Introduction
Les finances publiques sont à l’origine du parlementarisme britannique (Leroy 2007 : 54). La Grande Charte de 1215 posa le principe d’un consentement à l’impôt par les représentants du peuple, principe appliqué à l’issue de la Révolution Glorieuse de 1689, au profit du Parlement anglais. En 1707, celui-ci fusionna avec le Parlement écossais dans le cadre d’un traité négocié.
C’est un impôt qui contribua à la (re)création d’un Parlement écossais au sein du Royaume-Uni. Les Écossais, en désaccord avec les politiques néolibérales de Margaret Thatcher, Premier ministre conservateur, axées sur le désengagement de l’État, votaient travailliste dans des proportions croissantes. Ils se révoltèrent contre la poll tax, impôt local par capitation, entrée en vigueur en 1989, à la demande du Parti conservateur en Écosse (Butler / Adonis / Travers, 1994 : 62). Des groupes locaux de résistance se formèrent (Dickie 1992), certains appelant à enfreindre une loi inique, avec le soutien de la tendance Militant (trotskyste) du Parti travailliste et du Scottish National Party (SNP). En 1988, des élites écossaises rédigèrent un Claim of Right, selon une tradition d’opposition à l’arbitraire du pouvoir exécutif au nom du peuple. Au-delà de cet impôt, le texte proposait une Convention constitutionnelle afin de concevoir un projet de dévolution du pouvoir (Edwards 1989 : 8.3). En 1995, cette Convention, composée d’élus travaillistes, libéraux-démocrates et de représentants de la société civile, publia un rapport (SCC, 1995), fondement du Livre blanc soumis à référendum le 11 septembre 1997 par le gouvernement travailliste. Une loi britannique (Scotland Act) conféra en 1998 une base juridique au Parlement et au gouvernement écossais instaurés en 1999. Ceux-ci ont la maîtrise de domaines entiers de compétences, sans tutelle politique des autorités britanniques.
L’impôt demeura au cœur des préoccupations, le Scotland Act étant complété par des lois éponymes en 2012 et en 2016, à l’issue d’autres réflexions pluripartites, menées par les Travaillistes, les Conservateurs et les Libéraux-Démocrates en 2009 (Commission Calman), auxquels s’ajoutèrent le Scottish National Party (SNP) et les Scottish Greens (Verts) à la fin de l’année 2014 (Commission Smith). Il s’agissait notamment d’accroître les ressources propres du Parlement écossais, condition de l’autonomie de l’Écosse dans l’État d’Union que constitue le Royaume-Uni (Heald 1980 ; Heald / Geaughan 1986 ; Midwinter 2002).
Par ailleurs, la dévolution devrait permettre de faire de la politique autrement, en se démarquant du « modèle de Westminster » (Duclos 2008 : 113), dans lequel le gouvernement est formé par le parti majoritaire en sièges, à partir d’une majorité relative de suffrages (Russell / Serban 2021 : 320). Le mode de scrutin retenu associe scrutin uninominal, en vigueur à la Chambre des Communes, et scrutin proportionnel de liste utilisé pour désigner un tiers des 129 députés au Parlement écossais de Holyrood. La Convention constitutionnelle souhaitait éviter la domination d’un parti, et d’un profil de députés (masculin)1. Il s’agissait d’inciter des élus plus divers2 à coopérer, en particulier autour du projet de loi de finances, seul texte qui doit être voté chaque année pour assurer le fonctionnement des organismes publics.
Entre 1999 et 2007, l’Écosse fut gouvernée au centre gauche par une coalition entre Travaillistes et Libéraux-démocrates. Le SNP accéda alors au pouvoir et est parvenu à s’y maintenir, son programme socio-économique le situant au centre de gravité de la vie politique. À la tête d’un gouvernement majoritaire entre 2011 et 2016, il obtint du gouvernement britannique un référendum sur l’indépendance de l’Écosse, en septembre 2014. Cette issue, rejetée par 55% des électeurs, polarisa la vie politique et modifia les alliances envisageables à Holyrood.
Cet article, fondé sur l’analyse des débats budgétaires en dernière lecture au Parlement écossais, sur une période de 25 ans, entre 1999 et le printemps 2024, a pour objectif de contribuer à l’étude des principes fondateurs de la dévolution, lors du seul vote déterminant de chaque session parlementaire. Après avoir analysé les modalités de prise de décisions, les volets dépenses et recettes seront distingués, afin de montrer comment le Parlement et le gouvernement écossais tentent de s’affranchir du modèle de Westminster.
1. Le budget écossais, résultat d’une autre façon de gouverner ?
Les élus écossais ont cherché à mettre en place un mode de fonctionnement plus coopératif qu’à Westminster, quant à la procédure qu’ils ont façonnée, mais aussi dans leur pratique.
1.1. Une procédure ouverte mais contrainte
Afin de se différencier du modèle de Westminster, la Convention constitutionnelle préconisait la mise en place d’une procédure budgétaire accessible, ouverte, dans laquelle les élus seraient responsables de leurs décisions (SCC, 1995). En 1998, le Comité de pilotage envisageait trois étapes, chacune suscitant des débats (SO, 1998 : annexe 1) : la publication des priorités de l’exécutif (avril-juin), du projet de budget (décembre) et l’examen détaillé de ce dernier (janvier-février). La commission parlementaire des Finances aurait un rôle central dans un parlement monocaméral (SO, 1998 : 81-82).
Cette procédure n’était pas respectée : c’est à partir du projet déposé par l’exécutif que s’engageait la discussion, tandis que les échanges susceptibles d’entraîner des amendements avaient davantage lieu entre partis politiques (dans un cadre bilatéral) qu’en commission (Burnside 2018).
Par conséquent, en 2018, la commission des Finances fit adopter une révision : le gouvernement écossais (dénomination de l’exécutif depuis 2007) publie une stratégie sur le moyen terme en mai, à l’issue de la déclaration de printemps (britannique), un rapport d’étape en septembre, avant de déposer son projet de loi en décembre, à la suite de la diffusion du budget d’automne britannique. La commission des Finances, après avoir fait valoir ses priorités dans un rapport pré-budgétaire, peut amender le projet de loi en janvier et février. Le gouvernement écossais devra endosser chaque amendement, ou justifier son refus. L’examen parlementaire dure entre 20 et 30 jours. En l’absence de majorité, ou en cas de rejet de la résolution relative à l’impôt sur le revenu, le gouvernement peut représenter son projet (McFadden / Lazarowicz 2003 : 59).
De plus, le champ d’action de cette commission, élargi en 2016 à des affaires constitutionnelles qui avaient pris de l’ampleur avec les référendums sur l’indépendance (2014) et sur le Brexit (2016), a été recentré sur les questions financières. En 2018, ces questions furent également retirées au ministre des Finances (érigé au rang de Cabinet Secretary en 2007).
Par ailleurs, l’État central conserve un rôle majeur. Il finance intégralement la part écossaise des domaines qui lui sont réservés, par des dépenses identifiables (notamment la majeure partie de la protection sociale) ou non identifiables (comme la défense, Duclos 2006 : 124). Il contribue également au financement des domaines dévolus, grâce à sa dotation annuelle. Celle-ci, qui représentait la quasi-totalité du budget écossais en 1999, en constitue plus de la moitié avec le Scotland Act de 20163. Elle est déterminée en partie par la formule Barnett, déjà en vigueur pour les domaines gérés par le ministère chargé de l’Écosse au sein du gouvernement britannique (Scottish Office)4. Dès l’origine, les dépenses publiques par habitant étaient supérieures, en raison des besoins. La formule régule leur progression : lorsqu’un ministère britannique augmente son budget pour l’Angleterre, dans un domaine dévolu à l’Écosse, celle-ci reçoit une proportion fixe de la hausse, fondée sur sa part dans la population britannique et sur la proportion du domaine qui lui revient5 (Barnett consequentials). Les autorités écossaises ont toute latitude pour répartir cette somme entre leurs domaines de compétence.
Cette formule, conçue pour entraîner une érosion de l’avantage écossais (Barnett squeeze), n’a pas produit les effets escomptés, dans un contexte de moindre progression des dépenses publiques et de chute de la population écossaise (Heald 2020 : 523). Absente des Scotland Act, elle pourrait être modifiée. Mais le SNP, qui était son principal détracteur, veille à préserver ce droit acquis. Pourtant, les besoins de l’Écosse sont en-deçà de ceux du pays de Galles et d’Irlande du Nord (qui bénéficient de répartitions moins avantageuses), et du nord de l’Angleterre (qui n’est pas concerné par la formule) (Holtham Commission 2010).
En 2016, les gouvernements britannique et écossais convinrent d’un cadre encadrant l’évolution de la dotation en fonction des nouvelles recettes fiscales en Écosse. En application du principe de l’absence de préjudice à l’autre partie (Smith Commission 2014 : 95-3), la réduction progressive de la part de la population écossaise dans la population britannique est prise en compte6. Cet accord a été pérennisé à l’été 2023, sans contrôle des parlementaires (SP 2023e).
Toutefois, si cette dotation ne doit pas être négociée, elle dépend du calendrier budgétaire britannique qui débute au 1er avril, et distingue recettes et dépenses (De Bellescize 2019 : chapitre 1 ; Seely 2023 ; Musala 2024). Tout décalage ponctuel de la publication du budget britannique impose des ajustements des projets écossais. En 2016, le Chancelier de l’Échiquier annonça le report de la diffusion du texte principal (« budget », contenant les recettes), du printemps à l’automne, afin d’améliorer le contrôle. Mais cette règle n’a pas été respectée, en raison des élections à la Chambre des Communes de 2019 et 2024, de la pandémie de Covid et de la succession rapide de premiers ministres. Au cours de cette période, des annonces importantes ont été effectuées au mois de mars, après l’adoption du budget écossais.
Enfin, le gouvernement britannique a profité du Brexit (rejeté par les Écossais lors du référendum de 2016) pour recentraliser le pouvoir avec l’Internal Market Act de 2020 qui vise à consolider un marché unique britannique7. Il peut répartir son Shared Prosperity fund, créé en remplacement des fonds structurels européens (devant s’éteindre à la fin de 2025, SP 2024f), entre les collectivités territoriales, sans consulter le gouvernement écossais (SP 2022e, 2023a).
Dans ce contexte, le gouvernement écossais conserve une perspective annuelle, ce que déplorent la commission des Finances (SP, Finance Committee 2024 : 203) et les Verts (SP 2024g).
1.2. Des équilibres politiques à géométrie variable
Le budget doit être voté à l’équilibre, avant le 1er avril, sans possibilité de reconduction provisoire du budget antérieur ni de dissolution par le First Minister ; des différends persistants ne pourraient se régler que par la démission de ce dernier ou par une dissolution à la majorité qualifiée des députés. Dans un Parlement écossais de minorités, les élus ont évité toute paralysie. Les gouvernements ont noué un dialogue multipartite, donnant plus de pouvoir aux parlementaires (Himsworth 2009 : 59), prévoyant même une somme (reliquat de dotation, ou recours à la réserve8), afin de répondre à leurs requêtes. Elle apparaît en dernière lecture, au mépris de la transparence exigée. Les partis d’opposition ont permis l’adoption de tous les budgets. Les rares amendements présentés en dernière lecture étaient destinés à mettre en avant les priorités du principal parti d’opposition9. Aucun budget alternatif n’a été élaboré.
En 1999, le Parti travailliste, qui ne disposait que d’une majorité relative, forma une coalition avec les Libéraux-démocrates, fondée sur un accord, reconduit à l’issue des élections de 2003 (tableau 1). Les leaders, Donald Dewar (puis Jack McConnell) et James Wallace (puis Nicol Stephen), mirent en avant la confiance mutuelle et la responsabilité collective des ministres. S’agissant du budget, aucun de leurs députés ne devait approuver de disposition autre que celle adoptée par l’exécutif (SL/SLD 2003 : 51). Les accords contenaient quelques engagements de dépenses (études supérieures) et de recettes (limitation des hausses d’impôts).
En 2007, le SNP a accédé au pouvoir, avec un seul député de plus que les Travaillistes (tableau 1). Alex Salmond comprit d’emblée l’importance du budget, piloté par John Swinney, son ministre des Finances. Son positionnement (hausse de dépenses publiques et baisse de l’impôt sur le modèle irlandais) facilita le rapprochement avec les Conservateurs d’Annabel Goldie, désireux de retrouver un rôle constructif et de faire oublier la poll tax. Ils votèrent chaque budget de la législature, à l’issue de tractations menées par leur député Derek Brownlee (Convery 2016 : 111). De plus, Bruce Crawford, ministre chargé des relations avec le Parlement, prêta attention aux requêtes des autres groupes (McAngus 2019 : 145), s’assurant ainsi de leur approbation ou leur abstention. En 2009, le projet de loi, repoussé de justesse en dernière lecture, fut représenté par Swinney qui avait intégré des modifications souhaitées par l’opposition, et voté par tous les partis, à l’exception des Verts (tableau 2).
Les élections de 2011 changèrent la donne, le SNP disposant d’une majorité absolue et disciplinée. Même si John Swinney poursuivit le dialogue avec l’opposition sur des sujets peu médiatiques comme le reconnaît le député Jackson Carlaw (cité par Stewart 2019 : 119), son parti (conservateur) était devenu un adversaire, en raison des politiques (britanniques) d’austérité et de son rejet de l’indépendance.
Entre 2016 et 2024, le SNP était à la tête de gouvernements minoritaires. Les Conservateurs et les Travaillistes se sont opposés aux budgets, les premiers (principale formation d’opposition) fustigeant les sommes consacrées à la préparation d’un hypothétique deuxième référendum d’autodétermination, tandis que les seconds se voulaient plus progressistes. Les deux partis firent une exception en 2022-2023, dans le contexte de crise économique alimentée par l’inflation. Les Libéraux-démocrates (peu nombreux) ont joué un rôle d’appoint, moyennant des concessions (SP 2018b), afin d’éviter les crises politiques (2018 et 2021).
C’est auprès des écologistes, également indépendantistes, que le SNP a trouvé un soutien régulier, mais jamais inconditionnel. Ces députés, dont le nombre était en progression (tableau 1), autrefois relégués au rôle de groupe de pression pour faire émerger des enjeux, ont influé sur le contenu des politiques (Ross Greer cité par Stewart 2019 : 132). En août 2021, ce soutien informel se transforma en partenariat entre Nicola Sturgeon et leurs co-leaders Patrick Harvie et Lorna Slater, prévoyant une collaboration budgétaire étroite et respectueuse (SG/SGP 2021 : 37), assortie d’engagements en matière de dépenses (transition énergétique) ou de recettes (fiscalité progressiste). Après avoir reconduit cet accord en 2023, Humza Yousaf y mit un terme brutalement en avril 2024, ce qui entraîna sa chute.
Par ailleurs, ces coopérations n’ont pas desservi les partis concernés jusqu’en 2024. Les groupes ont conservé leur discipline, avec de rares exceptions, limitées à un député (conservateur en 2004, travailliste en 2008), à un vote (Libéraux-démocrates, 2018). Les députés SNP devenus indépendants sont restés alignés sur leur ancien parti, tels Margo McDonald jusqu’à son décès en 2014, John Finnie et Jean Urquhart entre 2012 et 2016, ou même Ash Regan, qui en 2023 s’est tournée vers Alba, nouveau parti de Salmond. Cependant, le désaccord a pu se traduire par la non-participation au vote (2006, tableau 2).
Quant à leurs résultats électoraux, lors des élections de 2007 au Parlement écossais, les Libéraux-démocrates conservèrent le même nombre de sièges (tableau 1). Leur régression ultérieure est imputable à la coalition, nouée sur le plan britannique avec les Conservateurs, perçue comme une trahison notamment pour les droits universitaires. Le nombre de suffrages des Verts a été multiplié par trois entre les élections à la Chambre des Communes de 2019 et 2024 (même s’ils n’avaient aucune chance d’obtenir un élu). Les Conservateurs ont progressé à partir de 2016.
La coopération entre partis se manifeste notamment au sujet des dépenses.
2. Une conception écossaise de la dépense publique ?
La répartition des dépenses publiques constitue la principale compétence financière du Parlement écossais, à la différence du Parlement de Westminster qui maîtrise également la totalité des recettes. Sa mise en œuvre résulte de demandes concurrentielles.
2.1. Un Parlement axé sur les dépenses
Le budget écossais est passé de 16 milliards à 55 milliards de livres entre 2000 et 2024. Il est centré sur les dépenses (48 milliards pour les dépenses courantes, le reste pour l’investissement) et repose largement sur la dotation britannique (37 milliards en 2024, SFC 2023b). Après une première décennie caractérisée par une hausse des dépenses publiques sous les gouvernements britanniques travaillistes, les Conservateurs privilégièrent l’austérité en réponse à la crise économique et financière, avant de devoir gérer les conséquences de la pandémie, du Brexit et de l’inflation. Ces évolutions se répercutèrent sur la dotation écossaise, imposant des arbitrages.
Or, le Parlement écossais avait été conçu comme un moyen d’adapter les services publics aux besoins des usagers. Il s’agissait de restaurer leur gestion par la puissance publique10. Ainsi, la première coalition supprima le marché interne au service public de santé, ainsi que la possibilité pour les écoles publiques de s’affranchir de la tutelle des collectivités territoriales. Le gouvernement SNP abolit le droit de rachat des logements HLM.
Il s’agissait également de faciliter l’accès, en développant la gratuité pour l’usager. Sous la première coalition, cela concerna les frais d’inscription (plafonnés) à l’Université (exigence des Libéraux-démocrates), ainsi que les soins personnels et des trajets en bus pour personnes âgées (initiative travailliste). Les gouvernements SNP abolirent les frais universitaires qui subissaient une envolée en Angleterre sous le gouvernement Cameron (en dépit de la présence des Libéraux-démocrates). Ils procédèrent par étapes pour la prise en charge des repas scolaires (extension des niveaux scolaires), du ticket modérateur sur les médicaments (réduction puis suppression), deux requêtes du SSP avant 2007, mais aussi pour la garde des enfants (progression du nombre d’heures) et pour les trajets en bus des jeunes (exigée par les Verts).
Cette gratuité est présentée comme un moyen d’atteindre des objectifs politiques, eux-mêmes évolutifs : croissance économique, justice sociale, changement climatique. Cela relève d’un « contrat social » propre à l’Écosse (SP 2008a), porteur de valeurs (Shona Robison, ministre des Finances, SP 2023f), associées à la protection des droits de l’homme par des élus désireux de se conformer aux conventions du Conseil de l’Europe et de l’ONU, autre ligne de fracture avec les gouvernements britanniques11. Les Conservateurs, souvent en marge de ce consensus, peinent à s’en désolidariser, au risque de conforter leur image anglaise.
Ces principes sont soutenus par la société civile, consultée à chaque étape. Le budget est analysé sous l’angle de ses effets pour les femmes (Scottish Women Budgeting Group, SWBG, constitué dès 2000, O’Hagan 2024 : 80) et pour les enfants (Scottish Youth Parliament).
Dans le contexte de difficultés financières, le bilan est mitigé (Camp-Pietrain 2024 : 179). En dépit de structures publiques, l’accès aux soins est freiné par de longues listes d’attente, ce qui a un impact sur la santé publique et sur le taux de mortalité. Le système scolaire public ne contribue que modestement à réduire les inégalités sociales (mesurées par le niveau atteint lors des examens terminaux par les élèves en fonction de leurs quartiers d’origine), d’autant que les voies non universitaires sont mal financées. Les compensations de la gratuité consenties aux organismes publics ne sont pas suffisantes, ce qui peut conduire à des contingentements (places à l’université, repas scolaires). Pourtant, l’opposition et les groupes de pression, loin de remettre en cause les principes, fustigent leur mise en œuvre par les ministres SNP.
Au-delà des principes, le budget résulte de l’agrégation de demandes partisanes.
2.2. Le budget, produit de demandes concurrentielles
L’adoption du budget nécessite l’assentiment de plusieurs partis. Chacun soumet des exigences répondant aux besoins du moment et à ses choix idéologiques. Si les tractations ont lieu en coulisses, leur résultat est rendu public lors du vote final par le ministre des Finances.
Les débuts du Parlement écossais furent consensuels, les députés évoquant leur fierté et leur action au nom du peuple. Lors de la première session (1999-2003), le SNP voulait optimiser les pouvoirs du Parlement écossais, tandis que les Conservateurs restaient sceptiques quant à ses capacités d’action (tableau 2). Pour autant, ils approuvèrent la plupart des budgets. Cette bienveillance perdura lors de la deuxième session (2003-2007), tandis que les députés des petits partis, en nombre croissant, étaient moins prévisibles et plus revendicatifs (questions environnementales pour les Verts, sociales pour le SSP, tableau 2).
L’arrivée au pouvoir du SNP, parti indépendantiste, changea la donne. Au cours de la troisième session (2007-2011), Swinney trouva un soutien constant auprès des Conservateurs (tableau 2), qui se prévalurent de la responsabilité de leur parti (SP 2009a, 2010a) et de concessions concrètes : hausses de dépenses (police, prise en charge des toxicomanes, régénération des centres villes), surveillance de la dépense publique et modération de la fiscalité locale. Cela leur attira l’opprobre de leurs adversaires. Les Travaillistes cherchèrent (sans succès) à conserver un rôle dominant, grâce à des amendements, modifiant même en hâte leur vote en 2009 pour éviter une crise politique. Les Libéraux-démocrates se voulaient responsables de l’usage des deniers publics, de la défense de la ruralité et des îles. Les Verts adaptèrent leur comportement à leurs priorités environnementales. Cependant, en 2010, la diminution de la dotation obligea à sélectionner des priorités, à l’approche des élections à la Chambre des Communes ; les Travaillistes fustigèrent le renoncement au chemin de fer vers l’aéroport de Glasgow.
Le référendum d’autodétermination de 2014 créa une fracture. En dépit de sa majorité absolue (2011-2016), Swinney resta à l’écoute (tableau 2). Or, ses budgets furent approuvés par les Libéraux-démocrates jusqu’au scrutin, mais rejetés par les Conservateurs et les Travaillistes qui marquaient leur unionisme. Néanmoins, ceux-ci s’indignèrent de la baisse de l’allocation logement britannique en cas de chambre inoccupée (bedroom tax).
La fracture s’accentua au cours de la cinquième session (2016-2021), alors que les débats s’enrichissaient grâce aux nouveaux pouvoirs dévolus. Swinney puis Derek MacKay (2016-2018) et Kate Forbes (2018-2023) firent voter leurs budgets grâce aux Verts, indépendantistes, « achetés », selon leurs adversaires, en échange de concessions sociales et environnementales. Les partis britanniques fustigèrent les insuffisances, qu’il s’agisse de croissance économique (Conservateurs) ou de redistribution d’argent public (Travaillistes). Les Libéraux-démocrates, pragmatiques, votaient selon leurs priorités sociales et géographiques (îles).
La sixième session, débutée en 2021, a conforté ces clivages jusqu’au printemps 2024, tandis que les tensions économiques s’aggravaient. Les Verts, détenteurs de deux postes ministériels, ont voté tous les budgets (tableau 2), apprenant à composer (SP 2024c). L’opposition a axé sa critique sur le bilan d’un parti usé par le pouvoir, jugé incompétent (Travaillistes et Libéraux-démocrates), piètre gestionnaire (Conservateurs), en s’appuyant sur le rapport de la Scottish Fiscal Commission (SFC) sur la soutenabilité financière (SP 2024b). Elle a fustigé les réductions de dotation aux collectivités territoriales, qui gèrent nombre de services publics, notamment l’éducation ou les urgences sociales. Elle a dénoncé les difficultés d’accès aux soins.
Dans ce contexte, il est parfois difficile de faire avancer des priorités indiscutables, comme la pauvreté infantile, par des arbitrages consensuels. Les députés ont voté à l’unanimité des lois fixant des objectifs chiffrés de réduction (2017) et instaurant une Sécurité sociale écossaise pour administrer les allocations dévolues (2018). Ils ont créé des allocations pour enfants plus généreuses que les allocations britanniques, s’agissant du montant ou de l’absence de plafonnement à deux enfants (à la différence du supplément familial de l’universal credit). Le Scottish Child Payment a contribué à la baisse du taux de pauvreté infantile en Écosse par rapport au Royaume-Uni (écart de six points en 2023 selon la Joseph Rowntree Foundation). Il est plébiscité par les groupes de pression travaillant avec des enfants (SWBG 2022).
Cependant, les Conservateurs ont contesté la progression exponentielle des coûts, liée autant aux sommes versées (le gouvernement écossais incitant les Écossais à réclamer ces allocations) qu’aux frais d’administration. Les Libéraux-démocrates ont fustigé les restrictions pesant sur le logement abordable, ou certains secteurs de la santé (mentale), affectant les enfants. Les Travaillistes ont dénoncé l’insuffisance du Scottish Child Payment et les diminutions des fonds pour les urgences sociales (SP 2020b). Mais ils ont renoncé à réclamer la levée des restrictions à deux enfants de l’universal credit en 2023, préférant s’aligner sur la position de leur leader britannique qui semblait en mesure d’emporter les élections.
L’impôt a suscité des débats encore plus passionnés.
3. Une conception écossaise de l’impôt ?
L’impôt conditionne les possibilités d’actions, mais aussi l’autonomie de l’Écosse au sein du Royaume-Uni. Si les principes sont consensuels, la pratique est source de divisions.
3.1. Recherche de principes consensuels
La Convention constitutionnelle envisageait un Parlement, doté d’un pouvoir fiscal minimal (modulation de trois points du taux de base de l’impôt britannique sur le revenu), résultat d’un compromis entre Travaillistes centralisateurs et Libéraux-Démocrates fédéralistes12. Contre la volonté de la Convention, Tony Blair décida d’organiser un référendum préalable au vote de la loi, et de distinguer la question fiscale. Les Conservateurs axèrent leur campagne sur cette « tartan tax », estimant qu’elle serait plus élevée que l’impôt anglais, afin de financer des politiques dispendieuses. Ainsi, 74,3% des électeurs se prononcèrent pour la création d’un Parlement, mais seuls 63,5% acceptèrent de lui confier des pouvoirs fiscaux.
Les controverses se poursuivirent dès les premières élections de 1999. Alors que le gouvernement britannique envisageait une baisse modeste, le SNP, tout comme les Libéraux-démocrates, promirent de ne pas l’appliquer, afin de financer les services publics (penny for Scotland). La proposition, fustigée par les Conservateurs, fut ensuite abandonnée. Dans leurs accords de partenariat, Travaillistes et Libéraux-Démocrates excluaient de faire usage de la modulation. En 2007, Alex Salmond se dispensa de financer la mise à jour de la liste des contribuables écossais (Scotland Act 1998, annexe 5, 3e partie).
Cependant, les élus écossais n’étaient pas responsables du financement des politiques dont ils se prévalaient. La percée électorale du SNP incita les partis britanniques à remédier à cette lacune. La Commission Calman proposa d’abaisser les trois taux britanniques de l’impôt sur le revenu de 10 points (interdisant l’inaction), et de décentraliser deux impôts mineurs, sur les mutations foncières et l’enfouissement des déchets (Calman, 2009 : 3-E). Le Scotland Act de 2012 donna force de loi à la réforme. En 2014, chaque parti unioniste publia un projet dans l’hypothèse d’un rejet de l’indépendance (SC 2014 ; SL 2014 ; SLD 2012). Cela fournit une base pour la réflexion menée par la Commission Smith à l’issue du scrutin avec les indépendantistes, débouchant sur la dévolution de l’impôt sur le revenu (à l’exception de la définition du revenu taxable et des abattements) et de deux impôts mineurs (taxes sur les passagers aériens et sur les carrières) (Smith Commission 2014 : pillar 3). Ce projet, moins ambitieux que celui du SNP (autonomie fiscale) mais plus avancé que celui des Travaillistes (baisse des taux d’impôt sur le revenu), fut rapidement entériné par le Scotland Act de 2016.
Les cinq partis conservèrent cet esprit consensuel pour la mise en place de ces compétences.
À partir de 2012, le gouvernement SNP s’engagea à respecter les principes définis en 1776 par le philosophe écossais Adam Smith (Smith 1991 : 456 ; SG 2017) : certitude pour le contribuable, commodité (minimiser les contraintes de paiement), efficacité (coûts d’administration), proportionnalité à la capacité de paiement, mais aussi renforcement de la lutte contre la fraude et l’évasion. Enfin, il promettait de larges consultations.
En 2014, le gouvernement Salmond fit voter une loi portant création d’une administration fiscale, Revenue Scotland, chargée des impôts entièrement dévolus à partir de 2015, et du remboursement à l’administration britannique HMRC des frais de collecte de l’impôt sur le revenu. Régie par une charte, elle serait tenue de rendre des comptes au Parlement écossais. Les différends avec les contribuables seraient tranchés par un nouveau tribunal. Swinney se réjouit du vote unanime des députés, à quelques jours du référendum de 2014 (SP 2014b).
En 2016, l’instauration de la Scottish Fiscal Commission (SFC), autorité indépendante de prévisions et d’évaluations budgétaires, sur le modèle de l’OBR, fut également adoptée à l’unanimité (SP 2016e). Exigence du gouvernement britannique, elle vit ses pouvoirs renforcés pendant les débats parlementaires, les ministres devant justifier tout écart par rapport au modèle.
Cependant, le consensus disparaît lors du vote de l’impôt.
3.2. Divisions lors de la mise en œuvre
Chaque impôt est voté par une loi distincte, selon sa nature.
Tout d’abord, les impôts mineurs sont validés par des lois et des règlements ordinaires ; les élus ne peuvent toutefois ignorer les répercussions des politiques en Angleterre.
La taxe sur les mutations foncières à titre onéreux (Land buildings transaction tax, LBTT), entrée en vigueur en 2015, représentait 3% des recettes fiscales en 2024. Cette première taxe écossaise depuis 308 ans fit l’unanimité (SP, 2013b). Plus progressive que le droit de timbre anglais, elle s’applique à des biens de plus faible valeur13. Les élus, soucieux d’éviter un repli des investisseurs sur l’Écosse, doivent s’aligner sur la réglementation anglaise, par exemple en 2016 avec le supplément pour les propriétés mises en location (SP 2016d).
Les trois autres taxes doivent contribuer à atteindre les objectifs de neutralité carbone (fixés par les lois de 2009 et de 2019), en modifiant les comportements. La taxe sur l’enfouissement des déchets non recyclés, votée en 2013, sans polémique (SP 2013), est restée alignée sur les taux britanniques ; elle représentait moins de 1% des recettes fiscales. Les deux autres n’étaient pas entrées en vigueur en 2024. La taxe aéroportuaire devait être réduite, afin de stimuler l’activité. Mais l’opposition des Verts (pollution) et des Libéraux-démocrates (défense des îles) (SP 2017b), prenant de l’ampleur (SP 2017d), le projet fut abandonné (SP 2019). La taxe sur l’exploitation commerciale des carrières primaires a été retardée par un contentieux anglais près la Cour de Justice de l’UE au sujet des aides d’État (SP 2024d). Elle a été adoptée unanimement en 2024, au même taux qu’en Angleterre (avec possibilités de modulations, SP 2024d, 2024h).
Ensuite, l’impôt sur le revenu est source de division, en raison de son montant (85% des recettes fiscales attendues en 2024) et de sa procédure d’adoption, par une résolution formelle (article 11, Scotland Act 2016), à l’image de la procédure britannique (Himsworth 2009). Réélu en 2016 en promettant la stabilité (SNP 2016 : 19), le gouvernement SNP fit voter un impôt écossais de 10 pence, maintenant la parité avec l’impôt britannique (SP 2016a). En 2017, il fit un usage a minima de ses nouveaux pouvoirs, gelant les seuils (entraînant une légère hausse) (SP 2017a). L’année suivante, il instaura cinq taux et tranches, contre trois dans le reste de la Grande-Bretagne (SP 2018a). Cette progressivité s’accrut par la suite en jouant sur les seuils de revenus et les taux (tableau 3), creusant ainsi l’écart (tableau 4). En 2023, une sixième tranche fut instaurée (SP 2024b ; tableau 5). Sturgeon, puis Yousaf, présentèrent cette différenciation comme la contrepartie du « contrat social » (supra).
La marge de manœuvre est étroite. La base taxable est limitée : en 2016, plus de 40% des Écossais n’étaient pas assujettis à l’impôt sur le revenu, 10% en acquittant plus de la moitié (SG 2017). Le gouvernement britannique fixe le seuil d’exonération (multiplié par deux en 2010, resté supérieur à 12 000 livres), et les abattements (il a dû approuver celui pour les couples malgré la création de taux écossais, SP 2018b). De plus, il détermine les cotisations sociales (National Insurance Contributions, NIC) également assises sur le revenu. En 2024, elles passaient de 8% à 2% entre les taux de 20% et 40%. Or ce passage s’effectue à un seuil de revenu plus faible en Écosse (Fraser of Allander Institute 2023 : 40). En outre, les contribuables aisés peuvent échapper à l’impôt écossais en constituant une personne morale, soumise à l’impôt britannique sur les sociétés, ou en changeant de domicile fiscal.
S’ajoutent les pressions des partis d’opposition, en amont. Les Verts, qui avaient rejeté la plupart des budgets SNP jusqu’en 2016 (SP 2010), devinrent plus constructifs au sujet de l’impôt sur le revenu, obtenant des aménagements de seuils et un sixième taux, dans le cadre du partenariat. Ils n’ont cessé de s’en prévaloir, optant pour l’abstention puis l’approbation (tableau 6).
À l’inverse, les Conservateurs ont voté contre des taux creusant les écarts avec l’Angleterre, taxant plus lourdement les classes moyennes écossaises (au-delà du revenu médian de 28 000 livres). Ils craignaient une fuite des créateurs de richesse, illustrée selon eux par la chute de l’immigration (en fait imputable au Brexit). En 2022, ils choisirent l’abstention pour répondre à la crise. Désireux d’ancrer leur positionnement dans le débat public (SC 2023), ils n’ont pas hésité à se réapproprier Adam Smith pour appeler à abaisser l’impôt (SP 2017a).
Les Travaillistes et les Libéraux-démocrates, qui réclamaient des hausses modestes des trois taux, n’ont cessé de critiquer la prudence des gouvernements SNP, sans toutefois repousser tous leurs projets, car ils souhaitaient accroître les recettes. En 2024, année électorale, ils ont préféré rejoindre les Conservateurs dans la dénonciation de la pression fiscale sur les classes moyennes.
Enfin, la fiscalité locale reste sous le contrôle du Parlement écossais. Elle représente un tiers du budget des collectivités territoriales (le reste étant constitué par la dotation du gouvernement écossais, voire par l’emprunt). Le gouvernement écossais fixe le taux des business rates, créés en 1995, fondés sur la valeur locative des locaux (réévaluée tous les trois ans depuis 2020, SP 2020a). Le produit, qui constitue 15% de ses revenus fiscaux, est rétrocédé aux collectivités territoriales. Afin de ne pas pénaliser l’activité au profit de l’Angleterre, le taux fut maintenu, puis abaissé sous le gouvernement Salmond (dégrèvements aux PME). Sturgeon imposa des relèvements aux distributeurs vendant du tabac et de l’alcool (2012), et aux écoles privées (2020), avant d’alléger la facture des secteurs du loisir et de la restauration pendant la pandémie.
Quant aux personnes, deux lois remédièrent aux effets de la poll tax, abolie depuis 1991 : l’abrogation des ventes aux enchères de biens saisis pour non-paiement (à l’initiative de Tommy Sheridan, SP 2000b), puis la suppression de l’obligation de poursuivre les contribuables ayant des arriérés, qui risquait de dissuader l’inscription individuelle sur les listes électorales. Seuls les Conservateurs refusèrent de cautionner cette évasion fiscale (SP 2015b : 88-90).
La council tax qui remplaça cette poll tax est acquittée par les occupants, fondée sur la valeur des propriétés, découpée en tranches, affectée d’un taux unique. Elle représente 20 % du budget des collectivités territoriales, mais elle n’est pas déterminée librement par leurs conseils. La première coalition plafonna sa progression, le SNP imposa un gel de 2008 à 2017, suivi d’une liberté encadrée, avant de renouer avec le gel (2024).
Entre 2007 et 2010, la baisse des impôts locaux légitima le soutien des Conservateurs aux budgets (SP 2009b). Par la suite, tous les partis d’opposition ont fustigé la centralisation par le SNP, en contradiction avec le vote unanime au Parlement écossais du projet de loi incorporant en droit interne la Charte européenne des libertés locales en 202114 (SP 2023e).
La council tax, impôt régressif et peu élastique n’a pas été réformée, faute de consensus. Le Parlement écossais a simplement doublé la taxe pour les résidences secondaires (SP 2023d). Les aménagements prônés par les Conservateurs et les Travaillistes (déductions pour certaines personnes, ou logements), ou par le SNP (forte hausse des tranches supérieures en 2023), ont été jugés insuffisants. L’impôt local sur le revenu, porté par le SSP (SP, 2001), divisait le SNP (partisan d’un taux national) et les Libéraux-démocrates (taux local) (SP, 2008b). La taxe foncière, prônée par les Verts et les Libéraux-démocrates en 2023, était encore plus controversée.
Seuls deux impôts locaux mineurs ont été créés par le gouvernement écossais, sous la pression des Verts, contre l’avis de l’opposition : la taxe sur les places de stationnement sur les lieux de travail (SP 2022c) et la taxe sur les touristes (SP 2024e).
Conclusion
Le vote du budget est devenu l’une des principales dates du calendrier parlementaire, les députés passant de la distribution d’argent public à la redistribution grâce à leurs nouveaux pouvoirs fiscaux. Sans pouvoir rivaliser avec le Chancelier et sa valise rouge, le ministre des Finances est un membre éminent du gouvernement, rompu aux discussions multipartites. Jack McConnell (travailliste) et John Swinney (SNP) sont ensuite devenus First minister.
Certes, l’enjeu est moins important que dans un État puisque les élus maîtrisent moins de la moitié de leurs ressources. Cette dépendance constitue sans doute un atout, les statistiques officielles publiées depuis 1991 (par les gouvernements successifs, britanniques jusqu’en 1999 puis écossais, SG 2024) montrant que les revenus collectés en Écosse sont insuffisants pour financer ses dépenses. Elle représente également une contrainte, en raison du calendrier budgétaire britannique. Le système fonctionne, malgré sa complexité.
Le budget permet d’affirmer l’existence d’une nation, dont les valeurs se reflètent dans les priorités retenues, par rapport aux choix des gouvernements britanniques pour l’Angleterre (Camp-Pietrain 2013 : 37). Le caractère public et gratuit de nombreux services publics, l’adaptation des allocations sociales aux besoins individuels, la hausse de l’impôt sur le revenu sont à contre-courant des tendances britanniques. Cela n’a pas entraîné de mouvement d’opinion, d’autant que les incidences de ces décisions restent faibles.
Les principes fondateurs du Parlement écossais sont diversement respectés. Les gouvernements sollicitent l’opposition, sur les dépenses et les recettes, moins sur l’emprunt ou les relations avec le gouvernement britannique15. Mais ce sont leurs budgets qui sont adoptés. Certes, la discussion, qui constitue un exercice inconnu à Westminster, a lieu en coulisses et non dans l’enceinte parlementaire. Elle se réduit à un catalogue de demandes, relevant des priorités des partis politiques, compatibles avec leurs positions à l’échelle britannique. Le ministre des Finances en égrène la liste, en dernière lecture, mettant chacun face à ses responsabilités.
Les séances plénières n’échappent pas à la division, aux slogans simplificateurs, fréquents à la Chambre des communes. La critique est la norme, aux dépens d’une réflexion globale sur les moyens d’atteindre les finalités souhaitées. La commission des Finances le déplore (Kenneth Gibson, SP 2024c), alors que son contrôle est limité, faute de moyens (face au gouvernement écossais, elle s’appuie sur la SFC), ou de pouvoirs (face au gouvernement britannique).
La presse écossaise « de qualité » (le Herald et le Scotsman), accentue cette impression de division, dramatisant les enjeux avant les votes, notamment en ce qui concerne les impôts (Gordon 2018 ; Gordon 2019 ; Grant 2019 ; Grant 2024). Mais les journalistes reconnaissent l’enjeu que représente désormais le budget, en raison de la somme discutée (Sanderson 2016 ; Grant 2019 ; Learmouth 2024), alors qu’aux débuts de la dévolution, l’indifférence prévalait (The Herald 9 au 11 février 2000 ; 2001 ; 10 février 2006).
En dépit de ces divisions, amplifiées par les médias, les partis ont su évoluer en un quart de siècle. Les gouvernements SNP, attachés au soutien aux personnes les plus modestes par la dépense sociale entre 2007 et 2024, ont fini par en tirer les conséquences sur le plan fiscal. Cependant, alors que le SNP prône des transferts complémentaires de compétences, il est accusé de ne pas faire un usage suffisant de celles qu’il possède et de centraliser le pouvoir à Édimbourg aux dépens des collectivités territoriales. Les Travaillistes écossais, à l’origine de la dévolution, se réclament de valeurs progressistes, mais ils peinent à se démarquer du parti britannique lorsqu’il est au pouvoir, devenant alors plus conservateurs. Si les Conservateurs ont cessé de critiquer la dévolution, revendiquant des pouvoirs fiscaux afin d’abaisser l’impôt, ils ne sont pas parvenus à créer une force de centre-droit. La succession de leaders écossais entre 2007 et 2024 (sept pour les Travaillistes, cinq pour les Conservateurs) démontre une difficulté d’adaptation à la domination du SNP. Les petits partis ont joué un rôle constructif : le SSP, puis les Verts ont imposé des idées redistributrices, les seconds devant se soucier de leur faisabilité en exerçant le pouvoir. Les Libéraux-démocrates ont fait avancer leurs priorités.
Le printemps 2024 a constitué un tournant politique. John Swinney a pris la tête du gouvernement écossais dans un contexte de crise pour son parti, et fait appel, pour la juguler, à Kate Forbes (ancienne ministre des Finances), opposée à toute hausse fiscale et mesurée dans son soutien aux politiques environnementales. Alors que les électeurs ont manifesté leur défiance à l’égard du SNP aux élections de juillet 2024 à la Chambre des communes (38 députés sur 47 ont été battus), au profit des Travaillistes, Swinney est parvenu à construire pour 2025 un budget consensuel grâce à un dialogue étroit avec les parlementaires, une utilisation habile des moyens disponibles et un report de la stratégie indépendantiste. Côté recettes, il a gelé l’impôt sur le revenu, tout en déplafonnant la council tax, satisfaisant ainsi les partis non Conservateurs. Aux Verts (et à Alba), désireux d’étendre la gratuité, il a accordé des projets pilotes, tandis que les Libéraux-démocrates ont obtenu des dépenses pour des objectifs de santé publique. Swinney s’est même assuré de l’abstention des Travaillistes avec des mesures écartées par le nouveau Premier ministre Keir Starmer (restauration du caractère universel de l’aide au chauffage pour les retraités, compensation du plafonnement à deux enfants de l’universal credit), tout en fustigeant les hausses de NIC (National Insurance Contributions) à l’échelle britannique. L’issue des élections de 2026 au Parlement écossais demeurait incertaine.
Annexes
Tableau 1 : Résultats en sièges des élections au Parlement écossais.
Conservateurs | Travaillistes | Libéraux-démocrates | SNP | Verts | SSP | |
1999 | 18 | 56 | 17 | 35 | 1 | 1 |
2003 | 18 | 50 | 17 | 27 | 7 | 6 |
2007 | 17 | 46 | 16 | 47 | 2 | 0 |
2011 | 15 | 37 | 5 | 69 | 2 | 0 |
2016 | 31 | 24 | 5 | 63 | 6 | 0 |
2021 | 31 | 22 | 4 | 64 | 8 | 0 |
Source : Parlement écossais (SPICE).
Tableau 2 : Votes sur les projets de loi de finance (dernière lecture) au Parlement écossais.
Date | Nombre de votants | Conservateurs | Travaillistes | Libéraux-démocrates | SNP | Verts | SSP (et autres) |
15.12.99 | 114 | D | F | F | D (échec amendement) | D | D |
10.02.00 | 105 | A | F | F | A | F | F |
8.02.01 | U | F | F | F | F | F | F |
14.02.02 | 113 | A | F | F | F | F | A |
13.02.03 | U | F | F | F | F | F | F |
12.02.04 | 110 | A (un D) | F | F | F | D (un A) | D |
9.02.05 | 115 | A | F | F | F | D | D |
9.02.06 | 77 | A | F | F | A | A | D |
14.02.07 | 114 | F | F | F | F | F | D |
6.02.08 | 124 | F |
A (un D) (amendement Gray) |
A | F | A | |
28.01.09 | 128 | F | D | D | F | D | |
4.02.09 | 125 | F | F | F | F | D | |
3.02.10 | 125 | F | D (échec amendement) | A | F | F | |
9.02.11 | 127 | F | D | F | F | D | |
8.02.12 | 122 | D | D | F | F | D | |
6.02.13 | 124 | D | D | D | F | D | |
5.02.14 | 123 | D | F (amendement Gray) | F | F | F | |
4.02.15 | 120 | D | D | D | F | A | |
24.02.16 | 121 | D | D | D | F | D | |
23.02.17 | 125 | D (échec amendement) | D | D | F | F | |
21.02.18 | 126 | D | D | F | F | F | |
21.02.19 | 114 | D | D | D | F | F | |
5.03.20 | 118 | D | D | D | F | F | |
9.03.21 | 123 | D | D | F | F | F | |
10.02.22 | 123 | D | D | D | F | F | |
21.02.23 | 125 | D | D | D | F | F | |
27.02.24 | 124 | D | D | D | F | F | (Alba : A) |
Note : F=favorable ; D=défavorable ; A= abstention ; U=unanimité.
La seule députée Alba a été élue en 2021 sous l’étiquette SNP.
Source : auteur, d’après SP, OR.
Tableau 3 : Impôt écossais sur le revenu 2017-2024 (Scotland Act 2016).
Démarrage (starter) | Base (basic) | Intermédiaire (intermediate) | Supérieur (higher) | Avancé (advanced) | Maximal (top) | ||
2017 | Taux (%) | 20 | 40 | 45 | |||
Revenu (£) | 31 500 | 150 000 | > 150 000 | ||||
2018 | Taux (%) | 19 | 20 | 21 | 41 | 46 | |
Revenu (£) | 2000 | 12 150 | 31 580 | 150 000 | > 150 000 | ||
2019 | Taux (%) | 19 | 20 | 21 | 41 | 46 | |
Revenu (£) | 2049 | 12 444 | 30 930 | 150 000 | > 150 000 | ||
2020 | Taux (%) | 19 | 20 | 21 | 41 | 46 | |
Revenu (£) | 2085 | 12 658 | 30 930 | 150 000 | > 150 000 | ||
2021 | Taux (%) | 19 | 20 | 21 | 41 | 46 | |
Revenu (£) | 2097 | 12 726 | 31 092 | 150 000 | > 150 000 | ||
2022 | Taux (%) | 19 | 20 | 21 | 41 | 46 | |
Revenu (£) | 2162 | 13 118 | 31 092 | 150 000 | > 150 000 | ||
2023 | Taux (%) | 19 | 20 | 21 | 42 | 47 | |
Revenu (£) | 2162 | 13 118 | 31 092 | 125 140 | > 125 140 | ||
2024 | Taux (%) | 19 | 20 | 21 | 42 | 45 | 48 |
Revenu (£) | 2306 | 13 991 | 31 092 | 62 430 | 125 140 | > 125 140 |
Note : Les revenus sont exprimés au-delà du seuil britannique d’assujettissement, par le montant maximal de la tranche.
Source : auteur, d’après SP, OR.
Tableau 4 : Impôt sur le revenu en Grande-Bretagne 2023-2024.
Écosse | Angleterre/pays de Galles | |||
Tranche £ | Taux % | Tranche £ | Taux % | |
Démarrage | 12 570-14 732 | 19 | ||
Base | 14 733-25 688 | 20 | 12 571-50 270 | 20 |
Intermédiaire | 25 689-43 662 | 21 | ||
Supérieur | 43 663-125 140 | 42 | 50 271-125 140 | 40 |
Maximal | >125 140 | 47 | Supplémentaire (additional) : >125 140 | 45 |
Tableau 5 : Impôt sur le revenu en Grande-Bretagne 2024-2025.
Écosse | Angleterre/pays de Galles | |||
Tranche £ | Taux % | Tranche £ | Taux % | |
Démarrage | 12 571-14 876 | 19 | ||
Base | 14 877-26 561 | 20 | 12 571-50 270 | 20 |
Intermédiaire | 26 562-43 662 | 21 | ||
Supérieur | 43 663-75 000 | 42 | 50 271-125 140 | 40 |
Avancé | 75 001-125 140 | 45 | ||
Maximal | >125 140 | 48 | Supplémentaire : > 125 140 | 45 |
Tableau 6 : Orientation des votes relatifs à l’impôt sur le revenu au Parlement écossais.
Date | Nombre de votants | Conservateurs | Travaillistes | Libéraux-démocrates | SNP | Verts |
11.02.16 | 109 | F | D | D | F | F |
21.02.17 | 122 | D | D | D | F | A |
20.02.18 | 117 | D | D | D/F | F | F |
19.02.19 | 119 | D | D | D | F | A |
4.03.20 | 123 | D | D | D | F | A |
25.02.21 | 124 | A | F | F | F | A |
2.02.22 | 118 | A | F | F | F | F |
9.02.23 | 120 | A | F | F | F | F |
22.02.24 | 116 | D | D | D | F | F |
Note : F=favorable ; D=défavorable ; A= abstention
Source : auteur, d’après SP, OR.