús Armesto Martínez, dans lequel elle interroge ce que les réseaux sociaux, les nouveaux outils d’édition et les systèmes algorithmiques font à l’art. Qu’en est-il des pratiques artistiques à l’ère de l’e-image ? Quand les algorithmes se mettent à l’art, il est des artistes qui tentent d’altérer les nouveaux cadres d’organisation des opérations qui régissent nos vies. Ces propositions artistiques dépositaires de « poétiques affectives » redonnent corps et affects au raz de marée des données partagées.

Au royaume des algorithmes, l’essor des réseaux sociaux est notamment accompagné par la pratique des mèmes. Dans l’article qu’elle consacre à ce phénomène relativement récent, Justine Simon montre que les auteurs et autrices de mèmes « faits maison » détournent astucieusement leurs modèles de manière à faire « communauté » avec ceux qui les reçoivent. Elle explique aussi comment leur créativité vise avant tout la sociabilité et une forme de patrimonialisation de certaines images.

L’étude d’Ana Isabel Galván de las Bayonas ("No Man's Eye? Prácticas artísticas hacia una mirada no antropocéntrica") interroge quant à elle l’impact qu’ont les nouveaux dispositifs comme les drones, les satellites ou l'intelligence artificielle sur la création d’images. Sa réflexion porte notamment sur la manière dont ces technologies, qui font parfois abstraction de l’intervention humaine, remettent en question l’anthropocentrisme visuel traditionnel et permettent l’émergence d’une vision non hiérarchique et écologique de l’altérité.

Dans son article « Le sous-titrage dans l’écologie des données numériques », Gabriele Stera s’appuie pour sa part sur l’histoire des techniques de sous-titrages pour montrer comment la fonction et la valeur des sous-titres ont considérablement évolué au point d’être considérés aujourd’hui comme des métadonnées de l’audiovisuel et devenir des outils d’indexation ; ou de servir de matériau pour une création artistique et participer ainsi de l’incessante reconfiguration de l’écologie des médias.

Cette constante reconfiguration est au cœur de l’article de Clémence Rougeot, consacré à la technologie de la réalité augmentée et qui adopte une perspective pédagogique. L’auteure étudie en effet tour à tour le rôle des illustrations pour soutenir les apprentissages, ainsi que le potentiel de cette technologie pour accroître la motivation et lisser les disparités de réussite entre les élèves. Sa réflexion s’appuie notamment sur le projet Foxar comme exemple d’application concrète des données issues de la recherche en psychologie cognitive des apprentissages.

Un entretien avec un artiste clôt ce volume afin de mettre en lumière une démarche fondée sur une certaine forme de recyclage des images. Le plasticien Dylan Caruso pratique la photographie en utilisant des sécrétions telles que le sang et le sperme, ainsi que des images préexistantes. Son travail artisanal sur ces matériaux engendre des œuvres dont l’interprétation reste volontairement ouverte. Elle est néanmoins tributaire de la charge symbolique liée à leur matérialité et à leur contexte original de production, qu’il s’agisse de conflit armé ou d’art religieux. La manière dont il envisage la plasticité dans son travail nous incite à penser que cet aspect « morphique » des images est le propre de l’iconomorphose, que le support soit numérique, analogique ou biologique. Les réappropriations dont il est question ici et dans les articles de ce volume dessinent donc une poétique de la plasticité des images qui déstabilise les contenus sémantiques, rend le sens plus fluide et parfois plus difficile à appréhender.

References

Electronic reference

Candice Lemaire, Laureano Montero, Judite Rodrigues-Balbuena, Christelle Serée-Chaussinand and Sophie Stokes-Aymes, « Iconomorphoses : appropriation, éthique et partage. Introduction », Textes et contextes [Online], 19-2 | 2024, . Copyright : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.ube.fr/textesetcontextes/index.php?id=5077

Authors

Candice Lemaire

Maître de conférences, Laboratoire TIL Centre Interlangues (UR 4182), Université de Bourgogne, 4 boulevard Gabriel, 21000 Dijon

candice.lemaire@u-bourgogne.fr

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Laureano Montero

Maître de conférences, Laboratoire TIL Centre Interlangues (UR 4182), Université de Bourgogne, 4 boulevard Gabriel, 21000 Dijon

laureano.montero@u-bourgogne.fr

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Judite Rodrigues-Balbuena

Maître de conférences, Laboratoire TIL Centre Interlangues (UR 4182), Université de Bourgogne, 4 boulevard Gabriel, 21000 Dijon

judite.rodrigues-balbuena@u-bourgogne.fr

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Christelle Serée-Chaussinand

Maître de conférences, Laboratoire TIL Centre Interlangues (UR 4182), Université de Bourgogne, 4 boulevard Gabriel, 21000 Dijon

christelle.seree-chaussinand@u-bourgogne.fr

christelle.seree-chaussinand@u-bourgogne.fr

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Sophie Stokes-Aymes

Maître de conférences, Laboratoire TIL Centre Interlangues (UR 4182), Université de Bourgogne, 4 boulevard Gabriel, 21000 Dijon

sophie.stokes@univ-poitiers.fr

sophie.stokes@univ-poitiers.fr

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